La Commune et la Démocratie

 

 

  La Commune et la démocratie


Conférence faite au Petit Palais le 13 mai 2011, dans le cadre du cycle La Commune de 1871, une histoire vivante.


 

Il pourrait paraître à bien des égards paradoxal de traiter d’un tel sujet : la Commune et la démocratie, ou la démocratie et la Commune. C’est un étrange gouvernement que celui de l’Assemblée communale de 1871 (si l’on peut d’ailleurs vraiment parler de gouvernement), limité géographiquement à  une utopique République de Paris, qui supprime pratiquement toute liberté de la presse, qui est dominé par une majorité de Jacobins autoritaires à la manière de 1793, qui n’a œuvré que 54 jours, et,,dans ses vingt derniers jours a mis à sa tête un comité dictatorial de Salut public. C’est ainsi que le voit la propagande versaillaises

 

La Commune, constamment en butte aux attaques de Versailles n’a probablement pas toujours été un modèle de démocratie. Mais , c’est ce que je voudrais de montrer ici , elle est promesse, mieux, un projet tout à fait raisonnable de démocratie modèle.

 

Je vais longuement vous parler de « démocratie directe » en 1871. Vous en avez eu un aperçu lors de la conférence précédente, lorsque J.-L. Robert évoquait les aspirations « libertaires » des artistes.  Ce que je vais développer pourra paraître abstrait. Rien ne vaut pour dire ce que fut cette démocratie directe la représentation concrète remarquable, la « monstration » qu’en a faite Peter Watkins dans son film La Commune. Qu’on aime ce film – c’est mon cas : j’y ai vu revivre 1871 – ou non, c’est plus efficace que toute argumentation.

 

 

En allant au fond des choses, je vois dans l’événement insurrectionnel de 1871 l’expression d’une aspiration profonde du peuple de Paris, du moins d’une majorité populaire, à une démocratie vraie, à ce que l’on nomme depuis 1848 République démocratique et sociale. Dans la vraie, la « bonne » république, démocratie et transformation révolutionnaire de l’ordre social sont deux thèmes indissolublement mêlés.

 

Le débat est au fond toujours actuel. La crise de la démocratie représentative est aujourd’hui un thème récurrent. Nous vivons sous un régime démocratique, mais de « démocratie inachevée » ; La Démocratie inachevée, c’est le titre du livre de Pierre Rosanvallon, paru en 2000,  terme de sa grande trilogie consacrée à la nature du régime démocratique français.

La forme représentative qu’a prise la démocratie est-elle l’expression d’une véritable démocratie ? Pour être réelle, celle-ci devrait être « directe » et non représentative. Cette question majeure est posée depuis le Contrat social de Rousseau, en 1762. Et elle s’est posée concrètement dès la Révolution, sans trouver vraiment de réponse définitive.

Selon Rousseau, la société juste doit être gouvernée par tous ; le peuple est souverain : or

 

« La Souveraineté ne peut être représentée. […] Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires […] Toute loi que le Peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. »

 

« Le peuple Anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. »

 

Le gouvernement ne peut être que le « commissaire » du peuple :  en 1871 on dit commis, ou mandataire (comme sous la Révolution) ; et on retrouve cette même idée que la souveraineté du peuple ne peut être représentée, ou que, s’il elle l’est, cette représentation doit être constamment surveillée, critiquée, voire révoquée…

 

L’objection immédiate est que cette vraie démocratie (que nous pouvons nommer directe, ou immédiate) ne peut exister, dit Rousseau que « dans un Etat très petit où le peuple soit facile à rassembler ». Or la Commune est un projet parisien, pour Paris, mais ne doit nullement se limiter à Paris.

De surcroît, dit-il encore, « un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes » mais « à un peuple de dieux ». Le peuple, même de Paris, est loin d’atteindre à cette perfection ; il est même, dit Rosanvallon dans le livre précédent de sa trilogie qui porte su le problème de la représentation politique, carrément « introuvable ».

 

Le problème a déjà été longuement débattu pendant la Révolution :

Sieyès, dès 1789, défend le régime représentatif, qu’il oppose précisément à la démocratie « brute. « Le Peuple, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), ne peut parler, ne peut agir que par ses Représentants. »

`Le débat Représentation et démocratie va se poursuivre pendant toute la révolution. Sans s’achever vraiment.

 

Et le problème reparaît avec acuité lors de chaque insurrection parisienne: 1830 1848, 1871.

 

 

En quels termes la Commune l’a-t-elle posé ?

 

L’Assemblée communale a tenté de se donner un programme, qu’on appelle aussi son testament, rédigé le 19 avril, publié au Journal Officiel le 20 : la Déclaration au peuple français.

 

Les auteurs de la déclaration ne sont pas bien identifiés. Un comité avait été chargé de sa rédaction, composé de Delescluze, un jacobin, Vallès, journaliste de tendance indécise et Theisz, membre de  l’Internationale. On l’attribue aussi bien à l’un ou à l’autre. L’auteur réel pourrait en être Pierre Denis, un journaliste proudhonien, qui n’est pas membre de la Commune. 

 

J’ai longtemps considéré ce texte, comme une espèce de « compromis bâtard » entre les projets difficilement conciliables des deux tendances qu’on oppose dans l’assemblée communale, une majorité jacobine centralisatrice, celle qui vote 1er mai la création le d’un Comité de Salut public, et une minorité, plus sociale, de formation proudhonienne, tentée par le fédéralisme.

 

La comparaison avec la Révolution de 1789/1794 et son exigence très forte de« démocratie directe », ou aussi bien avec les revendications mal formulées mais réelles des insurgés de Juin 1848, bref, l’étude de la tradition révolutionnaire parisienne, me conduisent à de tout autres conclusions. C’est bien plus qu’un médiocre ou maladroit amalgame de proudhonisme tempéré de jacobinisme.

 

Le texte réclame :

 

« L’autonomie absolue de la commune étendue à toutes les localités de France et assurant à chacune l’intégralité de ses droits et à tout Français le plein exercice de ses facultés et de ses aptitudes comme homme, comme citoyen et comme travailleur. »

 

Et cette « autonomie » communale suppose « Le choix par l’élection ou le concours des magistrats ou fonctionnaires communaux de tous ordres… ». « L’intervention permanente des citoyens dans les affaires communales par la libre manifestation de leurs idées … ».

 

Ainsi qu’une transformation sociale radicale :

 

« À la faveur de son autonomie […], Paris se réserve d’opérer comme il l’entendra, les réformes administratives et économiques que réclame sa population, de créer des institutions propres à développer et propager l’instruction, la production, l’échange et le crédit, à universaliser le pouvoir et la propriété… »

 

 

Il y a abondance et redondance de textes qu’on pourrait considérer tout aussi bien comme des « programmes » de la Commune. Il y est naturellement toujours posé comme fondement l’autonomie municipale.

 

Le 30 mars 1871, la Commune déclare : « Paris est prêt à se lever tout entier pour conquérir son indépendance, son autonomie : il veut, … le self-government, c’est-à-dire la République ».

 

Quantité de textes en 1871 traitent du thème de « Paris ville libre », ceux de Pierre Denis, dans le journal Le Cri du Peuple de Vallès, mais aussi bien dans Le Vengeur du jacobin Félix Pyat, et de bien d’autres : ils émanent de toutes les tendances ou sensibilités qu’on croit pouvoir opposer au sein de la Commune, jacobine, proudhonienne ou blanquiste.

 

La déclaration d’adhésion du Conseil fédéral parisien de l’Internationale à l’idée d’une Commune, le 23 mars, est de ton social plus prononcé :

 

« L’indépendance de la commune est le gage d’un contrat dont les clauses […] feront cesser l’antagonisme des classes et assureront l’égalité sociale. Nous avons revendiqué l’émancipation des travailleurs et la délégation communale en est la garantie… »

 

Le manifeste du Comité central des Vingt arrondissements du 25 mars, appelant aux élections d’une Commune  pour le lendemain 26 est de ton plus particulièrement politique.

 

« La commune est la base de tout état politique, comme la famille est l'embryon des sociétés […]. 

Elle implique, comme forme politique, la République, seule compatible avec la liberté et la souveraineté populaires.

La souveraineté du suffrage universel restant toujours maître de lui-même, et pouvant se convoquer et se manifester incessamment.

Le principe de l'élection appliqué à tous les fonctionnaires ou magistrats.

La responsabilité des mandataires, et par conséquent, leur révocabilité permanente. »

 

Sans négliger pour autant le problème social, puisque le manifeste prévoit la « recherche incessante et assidue des moyens les plus propres à fournir au producteur le capital, l'instrument de travail, les débouchés et le crédit, afin d'en finir pour toujours avec le salariat et l'horrible paupérisme… »

 

Cette vision communale de la démocratie ne surgit pas brusquement. Il me faut faire ici un retour en arrière, je l’espère, point trop fastidieux.

 

On fait  généralement de Proudhon l’inspirateur théorique de la Commune : iI a en effet longuement glosé sur le thème de la Fédération des communes dans Du Principe fédératif (1863), ou De la Capacité politique des classes ouvrières (1865, posthume, le livre de chevet, dit-on des militants ouvriers de la fin de l’Empire). Ce n’est pas inexact, mais ce n’est qu’une vue partielle des choses.

 

Pour bien comprendre la portée du texte de 1871, il faut en revenir à l’échec de la République de 1848, à des textes des années 1849-1851.

 

1848 et1870/1871 : nous avons là deux situations assez analogues :  se pose la même question : quelle forme doit prendre la République toute neuve, dont on ne sait pas qu’elle est proche de sa fin.

 

Il s’agissait alors, bien au-delà d’une banale idée de décentralisation, de construire la démocratie républicaine à partir d’en bas (à partir de la commune, ou plus efficacement de plusieurs communes regroupées en canton), et non pas la diffuser (l’imposer ?) d’en haut..

 

On a trop négligé cette réflexion républicaine « communale-cantonale » de la fin de la IIe République, qu’on pourrait faire aussi bien remonter à la constitution jacobine de 1793, de l’an I, dont les républicains et socialistes du premier XIXè siècle sont  de  fervents lecteurs, comme de la Déclaration des  Droits de l’Homme de Robespierre qu’il propose au club des Jacobins le 21 avril 1793. C’est un texte majeur, fréquemment réédité et interprété pendant tout le premier XIXè  siècle.

 

« XVII. Le Peuple est souverain ; le gouvernement est son ouvrage et sa propriété : les fonctionnaires publics sont ses commis... XXXI. Les fonctions publiques ne peuvent être considérées comme des distinctions, mais comme des devoirs publics… »

 

Le Peuple insurgé de 1871 reprend les mêmes mots :

 

« L’Etat, c’est le peuple se gouvernant lui-même... Les fonctionnaires de la République doivent être responsables à tous les degrés et de tous leurs actes... »

 

 

 En 1849/1851, on passe, entre autres, du projet d’une communauté utopique, telle que l’avait conçue par exemple en 1842 le communiste Théodore Dezamy dans son Code de la Communauté, à des projets plus réalistes, où se mêlent des idées  de très diverses origines.

 

Le socialiste allemand Moritz Rittinghausen publie en décembre 1850 à la Librairie phalanstérienne (c’est-à-dire fouriériste), La législation directe par le Peuple ou la véritable démocratie.

Ce même mois de décembre, Victor Considérant, fouriériste,  élabore un projet à la fois différent et proche d’un « gouvernement direct du peuple ». Le titre exact est  « La Solution ou le gouvernement direct du peuple ».

Ledru-Rollin en exil à Londres publie en février 1851 Plus de Gouvernement, Plus de Représentants. Delescluze, dont on se souviendra qu’il est du comité de rédaction de la Déclaration, a publié dans le journal d’exil Le Proscrit  plusieurs articles développant le même thème.

 

Législation directe ; mais comment la faire exercer concrètement ?

 

La commune étant une unité trop petite, une idée alors répandue est qu’il faut élargir ce qui doit être l’unité politique de base aux dimensions d’une « Commune-canton », regroupant plusieurs communes.

 

En 1851, la France compte 36.835 communes dont 34.156 ont 2.000 habitants ou moins ; soit 93% des communes, renfermant 62% de la population totale. En 1866 les proportions sont identiques pour les 34.150 communes.

 

On comprend la réaction agacée de Lissagaray, très critique de la Déclaration au Peuple français, dans son Histoire de la Commune :  « Qu’attendre, qu’espérer des autonomies de Basse-Bretagne, des neuf dixièmes des communes françaises, plus de la moitié n’ont pas six cents habitants… ? »

Il propose justement la solution de la Commune-canton.

 

« Pourquoi ne pas […] définir la Commune future, assez étendue pour que la vie politique y soit possible, assez limitée pour que les citoyens puissent facilement combiner leur action sociale, la Commune de quinze ou vingt mille habitants, la Commune-canton  ? »

 

Charles Renouvier, avec Fauvety et quelques autres, avaient en effet bâti un système, pas nécessairement irréaliste, d’« organisation communale et centrale » de la République. C’est là que doivent se voter les lois en cas de législation directe, fondement d’un gouvernement direct de la République.

 

Cette réflexion avait eu un écho alors très large dans les milieux politiques, et jusque dans les milieux populaires. Pauline Rolland qui, à ce moment, participe au mouvement d’unification des sociétés ouvrières, en témoigne dans une lettre du 23 mai 1851 :

 

« La question du gouvernement direct [...] fait des progrès dans les ateliers. Cette question m'occupe personnellement au plus haut point, et je ne suis contente ni de Rittinghausen, ni de Considérant, ni de Louis Blanc, bien moins encore de Ledru-Rollin, [...] qui n'y voient qu'une réclame électorale. Je mets à part […] la brochure de Renouvier et Fauvety publiée [...] sous le titre gouvernement direct, organisation communale et centrale de la république. Lisez cela et faites la lire à nos amis. Ce n'est pas parmi les bourgeois qu'il importe le plus de répandre la vérité, mais parmi nous autres prolétaires, en qui réside la force. »

 

 Parallèlement en effet s’ébauche le projet d’une transformation de la société par l’Association ouvrière corporative généralisée. Dans la seconde moitié de 1851, le projet, le plus avancé, en est celui du journal la Presse du Travail qui  se donnait pour but « d’unir toutes les associations partielles d’un même état dans une grande association corporative », en vue de  la possession collective des instruments de travail.

 

Les deux projets, le politique, le social, sont étroitement unis chez Constantin Pecqueur, un socialiste des années quarante trop oublié aujourd’hui, qui publie en 1849 Le Salut du Peuple, journal de la science sociale. Il a laissé un manuscrit inédit  De la souveraineté. Gouvernement direct du Peuple, conservé à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale.

 

L’Empire est venu là-dessus, avec son despotisme, la confiscation du suffrage par le plébiscite et la candidature officielle : l’Empereur est seul représentant du peuple.

 

Une frange du parti républicain a senti dans les années 1860 la nécessité d’une réflexion sérieuse sur l’institution communale, niveau de base de la démocratie.  Entre la tradition jacobine du parti et les nouvelles tendances fédéralistes qui se réclament de Proudhon, il existerait une espèce de Tiers parti prônant un « municipalisme républicain ». C’est un point que développe l’historien anglais Sudhir Hazaareesingh : Du sujet au citoyen, le Second Empire et l’émergence d’une démocratie moderne.

 

C’est au sein de la commune, sur les problèmes du local et du quotidien, que se fait le premier apprentissage  de la politique.

 

Ainsi pour Jules Simon, La Liberté politique, édition de 1867

 

« Le patriotisme communal est l'école du patriotisme ; l’intervention dans les affaires de la commune habitue les citoyens à la vie publique, les initie à la connaissance des affaires. »

 

Jules Ferry au moment des élections de 1869 a évoqué les « destructions nécessaires » : décentralisation administrative, séparation de l’église et de l’état, réforme judiciaire, transformation des armées permanentes. »

 

Pour Jules Barni, dans son Manuel républicain de 1872, qui est la réédition de textes publiés en 1870 dans le Bulletin de la République.

 

« La commune est le point de départ de cette vaste association qui constitue une nation … Elle est comme l’alvéole de l’Etat. On pourrait dire que la Commune est l’image abrégée de l’Etat et que l’Etat est l’image agrandie de la Commune. »

 

Les droits de la Commune sont ici étroitement limités aux domaines administratifs. Cela ne va pas politiquement bien loin.

 

À l’extrême gauche, les idées fédéralistes  proudhoniennes sont vulgarisées et clarifiées par  Vermorel, Le parti socialiste, 1869/1870. Mais s’il prône le fédéralisme, il est peu clair sur le rôle que doivent y jouer les communes.

 

De façon amusante, Jules Simon comme Vermorel en appelaient tous deux au discours de Robespierre du 10 mai 1793 « sur la Constitution à donner à la France » que je citais :  qui peut paraître aujourd’hui singulièrement « libertaire » : 

« Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner. Laissez aux communes, laissez aux familles, laissez aux individus, […] le soin de diriger leurs propres affaires et tout ce qui ne tient point essentiellement à l’administration générale de la République. »

 

 

En 1870-1871 le fouriérisme est encore présent, imaginant une espèce de phalanstère « non utopique. Ainsi de la « Commune sociale » égalitaire de Jules Allix qu’il développe en 1869 dans les réunions publiques. Mais Il s’agit là surtout de l’organisation d’une commune rationnelle, pas encore d’un essai de reconstruction de l’édifice politique national.

 

Mais surtout, dans 39 numéros du grand journal républicain socialiste, La Marseillaire, fin 1869 et début 1870, Jean Baptiste Millière qui a été fouriériste, et a publié en 1851 un opuscule Constitution de la démocratie ou le gouvernement direct du peuple par lui-même. propose un programme qui est une anticipation de ce que va être la Commune.

 

La souveraineté du peuple est posée comme « principe absolu ».

 

En découle la nécessité du gouvernement direct par des mandataires, avec  contrôle populaire. Cette démocratisation du pouvoir se fera progressivement.

 

Le premier pas en est la dictature révolutionnaire de Paris : une dictature de l’exemple : Paris n’impose rien, il n’est qu’une avant-garde qui a l’initiative de la grande réforme.

 

« Elle s’exerce momentanément par le peuple de Paris […]pendant le temps nécessaire pour organiser la souveraineté du peuple dans toutes les communes de la République. Lorsque cette organisation définitive fonctionnera régulièrement, la nation d’administrera elle-même. En attendant, le peuple de Paris devrait pourvoir aux questions les plus urgentes ». 

 

Dictature de l’exemple – c’est ce que redira la Déclaration de la Commune du 19 avril.

 

Elle sera un gouvernement direct, « mais sans anarchie ».

 

Au sommet, une commission exécutive, fonctionnant publiquement ; partout des fonctionnaires élus et révocables.

 

On retrouve dans son programme à peu près tout ce que tentera de faire l’assemblée communale :

Abolition des armées permanentes remplacées par une garde nationale. Séparation de l’église et de l’état.

 

Expropriation par les communes des établissements industriels et agricoles mis au chômage ou non exploités.

 

« Les ouvriers qui seront occupés au moment où la révolution s’accomplira continueront le travail si le patron y consent. Si le patron veut l’interrompre, l’exploitation se fera par les ouvriers constitués  en association générale par profession. »

 

C’est pratiquement le décret du 16 avril 1871 sur les ateliers abandonnés.

 

Millière traite rapidement du problème de la rénovation les campagnes, et suggère naturellement une réorganisation en des groupes comprenant « un nombre d’habitants assez nombreux pour que toutes les conditions de la sociabilité puissent se rencontrer… »

 

La commune est gérée par toutes les personnes majeures, y compris les femmes, réunies en assemblée générale, avec un bureau permanent et des administrateurs élus chaque année. L’autorité nationale est représentée dans chaque commune par un fonctionnaire.

 

Autonomie communale qui doit se faire sans briser l’unité nationale, en attendant les Etats-« Unis européens.

 

« Nous avons fait la part de la Commune aussi large que le prescrit et le permet la nature des choses. […] Aller plus loin ce serait la désagrégation des parties constitutives de la nationalité. Revenir au fédéralisme communal, ce serait reculer vers le passé. »

 

Ce texte préfigure ce que sera la Commune. L’étonnant est que  Millière sera d’abord réticent au lendemain du 18 mars. Il exhorte à la patience, redoute une réédition de la répression des journées de Juin 1848. Pendant l’insurrection, il a un journal, dont le titre est précisément « La Commune », qui défend l’idée d’un Paris Libre, et s’opposera très durement à la dictature de Salut public, de qui lui vaudra d’être interdit le 16 mai. Millière cependant a rallié l’insurrection au début de mai. Il finira, comme on sait, fusillé sur les marches du Panthéon.

 

 

Cette réflexion sur l’association politique se double, notamment dans les sociétés ouvrières d’une autre, parallèle, qui retrouve l’idée amorcée en 1848, de l’association ouvrière généralisée.

Les sociétés corporatives ouvrières, qui s’intitulent généralement sociétés de résistance, se multiplient dans la décennie 1860 et constituent ce qui est déjà un premier ensemble de véritables syndicats. Il y en a 116 au début de 1870. Puis intervient fin décembre 1869  la fédération de ces chambres ouvrières. 75 sociétés y ont adhérés.

 

Au congrès de Bâle de l’Internationale, en 1869, le délégué français Pindy est chargé du rapport de la Commission chargée de la question de l’organisation des sociétés de résistance. 

 

« Nous concevons deux modes de groupement pour les travailleurs. D’abord un groupement local qui permet au travailleur d’un même lieu d’entretenir des relations journalières ; puis un groupement entre les différentes localités, bassins, contrées etc. Ce premier mode de groupement correspond aux relations politiques de la société actuelle qu’il remplace avantageusement. »

« Le groupement des différentes corporations par ville forme la commune de l’avenir. […] Le gouvernement est remplacé par les conseils de corps de métiers réunis, et par un comité de leurs délégués respectifs, réglant les rapports du travail qui remplaceront la politique ».

 

(Le second mode est l’extension internationale du mouvement)

 

 

Tout cela doit vous paraître abstrait et théorique. Ce qui se passe en bas est-il bien l’expression de cette  vraie démocratie à quoi visent les projets précédents ?

 

Une ébauche de programme, le 3 avril, proposée à la Commune par Gustave Lefrançais, Jules Vallès, et du radical Arthur Ranc (qui va quitter la Commune en désapprouvant ses excès), invitait le peuple à participer activement à l’exercice du pouvoir.

 

« Essentiellement basée sur la souveraineté populaire, la puissance communale en doit toujours être la sincère expression. » […] « Il faut que [vos magistrats communaux] soient en contact permanent avec vous, et  que, s’inspirant sans cesse de vous-mêmes, ils ne soient jamais que les traducteurs de vos pensées et de vos intérêts. »

 

« Il est nécessaire que vous puissiez vous réunir pour le maintien et l’extension des droits que vous avez si douloureusement conquis. […] De là le droit et le devoir pour tous de faire partie de réunions politiques de quartiers ou districts qui vous permettent d’organiser l’ élection de vos magistrats… »

 

Pour le peuple agissant du Paris de 1871, être son propre maître, c’était, s’autogouverner. On le voit dans l’exercice quotidien par ceux d’en bas de leur petit pouvoir local, au club, dans leur bout de quartier. S’affirme, de manière un peu désordonnée et souvent naïve, une volonté populaire de participation politique immédiate.

 

D’abord dans les commissions municipales qui gèrent les arrondissements.

 

Ces commissions sont le plus souvent issues des comités de vigilance spontanément nés pendant le siège. En 1871 elles sont nommées par les membres de la Commune pour l’arrondissement.

 

Étudier l’œuvre de ces comités locaux peut se révéler décevant : ce n’est jamais que de la – bonne ou mauvaise – mais très classique administration municipale républicaine, mais c’est là que s’est vraiment réalisée l’œuvre de la Commune. peine faite.

 

On connaît assez bien le travail qu’effectuèrent les comités du XVIIè et du XVIIIè arrondissement. Jean Baptiste Clément, qui n’est pas seulement le gentil chansonnier du Temps des cerises, mais l’administrateur efficace  du XVIIIè  raconte dans la Revanche des Communeux ses contacts avec des délégations populaires venues protester par exemple contre l’insuffisance du décret sur la restitution des objets engagés au Mont-de-Piété et comment il  s’en est fait l’écho à l’assemblée communale.

L’essentiel des réformes projetées par la Commune   s’est accompli - c’est là le fait le plus original - par initiative locale. Des commissions avaient pris plus ou moins spontanément la charge de l’administration des arrondissements.

Ainsi dans le XVIIè arrondissement, celui de Benoît Malon où la commission municipale, , n’est qu’une succursale de la section de l’Internationale des Batignolles. Dix « conseillers adjoints » gèrent dix commissions spécialisées.

‡Paul Martine, qui dirige la commission de « recensement et statistique », évoque dans ses Souvenirs d’un Insurgé «  le public qui se presse à la porte pour des réclamations de tout genre, [...] les mécontents, les gens qui viennent déclarer les naissances, les morts, ou réclamer le mariage [...]. « 

 

Trois au moins de ces commissions rendront des comptes à leur mandants : celle des XVIIè, XVIIIe et surtout IVè arrondissement : une très nombreuse assemblée des électeurs au Théâtre lyrique désavoue le 20 mai les membres de leur commission municipale qui ont fait partie de la « minorité » qui a décidé de se retirer de l’assemble communale pour protester contre la dictature du Comité de Salut public.

 

 

Si les commissions d’arrondissement, nommées, ne sont peut-être pas l’expression réelle de la volonté populaire locale, les sous-comités d’arrondissements de la Fédération de la Garde nationale relèvent davantage de  la démocratie directe. `

Les statuts de la fédération du 3 mars  prévoient  pour les cadres de la Garde l’élection, avec mandat donné et possible révocation : « Il n’y aura plus […] de chefs imposés, mais des agents constamment responsables et révocables à tous les degrés du pouvoir. »

 

Chaque compagnie de bataillon élit un délégué : la réunion des délégués forme le cercle de bataillon, la réunion des cercles de bataillon élit un Conseil de légion, au niveau de l’arrondissement.

Les cercles de légion (ou sous-comités) ne doivent s’occuper en principe que des problèmes militaires, mais souvent  s’érigent en organismes de direction de l’arrondissement

 

 

Les situations sont très diverses.

 

Dans le XVè arrondissement, selon un rapport du 20 avril 1871 :,« La légion est maîtresse, par cela même que tout est sous ses ordres, commissariat de polie, municipalité, etc , nommés par eux et qui sont sous son contrôle. Leurs cercles de bataillons sont en permanence, malgré la dissolution préconisée par Cluseret. »

En effet, la Commune, soucieuse de faire respecter son autorité suprême, craignant (militairement surtout) de voir s’établir l’anarchie avait supprimé par décret du 6 avril les sous-comités de légion. La mesure ne fut pas respectée, car c’était faire bien peu de cas de l’expression directe de la volonté populaire.

Dans le XIIè arrondissement, « le conseil est fort bien établi, se donne beaucoup de droits, a formé pour la légion une commission exécutive pour faire exécuter les décrets, pour les  questions de juge de paix, de commissariat de police, de loyers, indemnités ou secours ».

 

Dans le XXè a, on « surveille de près les actes de la Commune, le comité central, les opérations militaires, [et on] a beaucoup de défiance, peur que l’on retombe dans la défaillance, comme sous Trochu ».

 

On ne sait rien malheureusement de l’activité du Conseil de légion en matière d’administration du XVè arrondissement. Dans le XIIè, tout est prétexte à querelle de personnes et matière à conflits avec divers envoyés de la Commune

 

Il y a rivalité parfois violente : ainsi dans le XVIIIè ou le XVIIè,  où

le cercle de légion se retrouve « en complet désaccord avec la municipalité et le chef de légion qui a été imposé par Cluseret […]ce qui fait une grande cisanie [sic] dans l’arrondissement. » 

 

Il y peut aussi y avoir entente, fusion, par exemple dans le XIè, entre les représentants locaux de l’Internationale et les délégués à la fédération de la Garde. C’est la situation représentée dans La Commune de Peter Watkins, qui s’est appuyée sur l’excellente étude de l’arrondissement en 1871 d’Alain Dalotel : Dalotel a été le principal conseiller historique du film.

Il est vrai qu’apparaissent alors  les défauts possibles de la démocratie directe.

 

Dans la Garde nationale règne une aimable anarchie, que décrit en 1879 Camille Pelletan dans Questions d’histoire.

 

« Chaque bataillon, chaque compagnie avait fini par former une petite ville ou une petite république, ayant ses délibérations, nommant ses officiers et ses délégués. […] L’homme qui avait de l’assurance, de l’énergie, le désir du galon, la parole facile, se mettait en avant et se faisait élire. […] Celui-ci réussissait parce qu’il avait bonne mine, cet autre possédait une vois retentissante. D’autres, plus modestes, étaient estimés pour avoir bien réparti la solde… »

 « Chacun est, à son tour, chef de légion ou commandant, attaqué, destitué, jeté en prison et délivré pour recommencer. »

 

Une telle situation a évidemment des résultats désastreux sur le terrain militaire, mais aussi dans les administrations locales, où les cercles de légion s’arrogent parfois le rôle de contre-pouvoirs excessifs.

 

 

Il y a surtout les clubs.

 

On en compte une trentaine, qui se sont installés dans les églises, propriétés du peuple, depuis la fin du mois d’avril.  Leurs  activités n’ont été rapportées que par des témoins hostiles qui en donnent une méchante caricature. Les hommes sont grossiers et violents, et les femmes – qui dominent souvent dans ces assemblées populaires – sont d’épouvantables viragos.

 

Il faut reconnaître qu’il doit bien y avoir quelque vérité dans ces descriptions caricaturales. Les propos sont violents, les querelles de personnes, de voisinage, dominent trop souvent dans les débats. Qui sont comme un immense défouloir populaire ; On assiste à une libération de la parole, mais quelque peu désordonnée.

 

Dans le XIè, les deux clubs installés dans les églises Saint Ambroise et Sainte Marguerite prétendent rassembler un ou deux, voire trois milliers d’assistants et publient un journal, Le Prolétaire. On y lit, le 19 mai :

 

« Serviteurs du Peuple, ne prenez pas de faux airs de souverains, cela ne vous sied pas mieux qu’aux ilotes auxquels vous avez succédé. [...] Ne vous pressez donc pas de juger et de décider au nom du Peuple. Restez dans votre rôle de simples commis. »

 

Le club Nicolas-des-Champs édite un Bulletin communal qui n’a eu qu’un numéro le 6 mai, avec pour entête cette exhortation : « Peuple, gouverne-toi toi-même par tes réunions publiques, par ta presse ; pèse sur ceux qui te représentent ; ils n’iront jamais trop loin dans la voie révolutionnaire. »

 

Dans la réalité, pérore sans les clubs sur les problèmes locaux, On critique la Commune qu’on trouve trop « mollasse », pour reprendre le terme d’un Communard. Et on n’a que de trop rares exemples d’intervention populaire directe auprès de la Commune.

 

Le 1er mai, l’assemblée du club Nicolas des Champs vote à l’unanimité qu’on demande à la commune « le rétablissement de la loi des suspects, « des assises communales où les électeurs pourront toujours citer leurs mandataires », « que tout  citoyens qui refusera de servir la République par les armes sera fusillé », et en dernier lieu la mort pour l’archevêque de Paris Darboy.

 

Vers la mi-mai, Le Club de la Révolution du XVIIIè, siégeant en l’église Saint Bernard  demande à la Commune

 

La suppression de la magistrature et l’anéantissement de tous les codes

La suppression des cultes et l’arrestation de tous les prêtres

Le retrait du décret sur le Mont de Piété

La suppression des maisons de tolérance

L’exécution d’un otage toutes les vingt-quatre heures jusqu’à la libération de Blanqui.

 

 

Benoît Malon, dans La Troisième défaite du prolétariat, est très réticent, comme bien d’autres, à propos de la politique des clubs.

« Là s’était conservée avec sa passion puissante et son étroitesse théorique l’idée jacobine, à peu près bannie des sociétés ouvrières. » Il regrette « ce flot de radicalisme outré ». C’est aussi que la réalité quotidienne est souvent de médiocre intérêt : on se livre dans les clubs à des déclarations d’une violence excessive à des querelles de personnes, de bataillons, souvent sans grand intérêt …

 

Malgré son effacement relatif depuis le troisième procès de juin 1870 que lui a intenté l’Empire, la répression qu’il a entraînée, ainsi que du fait de la guerre, l’Internationale a repris vigueur à Paris pendant le Siège : on dénombre une trentaine de sections actives pendant la Commune. On ne sait malheureusement rien ou à peu près de leurs débats.Cependant la section de la Gare d’Ivry et Bercy (le XIIè arrondissement) est assez importante pour faire paraître, du 2 avril au 13 mai sept numéros du journal La Révolution politique et sociale. Son gérant et principal rédacteur Nostag (de son vrai nom Gaston Buffier), marchand de vins se disant homme de lettres, publie une suite d’articles, qui est malheureusement interrompue par la défaite, sur la forme que doit prendre le nouvel état communal : il fonde l’essentiel de son argumentation sur le Contrat social de Rousseau.

 

 

La Commune s’est voulue également démocratie sociale.

 

 

 On s’attarde à des points de détail, comme le décret supprimant le travail de nuit des ouvriers boulangers, plutôt mal accueilli pas la population privée du pain frais du matin. C’est une vieille revendication de la corporation ; plus important est l’autre volet du décret qui prévoit la suppression des bureaux de placement qui pressuraient les ouvriers auxquels ils procuraient de l’embauche.

 

On cite toujours l’exemple de l’atelier de fabrication d’armes du Louvre qui obtient début avril le droit d’élire directement ses cadres – et naturellement de les révoquer. Mais on ne sait rien de son fonctionnement réel.

 

Il vaut mieux chercher à saisir toute la portée du décret du 16 avril sur la confiscation des ateliers abandonnés qui allaient être confiés aux « associations ouvrières ».

 

« La Commune,

Considérant qu’une quantité d’ateliers ont été abandonnés par ceux qui les dirigeaient afin d’échapper aux obligations civiques, et sans tenir compte des intérêts des travailleurs …

Décrète :

Les chambres syndicales ouvrières sont convoquées à l’effet d’instituer une commission d’enquête ayant pour but :

1) De dresser une statistique des ateliers abandonnés, ainsi qu’un inventaire exact de l’état dans lequel ils se trouvent et des instruments de travail qu’ils renferment ;

2) De présenter un rapport établissant les conditions pratiques de la prompte mise en exploitation de ces ateliers, […] par l’association coopérative des travailleurs qui y étaient employés ;

3) D’élaborer un projet de constitution de ces sociétés coopératives ouvrières… »

 

On est amené à porter une attention beaucoup plus grande qu’on n’a fait à  l’histoire de la Commission du Travail et de l’échange, presque uniquement peuplée d’Internationaux. Ne disons pas à son œuvre - le temps a été trop court, mais à ses ébauches de réformes (qui ne se limitent pas à la suppression du travail de nuit des boulangers, ou à la liquidation du Mont de Piété)

 

L’affaire était confiée aux chambres syndicales qui subsistaient, pour effectuer un recensement de ces ateliers, puis former des associations ouvrières corporatives qui les feraient fonctionner.

 

Vingt chambres ouvrières fonctionnent encore sous la Commune, non des moindres. Mécaniciens, Tailleurs, Cordonniers, Ebénistes, Menuisiers, Bijoutiers, chaudronniers, ouvriers du cuir. Peintres en bâtiment … Celle des Mécaniciens a déjà  un atelier de pièces d’artillerie au 75 de la rue Saint-Maur ; les Fondeurs en suif se sont installés aux abattoirs de la Villette ; celles des Tailleurs et des Cordonniers ont des ateliers coopératifs dans plusieurs quartiers.

 

Fonctionnent également une douzaine de sociétés coopératives. On va les multiplier, conquérir progressivement l’appareil de production. C’est le point de départ de ce qu’on peut appeler une syndicalisation des moyens de production.

 

Son projet le plus abouti est celui de la constitution de l’Union des Femmes, véritable chambre syndicale, adhérente à l’Internationale, chargée de la formation d’ateliers coopératifs

 

La Commune est – en projet, et au moins chez les militants éclairés – aussi bien démocratique que sociale.

 

Ce n’était pas une République abstraite que les insurgés de 1848 ou de 1871, revendiquaient, mais une « bonne », une « vraie » République, indissociablement démocratique et sociale. Sociale, elle est celle qui doit procurer à tous mieux-être et bonheur. Elle doit être aussi et surtout -celle qui réalise la vraie démocratie, on dirait aujourd’hui « participative » mais le mot est beaucoup faible, qui assure réellement les intérêts et les droits des gouvernés, avec et s’il le faut, contre leurs gouvernants.

 

1871 pose, une nouvelle fois, le redoutable problème du « contrat social » : quelle forme donner à un gouvernement du peuple, qui émane du peuple, sans être oppresseur du peuple ? De ce point de vue, la Commune pourrait bien être – j’exagère à dessein - la révolte, sinon au programme le plus élaboré, du moins aux intentions les plus nettement démocratiques  du XIXè siècle

 

 

Pierre Giraud dit l’Assommeur, accusé de Juin 1848, simple ouvrier frotteur, avait donné à son juge la définition de ce qu’il entendait par République démocratique et sociale :

 

« Par démocratique j'entends que tous les citoyens soient électeurs, et par sociale qu'il soit permis à tous les citoyens de s'associer pour le travail. »

 

Les deux thèmes sont étroitement associés. On pourrait trouver les mêmes mots en 1871.

 

Cette ébauche de 1871 - on a beaucoup parlé, sans avoir le temps de beaucoup réaliser, sauf à créer un désordre certain - , mais ébauche solidement étayée et qui n’a au fond rien d’utopique,  a-t-elle eu une quelconque postérité ?

 

Une des formes d’expression de la démocratie directe : le mandat impératif qu’aux élections de 1869 les électeurs de Belleville et du Nord de Paris avaient donné à Gambetta qui l’avait accepté, au moins en principe, continue à être revendiqué dans la décennie 1870 par la fraction radicale du parti républicain, à la recherche, à son tour, pour reprendre l’expression de l’historien allemand Mollenhauer, de la « vraie » République, pleinement démocratique : c’est une période où l’on ne peut évoquer évidemment le mot de Commune.

 

Le programme de 1871 n’a guère été repris par les partis socialistes français de la fin du siècle, sauf par la tendance allemaniste, plutôt « libertaire », antiparlementaire, qui prône l’édification d’un état socialiste fédératif. Il séduira surtout les anarchistes.

Ou bien il a été réduit étroitement a un socialisme municipal, réclamant la « municipalisation » des services publics.

 

Le premier XIXè siècle, qui s’achève avec la Commune, a rêvé, d’abord,  avec les socialismes et communisme si mal dit utopique, puis avec les révolutionnaires de 1848 et 1850 plus que rêvé, tenté, tragiquement, l’expérience d’une république qui serait démocratiquement parfaite.

Je soulignerai  pour terminer que nous comprenons aujourd’hui mieux ce que Karl Marx, témoin partial mais tout de même privilégié, proposait dans la Guerre civile en France, lorsqu’il disait que la Commune était « la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du travail ». Ou bien on considérait la formule comme relevant d’une héroïsation de l’insurrection, ou bien, et j’ai partagé cette erreur, on voyait Marx comme partisan d’une  pure et simple abolition de l’Etat. C’était beaucoup plus. Marx, depuis sa jeunesse néo-hégélienne a été sévèrement critique de la démocratie représentative. Ce qu’il envisage en 1871, c’est une forme de représentation démocratique, à base justement communale qui émanerait de et s’ajusterait à la transformation radicale de la société en un sens enfin égalitaire.

 

  La présente démocratie est toujours démocratiquement inachevée. Entre représentation qui peut devenir menteuse et démocratie directe qui court le risque de l’anarchie, elle est peut-être inachevable.

 

 








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