L'espace parisien en 1871

 
L'espace populaire parisien en 1871
 
Bulletin de l'Institut d'Histoire économique et sociale de l'Université de Paris I Recherches et Travaux, n° 5, janvier 1977.
Recherches sur le Paris du XIXe siècle. Espace populaire et espace révolutionnaire :  Paris 1870-1871.
 
   Ce que l'on se propose dans cette trop brève note, trop schématique aussi bien que trop systématique -, c'est d'essayer de montrer comment l'historien (l'historien d'une date précise, on va le répéter à satiété) peut prétendre apercevoir ou appréhender, caractériser dans quelques-uns de ses (principaux ?) aspects, car je n'ose dire vraiment comprendre ou saisir, un espace populaire, identifié ici ou suppose jusqu'à plus ample informé identique - le moment choisi, 1870-1871 paraît s'y prêter - à un espace révolutionnaire. Que le lecteur donc ne s'y trompe pas ! l'espace qu'on veut ici cerner est un espace-temps, un espace étroitement situé en un temps qui le marque (en profondeur). L'historien, prudent ou timide, au choix, a scrupule à se hausser aux conclusions, qui le séduisent pourtant, des sociologies telles que celle du « Droit à la Ville ». À d'autres la liberté et le droit d'élargir et d'extrapoler, liberté et droit nécessaires. Pour moi j'en reste à ce moment privilégié qui se situe, par exemple et entre autres choses, au soir des grands bouleversements d'Haussmann (mais pas de lui seulement), à la fin du grand cycle révolutionnaire qui embrasa la Ville depuis 1789, cycle qui s'achève justement, incendie qui s'éteint.
 
Approches et évidences
 
Il y aurait à coup sûr, avant d'entamer une étude sérieuse, pas mal d'ambiguïtés à lever. Ne serait-ce que celle du terme « peuple » que suppose la notion d'espace populaire (révolutionnaire). Car on s'engage dans une voie vicieusement circulaire : très banalement, `un espace populaire est celui qui est occupé par le peuple, dont au XIX° siècle la nature et la texture font - historiquement - la matière de mille débats, jamais clos ; mais une définition du peuple est précisément qu'il est catégorie sociale qui occupe tel espace plus ou moins bien déterminé et défini. On sautera sans grand remords par-dessus ce problème - quitte à le retrouver parfois - car il ne conduirait qu'à d'inutiles querelles d'apothicaires érudits, et sans issue. Quel lecteur de Michelet ne connaît mille fois mieux ce peuple parisien du XIXe, qu'il « sent », que n'importe quel historien du social quantitatif qui, lui, « sait » ? S'il est bien en tout cas à la fin du Second Empire, une évidence, c'est qu'il existe deux Paris accolés, et bel et bien affrontés. De multiples témoignages, ne retenons qu'un, que j'ai souvent utilisé et qui les résume, celui de Louis Lazare en 1870 (1) :
 
« On a cousu des haillons sur la robe pourpre d'une reine ; on a constitué dans Paris deux cités bien différentes et hostiles, la ville du luxe, entourée, bloquée, par la ville de la misère ... Autour de la cité-Reine se dresse une formidable cité ouvrière. […] Vous avez mis toutes les séductions aux prises avec toutes les convoitises, le superflu avec l'indigence, la satiété avec la faim. »
 
Évidence ! On notera néanmoins le vague des termes employés pour décrire cette cité populaire qui est notre propos : indigence, faim, misère convoiteuse ... Faim, haillons (sauf rares exceptions) sont, en l'an 1870 où ces lignes sont écrites, des clichés indubitablement passéistes. Indigence est bien imprécis, tout comme misère, sauf si l'on pouvait nimber le mot de toutes les connotations dont l'enveloppait naguère Hugo dans son « Livre des Misères », si remarquablement analysées, mais pour une période antérieure, par Louis Chevalier (2). Nous savons, mais nous ne savons pas plus, que face à un espace des opulents et « dodus », existe un espace du peuple et des « menus » (3). Tout reste à préciser, ses formes, ses aspects, ses dimensions et ses contours.
 
Quelque flèche qu'on puisse quelquefois lui décocher, le social quantitatif conserve évidemment du bon, en ce siècle notamment où des statisticiens acharnés accumulent les données qui permettent de scruter Paris sous divers angles, en divers plans. Ils font apparaître les espaces professionnels, les espaces sociaux, les espaces médicaux, les espaces criminels. ... j'en passe. Autant de clichés qui, superposés, confirment bien l'existence des deux villes comme on peut le voir par exemple par les quelques cartes jointes, socioprofessionnelles, de mortalité, d'indigence... Un Est et un Ouest parisiens, séparés comme par une frontière idéale que constituaient les boulevards de Strasbourg, Sébastopol, Saint-Michel, et tout autour une ceinture rouge, fer à cheval plutôt, formé de tous les quartiers extérieurs (annexés en 1860), du moins de Grenelle et du XVe arrondissement, en passant par Belleville, La Villette, Montmartre, jusqu'aux Batignolles ..., les quartiers des Ternes et de la Plaine Monceau, et surtout le XVIe, se trouvant absorbés par le « riche » Paris de l'Ouest. D'un côté en effet, et de plus en plus, l'aisance et les affaires, de l'autre, disons, pour simplifier, le travail, les petites classes « industrieuses » (ce qui d'ailleurs ne signifie nullement la présence de l'industrie elle-même), celles qui, sans désormais y tomber forcément~ frôlent et côtoient en effet constamment la faim, l'indigence, la misère nue. C'est désormais une parfaite banalité que de le dire, même si certains historiens répugnent encore à l'idée d'une « ségrégation » trop tranchée qui se développerait au cours du XIXe siècle. On dénombre bien sûr des pauvres dans les quartiers riches, et des bourgeois dans « l'espace populaire » ! L'économiste officiel Michel Chevalier constate bien pourtant en ces temps l'existence à Paris de « deux natures ennemies », et que celles-ci s'inscrivent dans deux espaces distincts.
 
On pourrait sur des bases de chiffres décrire infiniment mieux et beaucoup plus longuement que je ne fais l'espace populaire. Mais le chiffre ennuie, Jusqu'à l'historien lui-même, après qu'il s'en est mesurément ou démesurément servi. Sous le masque de son extrême précision, il peut, et il a pu, prêter abondamment aux abus. S'il est indispensable à une première approche, il conduira, poussé à la limite de ses forces, à la figuration d'espaces abstraits, soit à une totale défiguration d'un espace entendu très simplement comme lieu de relations d'hommes entre eux et avec d'autres. Ajoutons d'ailleurs que, jadis ou naguère, historiens ou sociologues ont eu l'occasion de découvrir, d'user d'autres espaces ou formes spatiales, non nécessairement chiffrables, mais souvent parfaitement superposables aux clichés précédents. On scrutait récemment un espace parisien alimentaire (4) Il pourrait y avoir ici manière de mieux connaître un espace populaire dans l'un de ses aspects essentiels, mais en ce qui concerne le XIXe siècle, l'étude ne m'en paraît pas suffisamment avancée, élaborées pour que j'y puisse trouver ressource. Plus récemment un espace « festif » : il servirait ici à une contre-épreuve. L'espace populaire n'a pas, n'a plus, en fin d'Empire, l'occasion de se parer des vives couleurs de la fête (5) Depuis 1852 et même 1848, les fêtes parisiennes, ritualisées, militarisées ne se tiennent plus que dans l'espace qui va des Tuileries au Champ de Mars, en plein monde bourgeois (6). Tristesse et monotonie sont désormais le lot indifférencié des quartiers populeux.
Ceci étant et sans rien négliger des apports que pourraient fournir telles nouvelles approches, on peut bien aborder le plus simplement du monde une tentative de description d'un espace populaire en consultant tout bonnement un plan contemporain de Paris, suivant à la trace les percées et les bouleversements d'Haussmann et d'autres. Source bien sèche, décharnée, dira-t-on ! Point du tout si on sait en user concurremment avec d'autres, celles qu'on vient de citer, de multiples descriptions du temps, surtout peut-être un type d'approche qu'on n'a pas encore eu l'occasion de mentionner, mais que justifie pleinement l'identification déjà faite - espace populaire/espace révolutionnaire, tout le faisceau de renseignements que procure l'étude de certains aspects de la Révolution de 1871.
Frontières

 Deux villes côte à côte, un espace populaire dont nous avons - grossièrement - situé les principaux emplacements. Reste que connaître et reconnaître un espace, c'est d'abord en délimiter les frontières.

Elles étaient nettes en juin 1848, si l'on en croit Engels (qui, après tout, n'est pas si mauvais juge en matières de choses militaires en même temps que populaire).

 « La ville était divisée en deux camps. La ligne de partage partait de l'extrémité nord-est de la ville, de Montmartre, pour descendre jusqu'à la Porte Saint-Denis, de là descendait rue Saint-Denis, traversait l'île de la Cité et longeait la rue Saint-Jacques, jusqu'à la barrière. »

Qui ne connaît ce texte, ressassé jusqu'à être devenu un lieu commun dont certains contestent d'ailleurs la validité. Il suffit pourtant d'un du plus bref des coups d'œil sur une carte des opérations militaires et surtout celle bien connue des barri cades de juin 1848. Quelques nuances qu'on veuille faire, ici passe une éclatante frontière.

Mais, en 1870, le texte a peut-être vieilli. Il y a eu Haussmann. Il y a eu l'annexion de la banlieue, les grands « dérangements » de population qui ont marqué le Paris de l'Empire. Enfin, puisque nous travaillons sur plan, il y a eu le total bouleversement en 1860 de la carte administrative de la capitale qui passe de douze à vingt arrondissements. On devra s'interroger sur la portée de ce dernier événement.

 On dirait bien, s'agissant de la frontière au sein de l'ancien Paris, qu'Haussmann ne fait que confirmer et perfectionner la démarcation remarquée par Engels, par la grande percée nord-sud à laquelle nous avons déjà fait une rapide allusion : boulevards de Strasbourg, de Sébastopol, Saint-Michel. Ce qui n'était encore en juin 1848 qu'une zone frontalière qui admettait encore un certain flou (pourquoi la rue Saint-Denis plutôt que la rue Saint-Martin, pourquoi pas la rue Mouffetard, la « vieille rue émeutière », et bien mieux garnie de barricades, plutôt que la rue Saint-Jacques, devient maintenant ligne idéale)

Ligne idéale à quelques corrections près ! Le Paris de l'Ouest, et ce sera sujet de graves mécomptes, annexe, avec l'Hôtel de Ville le sud du quartier Saint-Merri, au-dessous de la rue de Rivoli, petite enclave qui va jusqu'à la rue Lobau, derrière la caserne Lobau (9). Si l'on sait bien que, franchissant la ligne, passant des IIIe et IVe arrondissements dans les IIe et Ier (on ne peut considérer, en dépit de Zola, les Halles comme appartenant réellement à l'espace populaire), on change brusquement de monde, les choses sont moins nettes dans le Xe, où à cause de l'avancée populaire du quartier de la Porte Saint-Denis, l'on ne sait exactement où trancher dans l'espace qui se situe entre le boulevard de Strasbourg et la rue du Faubourg-Poissonnière, comme en 1848 d'ailleurs. Confusion aussi au Nord de la rive gauche, où la percée du boulevard Saint-Michel s'est accompagnée, dans le Ve de l'ouverture de la rue des Écoles, du boulevard Saint-Germain, des rues Monge, Gay-Lussac, Claude-Bernard, ici d'ailleurs l'existence du quartier des Écoles empêche jusqu'à plus ample enquête de déterminer  l'appartenance de l'espace.
 
En ce qui concerne la banlieue annexée en 1850, tout est net, la ligne de démarcation étant marquée très exactement par les boulevards extérieurs (l'ancienne barrière d'octroi, le mur des Fermiers généraux), coïncidant rive droite, au moins jusqu'à la place Clichy, avec les nouvelles délimitations administratives d'arrondissement, n'y coïncidant que beaucoup plus approximativement rive gauche.

On peut ne voir ici encore que banalités, qui d'ailleurs étaient repérables jusqu'il n'y a pas si longtemps, sur place et sur pièces. Elles étaient indispensables à la suite de mon propos, car fixer aussi nettement que possible les frontières de l'espace populaire (à quelques zones d'indécision près, dont ce Ve arrondissement qui nous préoccupera), c'est indiquer de possibles lieux d'affrontement (affrontements armés, mais aussi affrontements de bien d'autres sortes, qui relèvent également de la lutte de classes). Les deux espaces ainsi distingués ne « coexistent » pas, chacun, et c'est vrai surtout de l'espace populaire en 1871, est en situation d'agressé/agresseur.

Précisément, pour vérification (et aussi pour problèmes, car il se peut que ces observations banales doivent être modifiées, et il y va cette fois de la texture exacte de l'espace populaire), procédons en 1871 comme fit Engels en 1848. Nous possédons par exemple des cartes très précises des combats et des barricades pendant la Semaine sanglante, dont l'étude est riche d'enseignements. (cf.  Robert Tombs, La Guerre contre Paris).

 
Rive droite, tout est ou presque dans l'ordre que l'on pouvait attendre. Les Versaillais investissent en un temps très bref l'espace bourgeois (XVIe, VIIIe) - sauf à rencontrer un moment une résistance en somme inattendue (23 mai) place de la Concorde, ici parce que le barricadier en chef de la Commune, Napoléon Gaillard a fait édifier un bastion monumental au coin de la rue Saint-Florentin, barrant la rue de Rivoli. Mais ce qui précisément est significatif, c'est qu'après l'esquisse d'un combat - d'ailleurs violent -, le « formidable bastion » est évacué sur ordre des chefs parisiens, avant même qu'ait commencé une seconde attaque ; il ne vaut pas la peine d'être réellement défendu, car il est hors absolument l'espace populaire. La place Clichy au contraire, barricadée populairement, résiste vigoureusement, et de même les boulevards extérieurs (frontière) jusqu'aux abords de la gare du Nord. Point trop avancé, et difficile à défendre, les Batignolles ont été prises, et sur tout Montmartre (le 23 mai) un des « Monts Aventin » de l'espace révolutionnaire. Mais ici c'est par traîtrise en quelque sorte ; des Buttes Montmartre comme de tout l'espace populaire, on a les yeux tournés vers le plat pays intérieur de la Ville, les Buttes ont été conquises par l'extérieur, par le nord, elles ont été frappées dans le dos. Et voici que désormais les Versaillais pénètrent en pleine pâte de l'espace populaire, et vont s'y engluer profondément ; trois jours pleins au moins. Il n'est que de suivre leur difficile progression. Au soir du 24 mai 1871, ils sont parvenus à la « vraie « frontière : ligne du chemin de fer du Nord, gare du Nord, boulevard de Sébastopol, et celle-ci continue même très classiquement sur l'autre rive, rue Saint-Jacques, rue Mouffetard.

Restons rive droite. Le 25 au soir, ils n'ont pas dépassé la gare de l'Est, et, s'ils ont pu prendre la place du Château-d'Eau (aujourd'hui de la République) et atteindre les boulevards, ce n'a été que par une difficile et coûteuse progression à travers les IIIe et IVe arrondissements, perçant cours et maisons, et sans parvenir à s'emparer de l'objectif principal qui était la place de la Bastille, formidablement défendue parce qu'elle est au cœur (on verra qu'elle en est le cœur) du Paris populaire. Le 26 au soir, ils n'ont guère plus avancé, et sont devant le boulevard Richard-Lenoir et le canal Saint-Martin, sans toujours conquérir la Bastille, qui ne tombera que le lendemain 26 vers midi. Alors tout est consommé, en dépit des derniers feux que jettent Belleville et le haut de la rue du Faubourg-du-Temple, ultimes bastions. Nous tirerons d'autres conclusions de ce pénible cheminement en plein espace populaire (10).

 Rive gauche en revanche, les choses se passent tout autrement, et cela fait problème. Sauf accrocs ça ou là, sauf une brillante résistance des Communeux au carrefour de la Croix-Rouge, rue de Rennes, au Panthéon, dans le XIIIe, la progression se fait avec une régularité presque parfaitement absolue, jusqu'à la Seine, puis au-delà, jusqu'au boulevard Mazas (Diderot), occupé le 26, et qui va permettre le lendemain de prendre la Bastille par le revers, elles aussi.
Doutes
On aura compris, je l'espère, que mon intention n'est du tout de raconter, si brièvement que ce soit, la Semaine sanglante, ce qui serait ici de peu d'intérêt, mais de tester par là, non plus seulement la validité des frontières précédemment établies mais bien aussi et surtout la texture de l'espace populaire, mesurée et estimée par exemple, et entre autres moyens, par sa capacité de résistance. La pâte est ferme, dure, comme on l'attendait dans le Paris central, du Sébastopol au Richard-Lenoir. Il n'en va pas du tout de même ailleurs, et d'abord rive gauche, on vient de le voir, hormis quelques points chauds comme le Ve arrondissement ou le quartier Croulebarbe, et aussi bien après tout, quoique à un degré moindre, des Batignolles à la gare du Nord. Même la vieille rue du Faubourg Saint-Antoine, elle aussi « traditionnellement émeutière », n'a résisté qu'à peine, bien que parsemée de barricades, autant qu'en 1848. L'espace populaire/révolutionnaire manque en somme ici assez étonnamment de consistance. Les explications de la lenteur ou de la rapidité (relative) de la progression versaillaise peuvent varier. On a dit ce qu'il en était pour Montmartre. Mais (sauf à tenir compte des « erreurs stratégiques » des Parisiens) ce qui apparaît à l'évidence, ce sont les très grandes inégalités dans la « consistance » de l'espace populaire. Dès que l'on veut affiner quelque peu l'analyse (analyse professionnelle, nature de l'habitat et date de l'occupation, intensité de l'urbanisation, « couleur » de la misère …), on est tenté de conclure pour une large part à son absence d'homogénéité. Des travaux récents n'ont pas tort qui affirment l'existence fondamentale de « régionalismes » parisiens (11). On n'en multipliera pas les preuves, mais cela est vrai surtout de la banlieue annexée, et plus particulièrement rive gauche. Un rapport de 1859 montre remarquablement la façon dont se sont constituées ces anciennes banlieues (et cette constitution a pu se faire à des dates extrêmement diverses, par exemple entre 1820 et 1860) (12) ; elles se sont d'abord « groupées autour des barrières » (de l'ancien mur d'octroi) « puis étendues le long des routes impériales ». « Plus tard les maisons se sont établies sur les chemins vicinaux », mais sans ordre aucun, "sans autre règle que la convenance de chacun", la conséquence principale étant néanmoins qu'il n'existe pas de lien d'une commune à l'autre. »" Recoupant cette observation avec d'autres, force est bien de constater dans le XVe par exemple que Grenelle (quartier par excellence de la métallurgie) n'est ni Javel (un « écart » occupé par les industries chimiques), ni Vaugirard qui est resté « un village » au sens propre du terme, avec ses jardiniers qui constituent une classe à part (13), lui-même sans grand lien avec un Montrouge tout différent (XIVe) qui le côtoie sans le rencontrer. Les XVe et XIVe sont parfaitement non homogènes, (ils le montreront pendant la Commune), à tous points de vue. L'espace populaire commence à reprendre quelque unité et quelque densité avec le sud du Ve et le XIIIe, unifiés dans une large mesure par la présence de la Bièvre et de l'industrie du cuir, et aussi bien par « 'industrie » et la misère, famélique celle-ci, des chiffonniers (14). Passée la Seine, en revanche, arrivant dans le XIIe on retrouve de nouveau l'absence d'homogénéité et le manque de consistance de l'espace, avec la tonnellerie de Bercy (qui occupe d'ailleurs pour une très large part une population « flottante », jardinages et maraîchages de Picpus et de Bel Air, formant encore ici un sous-espace parfaitement étranger à l'espace ouvrier ou populaire.
 
 
De quelques caractères de l'espace populaire
 
1) Cet espace certes est diversité, comme le montrerait plus fortement encore une histoire approfondie de la Commune du 18 mars au 28 mai, dont nous n'avons pu plus haut étudier que quelques instants, ses derniers. Mais en réalité ; reprenant à l'envers toute l'argumentation précédente, on s'aperçoit facilement qu'elle permet de mieux mettre en lumière les structures profondes de cet espace populaire. Résumant, outre ce qui a été dit, une multitude d'autres observations qu'on n'a pas le loisir et qu'il serait fastidieux de détailler, on constate d'abord, l'existence d'un centre populaire (16) d'un plat pays qui va bien, sur la rive droite, du boulevard nord-sud jusqu'aux limites du XXe arrondissement, de texture extrêmement dense, IIIe, IVe, et XIe arrondissements, lieu privilégié des vieux métiers parisiens du bronze au petit fer et à tous les « arts et métiers » (c'est d'ailleurs le nom d'un quartier du IIIe. Espace tout à fait traditionnel (et chargé combien lourdement d'histoire), la seule véritable modification qui s'y soit produite - on verra un peu plus loin comment - ont été parfaitement « nullifiées » les transformations et percées qu'y voulut faire Haussmann - étant un léger déplacement vers l'Est du centre de gravité de cet espace, des IIIe et IVe, « foyers traditionnels » des émeutes, vers le XIe, plus exactement dans ce que l'on continue, en dépit des transformations administratives de 1860 (le fait est significatif), de nommer Popincourt (17), une triste ville industrielle qui se cache derrière les boulevards du Temple, des Filles du Calvaire et Beaumarchais", mais une ville qui compte au moins main tenant une centaine de milliers d'habitants industrieux. En 1870, le XIe arrondissement est une ville de 163.000 habitants. Ce plat pays s'adosse fortement aux collines de Belleville et de Ménilmontant, qui ont ce caractère d'être moins des lieux de travail que des lieux d'habitat ouvrier, vaste réservoir (on n'ose parler encore de cité-dortoir) d'une main d'œuvre qui chaque matin se déverse sur le Paris central, comme c'est aussi largement le cas pour Montmartre d'ailleurs, en des formes qui en 1870 restent parfaitement analogues à celles dont Zola nous donne l'image dans l'Assommoir, au début de l'Empire.(18) Puis tout rayonne de là. Vers les solides cités, celles-là à proprement parler industrielles, de la Villette et de la Chapelle, annexées non seulement à Paris mais profondément au Paris populaire (La Chapelle d'ailleurs est déjà insurgée en juin 1848), l'espace populaire devenant ensuite de moins en moins consistant, devenant plus « visqueux », allant se dégradant, sauf quelques durs noyaux (les Epinettes par exemple), à mesure qu'on avance vers l'Ouest dans cette ceinture rouge du Nord. Rive gauche, les « misérables » Ve et XIIIe (sauf à tenir compte de l'agression des percées haussmanniennes dans le Ve) sont liés à ce centre par ce véritable cordon ombilical qu'est le pont d'Austerlitz, qui, par le boulevard, Bourdon mène directement à la Bastille ; union qui est ancienne et historique : il suffit à nouveau de se reporter à juin 1848 où l'insurrection vient et va du Panthéon à la Bastille (les deux seuls « monuments », on le notera au passage, dont peut se parer le Paris populaire). Et au-delà encore dégradation, consistance, solidité toujours moindre de l'espace en direction de régions ou de petites agglomérations qui sont peuple certes, et ouvrières, mais qui, pour être annexées à Paris, sont encore, parce que jeunes de constitution, mal structurées, trop inorganiques relativement (lointaines aussi) pour s'être vraiment intégrées à l'espace populaire, jusqu'à Grenelle et à la Seine (cf. note 12). Elles prêteront la main à l'insurrection de 1871, sans la lui donner vraiment.
 
2) Rejetons comme non adéquats les critères mis à la mode par Louis Chevalier pour la période immédiatement antérieure (où il me paraît que là aussi, l'approfondissement des recherches les rend de moins en moins convaincants), de « misère » - même en l'ample sens hugolien, et de « crime » - même si L. Chevalier prend le terme en un sens beaucoup plus profond et large que celui de la vulgaire criminalité. Au sein de l'espace populaire, il y a des lieux, incontestablement des noyaux criminels. C'est ici que pourrait intervenir l'espace policier précédemment invoqué que permettraient de définir les Mémoires de Monsieur Claude. Ces lieux, ce sont fondamentalement les « barrières » (anciennes barrières de l'octroi), de celle de Grenelle jusqu'à l'autre bout de Paris à celle de Clichy. Chaque barrière a sa « terreur » et ses bandes, est lieu de violence particulière (19). Mais ceci n'est plus pour nous que résidu d'un espace antérieur (celui en gros de 1830), ou bien (les barrières criminelles) ne peut servir qu'à mieux marquer certains traits de la frontière que nous avons plus haut délimitée, lieu de lutte, qui est bien de classes, mais dérive ici vers des formes élémentaires de violence qui y sont pour une part apparentées, mais tendent également, avec le temps, à s'en détacher, à n'en être plus qu'une déviance qui prend ses caractères propres. Il y a bien d'autres lieux de crime, ce qui reste des carrières d'Amérique, derrière les Buttes-Chaumont (sur la fin de l'Empire, les crimes commis ici par le fameux Troppmann ont défrayé la chronique tout autant que plus tard l'affaire Landru), les sites privilégiés de la prostitution que sont le quartier de la Porte Saint-Denis, mais bien plus à l'époque l'ancien Ivry avec sa rue de l'Hôpital. La misère, les misères plutôt, ont aussi leurs hauts lieux et parfois identiques à ceux du crime) les cloaques et taudis qui bordent la Seine au pied de la Montagne Sainte-Geneviève, les multiples cités de l'ex-banlieue, dont la population s'adonne le plus souvent à la « chiffe » (on ne citera ici que l'exemple fameux de la Cité Doré, dans le XIIIe) la rue Sainte-Marguerite avec ses mendiants, « l'îlot » de la Roquette (20) où, dit Claude, « les Auvergnats sont maîtres de garnis, maîtres de marchands de vin, maîtres de lupanars. »... Mais qu'il s'agisse de crime ou de misères au sens comme je le disais famélique, ce ne sont que des points ou des noyaux précis, qui ne peuvent servir qu'à colorer parfois, si l'on ose dire la description de l'espace populaire, qui n'en sont plus ou qui n'en sont pas une définition. Or Le "crime " est dans les quartiers « misérables », il en est inséparable. Mais le crime est loin de tout dire de ces quartiers.
 
3) C'est un espace de rejet, sous l'Empire surtout. Le point a été tant de fois évoqué que je ne m'y attarde que pour quelques éclaircissements. Que ce soit le produit de l'énorme croissance de population que connaît alors la capitale ou celui des travaux d'Haussmann, qui "déblaient" le Centre de Paris, par les démolitions par la hausse des loyers. Toute une foule populaire se trouve « dérangée », « déplacée », déportée toujours plus à l'Est, la direction privilégiée de cette émigration allant du centre vers les faubourgs du Temple, Saint Martin et Saint-Antoine puis au-delà vers Popincourt, qui connaît une énorme croissance, pour aboutir enfin à Belleville, Ménilmontant et Charonne (21). Mais par exemple aussi beaucoup de tailleurs ont dû quitter les Ier et IIe pour Montmartre, nombre de tisseurs de châles le quartier de la rue de Paradis pour Plaisance dans le XIVe.(22) Même si on n'avance pas le redoutable mot de ségrégation (et cependant au même moment les riches, les aisés accentuent leur mouvement antagoniste vers l'Ouest), tout confirme ces observations déjà faites en 1855 par Horace Say : "Autrefois (les ouvriers habitaient en général les étages du haut des maisons qu'occupaient du reste des familles d'entrepreneurs d'industrie ou des gens relativement dans 1' aisance. Une sorte de solidarité s'établissait entre les différents habitants de la même maison ... En se transportant au Nord du Canal Saint-Martin et même en dehors des barrières, les ouvriers habitent où ne se trouvent pas de familles bourgeoises et se trouvent affranchis du frein que leur donnait précédemment le voisinage… " (23).
  Et quelles « structures » a cet espace de rejet ? C'est un espace abandonné ou à peu près (les grands travaux d'Haussmann se sont faits essentiellement à l'Ouest), où, hormis quelques grands axes traditionnels, les rues désordonnées et négligées  il est si facile, quand elles sont pavées, de les dépaver pour faire une barricade - s'appellent chemin, impasse, cul-de-sac.... où l'on ne dit pas avenue mais Chaussée ou Route, où boulevard conserve encore pour une grande part au sens anglais de « bullwark ». (24). Espace de l'indigence et des mauvais lieux, mais d'une indigence qui, du fait de la croissance du nombre, se multiplie d'elle-même, de mauvais lieux qui ne sont pas seulement ni vraiment les points ou sites criminels : « jetez un œil sur la carte, ici tous les hôpitaux, tous les hospices, tous les cimetières, les abattoirs, les prisons, sans parler des industries insalubres. » C'est de surcroît un espace dépossédé. On l'a vu dans le cas de l'Hôtel de Ville, cœur de la capitale, « convoitise » de toutes les insurrections jusqu'à celle de 1871. C'est aussi vrai de la Cité, l'île populeuse qu'Haussmann a simplement rasée, pour en faire un « centre » administratif, judiciaire et policier. La place du Château-d'Eau a châtré le boulevard du Temple, avec tous ses lieux populaires de plaisir ou de fête. Les boulevards ne sont plus « peuple » et l'on n'imaginerait plus la procession des cadavres boulevard des Capucines par quoi commença la Révolution de 1848. Les manifestations politiques de la fin de l'Empire ne se font plus que du boulevard Beaumarchais à ce qui subsiste du boulevard du Temple, sur une voie que tous les contemporains s'accordent à trouver « triste et ennuyeuse ». Elles ne s'aventurent que quelquefois jusqu'au Boulevard Bonne-Nouvelle. Mais les casse-tête des sergents de ville sont alors particulièrement efficaces. Rejet vers un espace qui pour partie est non-espace, surface ; mais le peuple n'en est pas encore, c'est trop tôt, au point de non-retour.

 4) C'est un espace agressé (par voie de conséquence agresseur). Il peut paraître banal d'en revenir ici à Haussmann et à ses « percées » : la rue de Rivoli prolongée jusqu'à la rue Saint-Antoine qui ouvre la Bastille, la rue de Turbigo qui donne sur une place du Château-d'Eau régénérée, bien défendue par sa caserne du Prince-Eugène, le boulevard Voltaire (alors du Prince-Eugène) qui tranche profondément dans le vif du XIe, la rue Lafayette qui se prolongeant par la rue de Flandres, ouvre le XIXe, La Villette comme on dit encore. Ce n'est pas à tout ceci qui est fort connu que je voudrais m'en tenir (prenons garde cependant à ce terme qui paraît si usé de « percée » ; il signifie bel et bien pénétration vitale). Il est d'ailleurs de multiples autres formes de cette agression qui est, je le répète, un aspect de la lutte des classes, du moins de la lutte contre le peuple parisien : la percée religieuse par exemple, ecclésiale : urbaniser - ou plutôt « annexer » - sous l'Empire peut se traduire par la construction au sein de l'espace populaire, du moins dans sa partie nouvelle qui en est dépourvue, de nouvelles églises, forme d'installation agressive (à tout le moins considérée comme telle) dans un espace dont il est difficile encore de dire, mais peu importe, s'il est irréligieux (par vieille tradition qui peut remonter à la Révolution), ou areligieux (par nouvelle formation). Citons rapidement : Saint-Michel des Batignolles, construite (en bois) en 1858, Saint-Bernard de la Chapelle (1858-1861), Notre-Dame de la Croix à Belleville (1863-1869), Saint-Pierre de Montrouge (1861-1862), Saint-Lambert de Vaugirard (1848-1853), et par-dessus tout, touchant, frappant en plein cœur Popincourt, la nouvelle église Saint Ambroise (1863-1869). Dans toutes ces églises (entre autres naturellement), le peuple de 1871 installera des clubs, dont le plus vigoureux est peut-être celui des Prolétaires (25) dans la ci-devant église Ambroise, par une espèce de contre-offensive qui est très exactement processus de réappropriation.

 5) Car, et c'est ici qu'en fait je voulais en venir en évoquant les trouées d'Haussmann (et autres) tentées dans la pâte de l'espace populaire - et c'est peut-être le seul véritable intérêt de leur étude -, nous sommes en présence d'un espace évidemment agressé et dépossédé, mais bien plus exactement,constamment agressé/réapproprié. Il y a lutte (de classes, d'espaces), lutte où le préfet impérial n'est pas du tout constamment victorieux comme certains ont pris l'habitude de le croire, et comme le laisserait croire le simple examen d'un plan, ou la lecture de ses Mémoires. Il est vrai qu'il triomphe souvent. Il y a par exemple le cas de la rue du Faubourg Saint-Antoine, dont on a déjà souligné l'inertie révolutionnaire (relative) remarquable tant au 18 mars que pendant la Semaine sanglante ; « Rome n'est plus dans Rome » dit un contemporain. C'est qu'on a soigneusement mis le Faubourg sous bonne garde, en l'enfermant, le « bouclant » comme on l'a montré très récemment (26) dans un triangle de voies neuves à la fois stratégiques et dépersonnalisées/dépersonnalisantes, les boulevards Richard-Lenoir, Mazas et du Prince-Eugène. On construit en outre dans le XIIe arrondissement l'avenue Daumesnil qui lui fait forte concurrence. Voilà le vieux faubourg émeutier « décoloré » ; il est vrai qu'il subsiste à son orée la place de la Bastille.
Mais l'opération peut aussi bien parfaitement ou partiellement échouer. Deux exemples parmi bien d'autres. On a bouleversé (intentionnellement) la carte administrative en 1860, donné de nouveaux noms aux quartiers ou arrondissements. Mais le bouleversement n'est en effet que nominal, les vieilles appellations subsistent, Popincourt, Belleville (qui ne coïncide nullement avec la commune ancienne du même nom), Montmartre, Montrouge, Grenelle, Vaugirard… (27). On a décrit plus haut le véritable « quadrillage » du Ve arrondissement. Il paraît radicalement transformer le quartier, effacer surtout le vieux Faubourg Saint-Marcel, autre point fort révolutionnaire. L'opération semble parfaitement réussie et elle l'est pour une large part. Néanmoins, dans une langue populaire qui se parlera encore longtemps, le Faubourg Saint-Marceau, existe toujours, et les « artères » (au sens fort) du Ve restent la rue Saint-Victor, même si on l'a pratiquement effacée de la carte, son ancien trajet portant désormais d'autres noms, et la rue Mouffetard, même, si elle a perdu (comme la place Maubert) de sa consistance, même si elle est amputée au sud pour devenir bourgeoisement avenue des Gobelins. Ici les révolutions haussmanniennes ne sont en un sens que placage : l'espace populaire est pénétré, mais non réellement déformé.
 Et c'est surtout peut-être à la lumière, sous l'éclairage des événements révolutionnaires de 1870-1871 qu'on peut tester cette capacité de lutte et de résistance qui me paraît l'un des caractères fondamentaux de cet espace populaire révolutionnaire. Je n'évoque que pour mémoire cette l'idée que j'avais jadis lancée et qui eut quelque fortune de la réappropriation de l'Hôtel de Ville, aspect de la reconquête de la Ville par la Ville (populaire). Bien d'autres faits, moins éclatants, mais du même ordre, mériteraient d'être rappelé. J'ai évoqué la contre-offensive qui ne me paraît pas seulement anti-cléricale) sur les églises des quartiers populaires ; j'y ajoute aussitôt la reconquête du Panthéon, recléricalisé sous l'Empire, immédiatement décléricalisé après le 18 mars : il suffisait de trancher les deux bras de la croix pour en faire une hampe porteuse d'un drapeau rouge. Belle « percée » stratégique que la rue de Turbigo ! elle sera pendant la Semaine sanglante une de celles où il sera le plus difficile d'avancer, avec les trois barricades au moins qui la jalonnent : l'arme s'est retournée contre son porteur et le peuple est toujours chez lui. Même chose pour le Boulevard Richard-Lenoir qui vient recouvrir partie du Canal Saint-Martin, une des vieilles lignes de résistance de l'espace révolutionnaire (idée, dit Haussmann, qui « enthousiasma mon empereur ») ; on a vu que pendant la Semaine sanglante, cette ligne de résistance n'avait perdu en rien de sa vitalité. Je m'attarderai un peu plus sur un dernier exemple, la fameuse percée de l'avenue du Prince-Eugène, l'étude étant ici, je crois, particulièrement révélatrice. Il s'agit bien d'une trouée stratégique, je l'ai dit, dans le vif du XIe, de la place de la République (alors du Château-d'Eau) à la place de la Nation (alors du Trône), tranchée ouverte à partir de 1857. Mais l'empereur déjà, qui en est si fier, n'ose l'inaugurer en grande pompe en 1862 que par le sud, par la place de la Nation, non pas comme il eût été normal, par le nord, par la place du Château-d'Eau qui est trop dangereusement peuple. Elle a été, cette « tranchée », tout particulièrement réappropriée. Dès septembre 1870 elle est rebaptisée (toujours l'importance du nom) en boulevard Voltaire. Ce boulevard sera pendant la Semaine sanglante forte ligne de résistance, et la mairie du XIe, sise en son milieu exact, est aussi le dernier refuge de ceux qui restent des chefs de la Commune, après qu'ils ont dû quitter l'Hôtel de Ville. Il y avait eu dès l'Empire, d'autres aspects plus « triviaux » de cette réappropriation. Chassé de la rue du Temple, puis de la rue de Provence, le théâtre populaire des Délass-Com est venu s'installer sur ce boulevard du Prince Eugène en 1864 ; tout près, à la même date, s'y est édifié, étrange pagode chinoise, le café-concert populaire Ba-ta-clan, qui, au moins pendant le siège, servira de lieu de réunions populaires. Mais on se souviendra surtout de la mort, le 25 mai, de Delescluze, descendant dans une marche tragique ce boulevard jusqu'à la barricade de la Place du Château d'Eau où il se fait volontairement tuer. Je ne puis m'empêcher de voir dans ce geste ultime, de voir, en dépit de tout, en dépit de la défaite, l'affirmation faite pas à pas, dans la douleur, de l'appropriation et de la possession par le peuple de cette portion d'espace. Surimposée au cœur du Paris populaire, cette voie a été sitôt reconquise. L'espace populaire se défend victorieusement, même dans la défaite.
 
6) Dernier élément ! cet espace populaire qui est rejeté, agressé, dépossédé, est pour le peuple espace de refus, espace profondément interdit à tout autre que le peuple. On ne peut s'en emparer (momentanément) qu'au canon et par la supériorité des armes. Rappelons cette identification - en fait bourgeoise - qui est faite des classes laborieuses et des classes dangereuses, cantonnées à camper dans de mauvais quartiers, de mauvais lieux. Quoi qu'elle ait pu encore une fois signifier avant 1848, elle est devenue sous le Second Empire peur pure et simple d'aller s'aventurer dans les quartiers populaires où l'on est le malvenu, l'intrus, non parce qu'on est dans cet espace criminel que par exemple la littérature mettait une complaisance évidente et excessive, à fréquenter, à observer, et à dire, mais bien parce qu'on est désormais dans un monde devenu spécifique ment autre. Il y a précisément, littérairement parlant, cassure, fracture, et distance entre le moment où s'achève, avec la mort de Baudelaire (28) et Les Misérables (1864), une ancienne vision et une ancienne diction du Paris populaire, et celui où en commence une autre, naturaliste et populiste, avec parmi d'autres Zola. Le littérateur ne communie plus avec les « faubourgs », il les observe de loin et d'ailleurs ; il y aurait beaucoup à dire sur cette mutation de l'aperception littéraire du Paris peuple, signe que l'espace populaire a pris d'autres allures et une autre texture, mais ce n'est pas ici de notre propos. On se contentera d'une observation historique de 1871 - certains la trouveront peu convaincante, je suis persuadé qu'elle est essentielle : anecdote, mais que je crois riche d'un sens très précis. Depuis le 24 février 1871 - date anniversaire de la proclamation de la République de 1848 - le Paris peuple vient apporter au pied de la colonne de la Bastille témoignage de son deuil et de la défaite et des menaces qui pèsent sur la IIIe République à peine née. Le 26, la foule - dieu sait comment - repère un agent de police, dont on croit (et sans doute le fait-il) qu'il relève les numéros des bataillons de la Garde nationale venus manifester. On le maltraite, on le poursuit jusqu'à la Seine où on le jette et on le noie, avec tous les raffinements de cruauté atroce dont est capable une foule ameutée, et qui vaudrait une étude en profondeur. Affaire toute simple ? on se débarrasse d'un mouchard. Que s'est-il passé au vrai ? L'agent de l'ordre, Vicenzini, est là à la Bastille où le tout peuple est cérémoniellement assemblé. Il viole par sa présence un espace (particulièrement sacralisé) où il n'a pas lieu, où il n'a pas droit d'être. Il a pénétré dans un espace qui lui est interdit spécialement ; d'où la colère enragée de ses vrais occupants et possesseurs, et le caractère presque "rituel" de son meurtre (à bien chercher, on en trouverait maints exemples dans les révolutions précédentes). Pour la plèbe romaine autrefois, le Mont-Aventin était aussi « sacer » en tous les sens mal traduisibles de ce mot (29).
 
À la Bastille
 
À tout espace, il est au moins un foyer, à tout espace vital il faut un cœur. Ce foyer et ce cœur, c'est bien la Bastille avec sa colonne de Juillet. Je n'aime pas spécialement les broderies poétiques sur le « mythe » de la Bastille (30). Mais la Bastille avec sa colonne de Juillet est bien ce foyer, ce cœur, ce centre vrai de l'espace populaire et révolutionnaire. On pourrait en écrire une bien prodigieuse histoire, de 1789 jus qu'à nos jours (de la Bastille, pas de la Bastoche). Je n'en parle qu'en 1870 ou 1871. Elle est ce centre où aboutissent toutes les voies qui sont les artères et les lignes de forces de l'espace populaire, même celles qu'on a cru bouleverser. Pendant le Siège et la Commune, même si « Rome n'est plus dans Rome » et que le "terrible" Faubourg Saint-Antoine a cédé à d'autres quartiers la principauté révolutionnaire qu'il avait eue longtemps, dont Belleville ou Montmartre, les clubs et les assemblées populaires sont d'une particulière densité dans toute la surface qu'elle « commande » immédiatement : Ba-ta-clan, bal Bourdon, club des Terres-Fortes (rue Lacuée), comité de la rue d'Aligre, club des Prolétaires Saint-Ambroise (31). On vient de le dire : c'est à la Bastille que dans un unanimisme populaire qui touche à l'unanimité, à partir du 24 février et jusqu'au début mars encore les bataillons de la garde nationale populaire sont venus témoigner de leur deuil cérémoniel, enrobant la colonne de ces fleurs funèbres qu'on appelle immortelles. Prendre la place de la Bastille, c'était l'objectif principal des troupes versaillaises. « Derrière elle - écrit le Général Vinoy - s'étendaient les quartiers de Bercy, du Faubourg Saint-Antoine, de Ménilmontant et de Belleville... ». Cœur elle est, et en même temps c'est par elle que s'ouvrent les grands quartiers de l'espace populaire et révolutionnaire. Ceinturée de barricades, « fort naturel », elle va résister pendant la Semaine sanglante près de deux jours et demi. Elle n'a pas manqué à son rôle, pas plus qu'en 1848 ou qu'en 1830, et sa colonne au Génie de la Liberté, c'est le point focal, le point privilégié, le point redouté à partir duquel sans aucun doute se structure l'espace révolutionnaire.
 
Il ne peut y avoir de conclusion à ces trop brèves notes, où l'on ne pouvait qu'effleurer le problème proposé, qui était en somme de passer de la surface à l'espace, de la notation abstraite (chiffre ou plan...) à ce que l'on croit être une réalité, à scruter - vieux problème - des structures au travers d'une conjoncture. On a dit bien des banalités, et on l'espère, quelques choses neuves. Que ce soit invitation à une réflexion qui n'est ici qu'à peine amorcée sur ce qu'est cette sorte d'espace-temps, dont, historiens ou autres, nous commençons à apercevoir l'existence et l'importance, sur le Paris de la Commune aussi qui m'est cher. Alors ce que l'on vient de dire, bien ou mal, ne serait pas totalement inutile.



(1) L. Lazare, Les quartiers de l'Est de Paris et les communes suburbaines, 1870
(2) L. Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses, Plon, 1958.
(3) Je reprends la vieille expression de François Miron (en réalité inventée très postérieurement) : « il n'est pas bon que les dodus soient d'un côté, et les menus de l'autre. » Popolo grasso, popolo minuto, l'antagonisme des gros et des menus était aussi une vieille évidence dans les cités italiennes médiévales.

(4) Cf. les travaux de J. P Aron, Essai sur la sensibilité alimentaire à Paris au XIXe siècle, Cahiers des Annales, 1967, et Le mangeur du XIX° siècle, Laffont, 1973.

(5) Tous les contemporains constatent le dépérissement ou la totale disparition des fêtes dans les quartiers populaires et notamment dans les communes annexées en 1860 où l'absorption dans Paris et l'urbanisation ont fait mourir de vieilles coutumes villageoises. Plus de combats de taureaux à la « Barrière du Combat », plus, depuis 1839, de « descente de la Courtille », ce carnaval populacier du mercredi des Cendres (avec Milord l'Arsouille) qui voyait les Bellevillois déferler de leurs collines vers le plat pays qui est à leur pied, - préfiguration de futures descentes révolutionnaires ; il ne reste plus que la fête du « Bœuf gras » carnaval sans grande joie officialisé et « récupéré » par le régime : on offre an grande pompe le bœuf à sa Majesté impériale. A peine reste-t-il, çà ou là la guinguette ou le bal, mais bien plus le cabaret, la « bibine » ou l'« assommoir ».
(7) Joies au rabais et frelatées. Gardons-nous aussi d'oublier ce que j'appellerais « l'espace policier », qu'on peut admirablement peindre dans ses détails grâce aux Mémoires de Monsieur Claude, le dernier chef de la police de l'Empire. Il aura sa place de choix dans nos observations.(8)

(6) On trouvera de remarquables récits de ces fêtes ritualisées, par exemple la fête de la Concorde, le 21 Avril 1848 (du Palais Bourbon au Champ de Mars) et celle de la Distribution des Aigles le 10 mai 1852 (Champ de Mars), et de bien d'autres, dans E. Gourdon de Genouillac, Paris à travers les siècles, t. V, 1882.
(7) Quant à considérer, après tel sociologue, la révolution populaire 1871 par exemple - comme le mouvement ou l'acte « festifs » qui précisément rompent la monotonie de la « quotidienneté », je ne souhaite pas ici m'engager en un débat douteux, l'idée, au départ séduisante, n'ayant pas donné les fruits qu'on en pouvait attendre.
(8) Mémoires de Monsieur Claude, Chef de la police de sûreté sous le Second Empire, Paris, Rouff, 2 vols., s.d. C'est merveille que de les dépouiller, encore que Claude commette parfois de graves anachronismes. Paris sous le regard d'un policier, qui sait tous les repaires du « crime ».
(9) Cf. Paris-Guide, 1869. Entre les rues de Rivoli et de Lobau, les quais et la place du Châtelet, « là tout est neuf, tout est bourgeois ». Mais au-delà, dans les quartiers Saint-Merri et Saint-Gervais, « une population laborieuse mais souffreteuse et sans gaîté, exerce dans des logis d'un autre âge de petits métiers souvent peu lucratifs et surannés… »
(10) Il faut relire ligne à ligne (en le comparant avec d'autres sources), le Rapport du Maréchal de Mac-Mahon sur les opérations militaires du 21 au 28 mai 1871 (J. O. 1871). De même, Général Vinoy, L'armistice et la Commune, Plon, 1872.
(11) Cf. la remarquable thèse de Jeanne Gaillard, Paris, la Ville (1852-1870), Atelier de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1976, et notamment « Aspects du régionalisme foncier dans la capitale », p. 84-119.
(12) Grenelle n'est habité que depuis la veille de la Révolution de 1830. C'est à partir des années 1840 que « le Montmartre d'en bas » se peuple densément. Des quartiers sud du XIVe (notamment Plaisance – de Chauvelot) ou du XIIIe (notamment la Maison-Blanche) de formation plus récente encore ne datent que de 1860, environ, et dans tout le Sud du Paris-rive gauche, les espaces inhabités sont encore en nombre considérable.
(13) Cf. J. Lapalus, Histoire de Vaugirard. Monographie d'un vieux village et d'un nouvel arrondissement, multigraphié, 1877,(Archives de la Seine) : « Le XVe […] ressemble moins à un faubourg qu'à une agglomération de villages mal soudés. Sur le bord de la Seine, c'est Grenelle, avec ses maisons et ses fabriques récentes Sur la hauteur c'est Vaugirard, avec ses toits moussus, ses maisons basses, ses rues tortueuses comme les sentes d'autrefois. Autour de ces deux centres, de larges vides. »
(14) « Chiffe » ne signifie pas automatiquement criminalité, quoi qu'en constate Monsieur Claude dans ses Mémoires. Mais c'est un remarquable indicateur de l'existence de noyaux de misère : entre autres, rue Sainte-Marguerite dans le XIe, dans 1'espace délimité, dans le Ve, par le boulevard Saint-Germain et les quais, ainsi que dans toutes les « cités » qui pullulent dans les quartiers extérieurs, dont la plus célèbre est la Cité Doré dans le XIIIe (2.500 personnes environ).
(15) Cf. sur ce point les observations déjà faites par L. Chevalier et qui s'appuient sur l'étude de Sabatier, Bercy, ville inconnue a trois kilomètres de Notre-Dame, 1868.
(15) On ne continuera pas ce tour de Paris, sauf à observer que dans le XXe même, où l'on se sent en 1871 en pleine et forte pâte populaire, il faudrait, et les habitants le font, soigneusement distinguer Belleville de Ménilmontant (chacun autour des avenues ou Chaussées de même nom), séparés par une « frontière » d'une extrême précision, et ces deux « sous-ensembles » du Père-Lachaise, de formation plus récente, du Haut-Charonne surtout, encore fortement rural, le Bas Charonne, depuis 1848 au moins est absorbé par le tout proche Faubourg Saint-Antoine). Prétendra-t-on vraiment à l'existence d'un espace populaire/révolutionnaire cohérent, dense et consistant, lorsqu'on entrevoit tant de diversité ? Qu'on se souvienne de surcroît qu'en 1871 - ce fut longtemps un des aspects trop négligés de cette révolution - chaque arrondissement populaire requerra en quelque sorte son droit à l'autonomie, son droit à la différence. Dans une tout autre perspective, et l'administration impériale et l'opposition libérale bourgeoise qui est très forte à Paris s'efforçaient sous l'Empire à disloquer et tronçonner (c'est particulièrement sous cet angle qu'il faut lire la nouvelle carte administrative façonnée en 1860) l'espace populaire, « afin de le rendre plus gouvernable », comme le dit le libéral A. Cochin.
(16) Ce centre lui-même est en apparence de la plus extrême diversité, pour ne prendre que le IIIe arrondissement, citons E. de la Bédollière, qui écrit en 1860. « Le IIIe arrondissement a plusieurs physionomies distinctes suivant les quartiers. [...] Entre la rue Saint-Martin et la rue du Temple, se tiennent les marchands de meuble d'occasion. Aux environs du Conservatoire des Arts-et-Métiers, les bijoutiers en or, en argent, les bijoutiers garnisseurs, en doré, les lapidaires, les doreurs en cuivre et en bois, les tourneurs, les repousseurs, les acheveurs en cuivre, les ciseleurs, les graveurs. Sans parler de l'Horlogerie, des peignes, du cartonnage, de la tabletterie, etc… » Mais tout cela fait une unité, celles des articles de Paris, des métiers de Paris traditionnels.
(17) Équivalent actuel de nos quartiers Saint-Ambroise et Roquette.
(18) Il n'y a pas en 1870, équivalence entre lieu de travail (les industries sont concentrées dans les quartiers intérieurs de Paris), et lieu d'habitat. Voici, d'après des Archives de -police, en 1872, ce qu'il en est pour le Père-Lachaise (XXe), mais peut facilement être généralisé à bien d'autres quartiers "extérieurs" ; « Le quartier du Père-Lachaise, comme ceux qui l'entourent, est habité par une population dont les occupations sont à l'intérieur de Paris ; ainsi qu'il est connu de tous, les petits logements sont nombreux dans nos parages… ».
(19) On trouvera dans un prochain numéro une carte du Paris criminel, selon les Mémoires de M. Claude, accompagné naturellement des observations et restrictions nécessaires.
(20) « L'« îlot »  de la Roquette :  selon Monsieur Claude, on peut le situer et le définir très exactement par l'intervalle formé par les rues de la Roquette et de Charonne. Il comprend la rue de Lappe avec ses Auvergnats (Louis Chevalier a tort de nier ici leur présence prééminente) et se continue par les rues Keller et Sainte-Marguerite. « De la rue, de Lappe jusqu'au haut de la rue de la Roquette, depuis la Musette du Roi de Suède jusqu'à celle de la Maison-Blanche, l'Auvergnat règne et gouverne, par droit de musette, d'absinthe et de bourrée… » . M. Claude, p. 2112.
(21) On peut suivre avec prudence sur ce point, Halbwachs, Les expropriations et le prix des terrains à Paris, pour qui les lignes d'évolution de densité des quartiers détermine largement le tracé de certaines voies nouvelles.
(22) Pour les tisseurs de châles, voici ce que note Le Play, Les Ouvriers des Deux Mondes, t. 1, 1857, monographie n°7, p. 300-301. « Presque tous autrefois habitaient dans l'intérieur de Paris et spécialement dans le Faubourg Saint-Martin. Mais la cherté croissante des loyers a déterminé le déplacement graduel de cette industrie. Les deux tiers à peu près des châliers ... se trouvent rassemblés en ce moment (en 1857) à la Maison-Blanche, l'autre tiers est disséminé dans d'autres parties de la banlieue et dans le Faubourg Saint-Martin… »
Voir également Statistique de l'industrie à Paris pour l'année 1860, Chambre de commerce de Paris, en ce qui concerne les tailleurs : « En 1848, les ouvriers tailleurs et apiéceurs étaient groupés dans le centre de Paris ; ils logeaient, pour la plupart, dans les garnis des rues Saint-Honoré, Montorgueil, du Faubourg Saint-Honoré, de l'Arbre-Sec, de Saint-Germain— l'Auxerrois ~du Roule, des Viarmes des Vieux-Augustins, et dans les maisons des piliers des Halles et de la cour d'Aligre... Chassés par les démolitions, un grand nombre d'entre eux ont été forcés de se retirer dans les quartiers où autrefois on ne trouvait que peu de gens de leur profession ; ainsi beaucoup d'entre eux se sont transportés du côté de la Montagne Sainte-Geneviève.... tandis qu'un certain nombre sont allés demeurer tout à l'opposé de Paris, notamment dans l'ancienne commune de Montmartre. » Il y a quelque 30. 000 tailleurs à Paris. Quand en 1867 ils se déclarent en grève, c'est à l'Élysée-Montmartre (XVIIIe) qu'ils tiennent leurs réunions.
(23) AN F8 239 ; cité notamment par Louis Chevalier, Classes Laborieuses..., p. 233.
(24) Le mot, nôtre d'abord, a passé la Manche et nous est revenu chargé de son ancien sens militaire.
(25) Le club (ci-devant Saint-) Ambroise est à peu près le seul pour lequel en 1871, nous ayons conservé des archives, abondantes et très révélatrices de l'esprit populaire révolutionnaire cf. l'étude d'Alain Dalotel sur La Commune dans le XIe arrondissement de Paris.
(26) Jeanne Gaillard, op. cit., carte face à la page 39.
(27) Il est parfois des résistances nominales qui conduisent à remonter très haut dans le temps. Début 1870, il existe une section de l'Internationale qui porte le nom de Faubourg-du-Nord (en fait le Faubourg Saint-Denls. On ne peut la repérer qu'en se reportant à la carte du Paris sectionnaire de 1793. Il existait alors une section Faubourg-du-Nord).
(28) Sur l'ancienne diction, cf. P. Citron, La Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau à Baudelaire, 1961. L.Chevalier fait volontiers remarquer la différence d'appréhension entre Zola et Balzac : « Balzac regarde, Zola se documente. » Et pour qu'on trouve un livre qui reprenne - en un tout autre temps - l'étude commencée par Citron, il faut attendre le Paris des Surréalistes, de Marie-Claire Bancquart, Seghers, L'Archipel, 1972. Mais le Paris de ces néo-révolutionnaires n'a presque plus rien de populaire.
(29) Il n'est pas d'ouvrage anti-communard qui ne contre avec un plaisir évident l'atroce affaire Vicenzini. Voir par exemple M. A. Fabre, Vie et mort de la Commune, Hachette, 1947, p. 22 et suivantes.
(30) Si l'on en cherche une analyse vraiment sérieuse, on se reportera aux remarquables travaux de Mona Ozouf sur la notion de fête révolutionnaire, et aussi au livre de Rosemonde Sanson Les 14 juillet, fête et conscience nationale, 1789-1975, Flammarion, « La tradition et le quotidien », 1976. Sur ces bases, toute une nouvelle méditation de ce que j'esquisse ici serait à entreprendre derechef.
(31) On a bien parlé en quelque sorte d'espace nommé, d'espace « langagier », mais on n'a pas eu le loisir de s'étendre sur la remarquable géographie des réunions populaires de 1870 1871, où précisément, en parlant, le peuple se montre vraiment, et qui sont un élément de description et de compréhension de l'espace populaire. Mais s'il n'en a pas été question expressément, les observations faites à, ce sujet ont été largement utilisées pour tenter d'exprimer les conclusions qui précèdent.
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