La Première Internationale à Lyon 2. Documents

Documents

 

  Années 1864 à 1866

 


1.   Les débuts de la section lyonnaise

 

Source: A.M.L. I2 55 27, rapport du commissaire Faure, février  1870

 

La création de l'Association Internationale des Travailleurs remonte à 1862, époque de l'Exposition universelle de Londres; le projet en a été conçu par les délégations, ouvrières des diverses nations et plus particulièrement par la délégation française. Cette fédération des travailleurs n'a commencé à prendre réellement un corps qu'en 1864, où fut définitivement fondé à Londres le Conseil général de l'A.I.T., qui publia son programme socialiste. Lorsque le manifeste du comité de Londres parut, les anciens délégués à l'Exposition de cette ville, Monet, Bergeron, Chupin et leurs amis qui avaient conservé des relations avec les membres des diverses délégations étrangères convoquèrent les coopérateurs influents pour constituer un comité de correspondance.

D'un autre côté un certain nombre d'hommes beaucoup plus politiques que socialistes en firent autant ; parmi ces derniers on remarquait Maire, tisseur, Comte, navetier, Durand, navetier, Chapitel, qui à cette époque était cordonnier et qui est devenu teneur de livres, Chanoz, tisseur, Sécrétant, tisseur, Blanc, tisseur, Mingat, cordonnier, Soeux, tisseur, Schettel, mécanicien et plusieurs autres démagogues ayant figuré parmi les hommes d'action de 1848 qui cherchèrent les moyens de se mettre en rapport avec le comité de Londres, qui répondit que ceux qui désireraient devenir adhérents de l'Internationale devaient se constituer par groupes et nommer un correspondant. Il y eut pour la nomination de ce correspondant et pour le choix des chefs de groupes plusieurs réunions où il s'établit des rivalités qui empêchèrent toute entente entre les premiers promoteurs de l'Internationale; la fraction des anciens délégués à l'Exposition fut accusée d'avoir des accointances avec le Palais-Royal, la Chambre de commerce et même avec l'autorité supérieure et n'offrait aucun caractère d'indépendance. Celle-ci prétendait que la coterie rivale n'était composée que d'hommes appartenant aux vieilles défroques révolutionnaires des sociétés secrètes, qui par leurs principes ultra-démagogiques épouvanteraient les timides et finiraient par compromettre l'association. Bref, chacun croyant avoir raison, il ne fut pas possible de s'entendre.

Le parti révolutionnaire se réunit seul et choisit pour correspondant Schettel, mécanicien, rue Hospice des Vieillards n° 2, non pas à cause de ses capacités qui sont nulles, mais parce qu'il avait figuré dans les troubles politiques, avait été réfugié à Genève et figuré parmi les derniers candidats de la démocratie au conseil d'arrondissement.[...] Le comité de Londres leur envoya environ 500 cartes d'adhérents, qu'ils se partagèrent, distribuèrent au hasard et dont quelques-uns n'ont jamais rendu compte.

Ce premier comité de l'Internationale a cherché à organiser des groupes à Lyon et à établir des correspondances avec d'autres localités,[…] mais a fini par tomber sous le mépris de la démocratie lyonnaise qui n'a vu dans ses principaux meneurs que des hommes sans probité et sans valeur intellectuelle. (Il était composé) de Schettel, mécanicien, Bonnet, tisseur, prud'homme de cette corporation, Soeux, menuisier. Blanc père, tisseur, Faure, moulinier, réfugié à Zurich à la suite de diverses escroqueries commerciales, Palix, tailleur, Monier, rentier passant pour un usurier, Chomain, imprimeur, ancien gérant du Guignol et du Gnafron, Chardonnet, employé de commerce, cours Lafayette, réputation des plus véreuses, Sipel, chaudronnier aux ateliers du chemin de fer à Oullins, Durand et Comte, navetiers, Maire, tisseur, Mayer, employé de chemin de fer, Richard père, teinturier, Richard fils, homme de lettres, Batifois, épicier, Vincent-Clément, tisseur, ex-transporté en Afrique et divers autres démagogues à tout crin.

 

2.    Rapport de police du 16 mars 1866

 

Source: A.M.L. F 46 271.

 

« L'association internationale se donne beaucoup de mouvement et cherche partout des adhérents qui ne s'empressent pas trop d'y entrer.[…] Les débats qui ont eu lieu entre Schettel et la commission ont mis en lumière le chiffre réel de tous les membres de l'association. Les cartes délivrées par Schettel aux sociétaires portaient comme numéros d'ordre les chiffres 15 et 1.600 et Schettel laissait entendre que ces chiffres indiquaient le nombre des adhérents lyonnais. Quand il a fallu rendre compte des sommes par lui perçues, tout a changé et il s'est trouvé que Lyon comptait à peine 150 à 200 adhérents. »

 

3.    Lettre de Schettel au préfet du Rhône - 6 avril 1866

 

Source: A.M.L. I2 55 1.

 

Monsieur le Sénateur,

 

La Société internationale des travailleurs fondée à Londres pour s'occuper des grandes questions  intéressant  la  classe  ouvrière  m'a  institué  son  correspondant  à  Lyon.

Les adhérents à cette société qui n'a et n'aura jamais d'autre but que de rechercher les  causes  et les  remèdes  à  apporter  au  malaise  qui  pèse  sur  le  travail  sont  déjà nombreux. Pour en faire partie, il suffit d'une petite cotisation de 1.25 Fr. destinée à couvrir les premiers frais d'institution et la répandre dans tous les pays, sans distinction de langues et de nationalités.

Un exemplaire des statuts déposé à la Préfecture au mois de juin 1865 contient le programme et la ligne de conduite que tiendra la Société internationale des Travailleurs.

À l'exemple de toutes les sociétés savantes, des sociétés d'agriculture, des sociétés des beaux-arts etc. etc. ayant chacune un but spécial, la société internationale, avec le concours de ses membres répandus dans toutes les villes de France, veut étudier les problèmes économiques qui peuvent assurer l'avenir du peuple.

Un congrès doit avoir lieu à Genève le 15 mai prochain. Les délégués de tous les travailleurs, sans distinction de pays, doivent assister à cette réunion. Lyon serait fière d'y être représentée, car elle a bien quelque droit dans cette lutte de dévouement au bien-être des travailleurs, de présenter quelques considérations et réflexions sages et prudentes.

À cet effet les adhérents à la société internationale des travailleurs, par respect aux lois, s'engageant à laisser la politique de côté, uniquement préoccupés des questions sociales qui peuvent les intéresser, désirent se réunir pour nommer les délégués chargés d'exposer leurs voies et leurs aspirations au Congrès.1

Je viens donc en leur nom, Monsieur le Sénateur, vous demander l'autorisation nécessaire pour convoquer en assemblée générale Dimanche prochain 15 courant chez M. Frédouillère, rue Duguesclin, les ouvriers de cette ville adhérents à la Société Internationale  des  Travailleurs.

 

Espérant que rien ne s'opposera à l'accueil de la demande que j'ai l'honneur de vous adresser, je vous prie de me croire,

 

Votre très humble serviteur

 

A. Schettel

 

1 Les délégués lyonnais au Congrès de Genève (3-8 septembre et non mai 1866) seront Schettel, Honoré Richard (père d'Albert Richard), Sécrétant, tisseur et Baudy.



4.    Lettre de Schettel au même, 18 décembre 1866

 

Source:  A.M.L. I2 55  10.

 

Monsieur le Sénateur,

 

La mission qui m'avait été confiée de représenter à Lyon la Société internationale des travailleurs étant expirée par suite de la tenue du Congrès de Genève, je viens vous prier de vouloir bien m'autoriser à convoquer une assemblée générale des sociétaires de Lyon pour le dimanche 30 décembre à 10 h. du matin chez M. Frédouillière (sic), rue Duguesclin n° 167, à l'effet d'élire une commission de correspondance.

 

Voici l'ordre du jour de cette séance :

 

1° Rapport  sur  la  délégation au  Congrès  de  Genève,  situation  financière

2° Proposition d'organisation de Crédit Mutuel

3° Nomination d'une   Commission de   Correspondance   en   remplacement   du   correspondant  dont le  mandat est  expiré.

Dans  l'espérance  d'une  réponse  favorable, veuillez  agréer.  Monsieur  le  Sénateur,

 

Mes sincères salutations

 

A.  Schettel   1

 

1   L'autorisation de  tenir cette réunion est refusée, d'ordre  exprès  du  Ministère  de l'Intérieur (A.M.L. P 55 9) du 28 décembre 1866.

2.    Organisation par quartiers de l'Internationale à Lyon

 

Source: A.M.L.  P 55 28.*

 

Groupe

 

Président

membres

de la rue de la Madeleine n° 16

Bonnet

25       à         28

du Jardin des plantes (rue Tholozan, 19)

Ravier

16       à         18

de la rue Tholozan, 6

Rachel-Duthel

18       à         20

de la petite rue de Cuire

Baton

17       à         19

De la rue du Mail

Carrier

17       à         20

de la rue Lemot

Bourdillon

24       à         26

de la rue Masséna

Vignollet

21       à         23

de la rue Sainte Rose

Raynouard

21       à         24

de la rue Pailleron

Reynaud

25       à         27

du quai de Serin

Richard père

21       à         24

du quai Pierre-Scize

Blanc père

28       à         30

de Saint Paul

Schoninger

27       à         30

de la rue de l'Arbre sec

Servet

27       à        30

de la rue de la Monnaie

Decleris

30       à         35

de la rue Saint Joseph

Favier

27       à         29

Groupe Guynamard (en projet)

Guynamard

25       à         28

Groupe Sécrétant (en projet)

Secrétant

21      à          25

Groupe Bellemain (en projet)

Bellemain

18       à         21

de la rue Bouteille (en projet)

Vincent,Clément

 

de Vaise (en projet)

Tripier

 

de Saint Georges (en projet)

 

 

de Saint Just (en projet)

Raffin

 

 

 

 

 

#  Ce document donne la liste nominative des principaux membres de chaque groupe ; je n'en reproduis que la récapitulation. Il ne porte pas de date, mais se situe très probablement dans le courant de 1866.

Pour compléter ces documents peu nombreux des années 1864-1866, il est indispensable se reporter à A.  Richard, « Les  débuts  du  socialisme  français », Revue  politique et parlementaire, janvier 1897.

 

 

 

 

Année 1867

 

1.    Manifeste des travailleurs lyonnais adhérents à l'A!.T.

 

Source: Progrès de Lyon, 28 février 1867.

 

L'Association Internationale des Travailleurs a étendu ses rameaux dans toute l'Europe occidentale avec une grande rapidité, mais plusieurs de ces rameaux ont été entravés dans leurs développements, et dans quelques endroits il a fallu toute la puissance de cette sève qu'on appelle la force des choses pour qu'ils puissent continuer de se fortifier. Il n'y aurait pas là de quoi s'étonner outre mesure dans une époque arriérée où l'intérêt particulier et l'esprit de parti prédomineraient parmi la société ;mais dans le dernier tiers du XlXè siècle, n'est-ce pas ou un aveuglement bien profond ou une injure faite pour exaspérer les masses intelligentes que cette opposition acharnée des classes prépotentes (sic) à toute nouvelle manifestation du progrès? Opposition acharnée, disons-nous; nous voudrions dire autrement, mais il est certain qu'en France particulièrement, ces classes, fidèles à leurs traditions archi séculaires et s'apercevant que le gouvernement allait céder de quelques pas au torrent libéral lui ont montré l'Association internationale comme un monstre naissant, aux replis gigantesques et qu'il était bon d'enchaîner sans bruit. Et voilà le gouvernement qui, au lieu de nous

 

laisser nous instruire, d'observer nos actes avec réflexion et impartialité, au lieu de nous interroger, de nous consulter même s'il l'eût jugé nécessaire, arrête les carnets qui nous étaient envoyés par notre conseil central et ne nous accorde pas à Lyon l'autorisation de nous réunir au moment même où il se prépare à parler de la nécessité du droit de réunion.

Et cependant le gouvernement français parle de seconder l'initiative individuelle ; il sait quels trésors pourraient sortir de cette mine féconde; il sait que la coopération est à l'ordre du jour parmi nous; qu'elle ne peut que favoriser l'accroissement des capitaux, perfectionner la production, enrichir le pays moralement et matériellement, occuper les esprits, apaiser les passions. Il sait que les travailleurs auraient bien assez à faire à résoudre toutes les questions économiques qu'ils se sont posées, si on les laissait librement s'en occuper, sans songer à aller verser sur la place de la Révolution un sang si précieux pour eux et pour les leurs. Et d'ailleurs quel serait l'homme assez dépourvu de bon sens pour désirer un changement par la force brutale, une effusion de sang, quand il verrait se développer devant sa libre initiative les vastes horizons de l'avenir, et que le joug qui le fatiguait précédemment perdrait constamment de sa pesanteur.

 

Le gouvernement sait tout cela mais il se méfie [...].

 

 (Suit un long plaidoyer, l'Internationale n'obéit à aucune influence occulte venue du Conseil central de Londres. Ses buts sont « la coopération et la confraternité humaines. »)


Quelle autre objection peut-on nous faire? Il en est une encore qui n'est guère bien appuyée. Dans plusieurs de nos réunions partielles on se serait occupé de politique. Qu'appelle-t-on politique? Nous n'avons jamais fait que discuter nos intérêts.

Nos réunions étaient donc purement économiques. S'il en est parmi nous qui quelquefois sont allés trop loin sur ce terrain, ce dont nous ne nous souvenons pas toutefois, nous les blâmons également et un accord sérieux s'est établi entre tous nos adhérents pour que ces matières soient toujours rigoureusement écartées de nos débats habituels. Enfin pour aller au-devant des accusations [...] pour répondre à une question inévitable et dont nous reconnaissons pleinement la justesse, nous ajouterons maintenant que les bases de l'association internationale sont posées partout, plusieurs sections sont prêtes à entrer dans la période d'activité, en s'adonnant à l'exploitation d'une branche commerciale ou industrielle quelconque.

Après de mûres délibérations, la section de Lyon vient de s'arrêter sur un vaste projet de fondation d'une société coopérative, embrassant à la fois l'industrie, le commerce et la prévoyance. Ce serait, croyons-nous, la plus large, la plus favorable aux intérêts des ouvriers et la plus démocratique qui soit encore fondée: sa réussite ferait le plus grand honneur à la ville de Lyon. Nous sommes prêts à donner sur ce sujet tous les renseignements qu'on nous demandera. Sont-ce là des idées de désordre et sommes-nous si dangereux pour le pouvoir ?

Il y a malveillance quand on nous montre tout prêts à provoquer un bouleversement social dont nous profiterions pour nous emparer de toutes les propriétés, absolument comme des tard-venus du Moyen âge, et il y a ignorance quand on peut croire que l'amélioration du sort des travailleurs pourra causer la ruine de quelqu'un. Que nous importent le capital ou la propriété des autres quand, avec le seul produit de notre travail, nous pourrions, au bout d'un certain temps, acquérir des richesses semblables. Ensuite cette acquisition de notre part ferait-elle réellement tort aux capitalistes ? C'est ce que nous allons voir. D'abord nous admettons parfaitement que l'intelligence et l'économie de certains hommes soient les véritables causes qui aient concentré les richesses dans leurs mains. Nous admettons donc que cette concentration a eu sa raison d'être et qu'elle l'a encore jusqu'à un certain point. Nous la respectons parce qu'elle est le fruit du travail et une phase du progrès. Ce que nous n'admettons pas, c'est que ces hommes enrichis par le travail, ou leurs fils, enrichis par le droit d'hérédité, profitent de cette concentration qui leur est déjà si avantageuse pour humilier des travailleurs moins heureux, les rétribuer tout juste autant qu'il faut pour qu'ils puissent continuer à grossir la fortune de leurs maîtres et les tenir dans une perpétuelle dépendance.

 

Nous n'admettons pas non plus que l'on se trouve heureux dans l'exercice d'une aussi épouvantable tyrannie. Certes, c'est pousser bien loin l'égoïsme que de ne vouloir être heureux qu'aux dépens des autres, et il nous semble qu'il ne serait pas nécessaire d'avoir de grandes notions de morale pour préférer être heureux en compagnie de ses semblables. Nous voulons même croire que bien des capitalistes ont assez d'humanité pour réprouver une aussi odieuse maxime...La question désormais se réduit à ceci: c'est que la majeure partie des maîtres d'aujourd'hui, quels qu'ils soient, en voyant disparaître leur puissance excessive, croiraient voir disparaître leur véritable félicité, la source de toutes leurs satisfactions.[...] En principe quoi de plus faux que ce raisonnement ? Nous croyons, nous, qu'un capitaliste ne peut perdre, en supposant arrivée la réalisation des espérances actuelles des travailleurs, que son orgueil, sa suprématie qui n'est qu'un embarras, ses remords et ses inquiétudes, triste fardeau qui lui pèse, nous en sommes certains, bien plus qu'il ne le croit lui-même.

Et tout cela comment le perdra-t-il ? Ce ne sera pas par la violence, mais par le moyen de la coopération, qui, peu à peu, formera aux travailleurs de nouveaux capitaux. Il est à croire que les besoins de la société allant toujours en augmentant, et la production se développant proportionnellement, on aura besoin des capitaux des anciens capitalistes, qui de cette manière ne se trouveront nullement lésés dans leurs intérêts ...

Il faut que les travailleurs, comme les anciens chevaliers, gagnent leurs éperons, qu'ils s'instruisent, qu'ils se moralisent, et quand ils seront tous les égaux des capitalistes, sous le rapport intellectuel, ils ne seront pas loin de l'être sous le rapport matériel ...

Jusqu'ici on a toujours vu, il est vrai, une partie de l'espèce humaine passer sa vie dans le remords et l'inquiétude, parce qu'elle croyait trouver le suprême bonheur à tyranniser l'autre, tandis que cette dernière ne cessait d'ourdir contre la première des trames qui parfois aboutissaient à d'épouvantables cataclysmes.[…] Ne vaudrait-il pas mieux que ces deux classes, se souvenant que la même mère les a engendrées et que le même destin les attend, se tendissent fraternellement la main pour s'aider à gravir cette montagne abrupte dont le sommet est encore bien loin et qu'on appelle le progrès. Pour cela que faut-il de la part des capitalistes et des hommes du pouvoir ?

Moins de pusillanimité, moins d'égoïsme, moins de méfiance; plus d'esprit de justice, plus de grandeur d'âme, plus de bienveillance. Que faut-il de la part des travailleurs ?

Moins d'excitation et de passion; plus de morale, plus de réflexion, plus d'énergie et de froide réflexion. [...] Le travailleur s'irrite toujours de son impuissance et des abus qui l'entourent, mais qu'on lui fasse entendre le grand et solennel langage de la vérité, qu'on fasse appel à ses sentiments généreux, qu'on lui dise un mot, un seul mot, Fraternité, et il est tout prêt à oublier toutes ses rancunes passées et à ouvrir ses bras, ces bras robustes qui ont fait la civilisation, à celui qui hier encore n'était son ennemi qu'à cause de leur commune inexpérience.

Qu'on apprenne donc à nous connaître, et que le gouvernement français, qui paraît animé des meilleures intentions n'apporte pas d'entraves sur le chemin de notre émancipation ; la gloire qu'il se serait ainsi acquise aux yeux de la postérité serait telle qu'aucune des gloires souveraines qui sont retracées dans l'histoire ne pourrait rivaliser avec elle.

Pour les sections de Lyon, les représentants provisoires : A. Richard, Palix, L. Baudrand, délégué au Congrès de Genève, Chanoz, Doublé, Ch. Monier, H. Richard, délégué, Vindry, Blanc, Chardonny, Deraudy, Chasset, Chanat, A. Schettel, délégué au Congrès de Genève, Sœeux, Bevillard, Perra, Charavat.

 

2.   Rapports de police pour l'année 1867

 

Source: A.M.L. P 43 158 à 268.

 

—  169 : 6 mars 1867. « Le manifeste des délégués de la société internationale a été loin de satisfaire un grand nombre de démagogues, notamment ceux qui passent pour avoir une certaine influence parmi les masses. Ce mécontentement tient à plusieurs causes: la première est le point d'orgueil qui perce chez les membres de l'Internationale qui n'ont pas été convoqués à la rédaction et à la signature de cet opuscule socialiste et qui le trouvent mauvais; ils accusent en outre les signataires d'avoir agi sous le manteau de la cheminée. On les accuse d'être des hommes tarés, ayant figuré dans les menées les plus révolutionnaires et impossibles, auxquels l'administration supérieure n'accordera jamais  d'autorisation pour une assemblée générale.

Les hommes d'action qui proclament qu'il faut avant tout une révolution politique reprochent à ce manifeste de s'être étendu trop longuement sur les questions économiques et trouvent tout à fait mauvais le blâme que les signataires se permettent d'infliger aux hommes qui s'occupent de politique. Plusieurs vont jusqu'à prétendre que l'Internationale n'a jamais été autre chose qu'une souricière faisant les affaires de la police.

On a également fait remarquer que 6 groupes seulement sur 18 sont représentés par les 19 signataires. Quant aux hommes qui ont joué un rôle actif dans l'organisation primitive de cette société, tels que les sieurs Maire, Durand, Comte, Gauthier, Perrel, Bonnet, Ménard, Ravier, Sécrétant et beaucoup d'autres font complètement défaut à l'autorité  du  manifeste.

Il paraît certain que depuis la publication qui en a été faite dans le Progrès, les membres épars de la société se sont revus et qu'il a été arrêté pour dimanche prochain une réunion générale de tous les représentants des sections à l'effet de procéder à la liquidation définitive, liquidation très modeste, car il m'a été assuré que la somme à liquider s'élevait à 67 Fr. pour toutes les  sections ».

—  171 : 11 mars. « La réunion des chefs de groupes a eu lieu hier soir. Cette réunion n'était pas nombreuse, 7 groupes seulement étaient représentés, encore plusieurs n'étaient-ils venus que pour fournir des renseignements attendu qu'ils sont dissous de fait. L'on cite comme se trouvant dans ces dernières conditions les groupes de la rue Tholozan et du Jardin des Plantes ; MM. Ravier et Ménard ont déclaré que les deux groupes s'étaient constitués en crédit mutuel et qu'ils s'en tiendraient là jusqu'à nouvel ordre. Ils ont manifesté le désir que la société internationale s'organise sur des bases légales. Il a été signalé également que les groupes de la rue Lepelletier, de la rue Dumenge, des Bernardines de Perrache, de la rue de la Tête d'Or et de la Guillotière s'étaient également dissous momentanément. [...] Des discussions d'une nature irritante ont eu lieu entre les membres présents à cette réunion, notamment entre Schettel et Gauthier. Ce dernier a fait rejaillir sur le premier les fautes commises par l'association et la coterie des hommes politiques à la tête de laquelle il se trouve. Schettel a accusé Gauthier de vouloir semer la division sur cette association... À la suite de ces discussions, on a décidé que la dette restant serait payée par les groupes qui existent encore. Cette décision prise on a passé à quelques propositions sur la transformation de la société. M. Vindry a présenté une proposition émanant du groupe de Serin dont il est délégué ; cette proposition tend à établir une vaste association de production, de consommation et de prévoyance.  Elle a été favorablement  accueillie.

— 172 : 18 mars. « La nouvelle commission d'initiative de la société internationale s'est réunie hier 17 courant. Elle a procédé à la nomination de son bureau composé de MM.  Gauthier, président,  Palix,  trésorier,  et  Richard  fils,  secrétaire. 

L'on s'est ensuite occupé des moyens à employer pour opérer la transformation de la société. La discussion a porté sur deux points principaux, à savoir si les membres de l'Internationale établiraient une vaste association de production et de consommation ou s'ils se borneraient, tout en tendant la main au mouvement coopératif sous ses diverses formes, à propager le crédit mutuel gratuit chez tous les travailleurs et ensuite les relier entre eux par une sorte de solidarité fédérative qui tout en laissant à chaque groupe son indépendance permettrait à un moment donné d'ouvrir à chacun de ses membres un crédit plus considérable. [...] Malgré une foule d'arguments émis de part et d'autre, mais où toute allusion politique a été écartée, la question n'a pas été tranchée.[...] Le président de cette nouvelle commission étant l'un de mes indicateurs, je pense que je serai en mesure de vous renseigner sur tout ce qui s'y passera. »

—  176 : 25 mars. « La commission internationale nommée dernièrement n'a vécu que ce que vivent les roses. Dans une réunion qui a eu lieu hier les membres qui composaient cette commission se sont séparés après une violente discussion et avoir déclaré   sa   dissolution.

La coterie politique dans laquelle se font remarquer Schettel, Sœux, Palix, Monier, Doublé, Richard, Bevillard et autres, qui ne se sont ralliés au mouvement coopératif que pour abriter derrière lui leurs menées démagogiques vont, dit-on, essayer d'organiser une association mercantile. La coterie des partisans exclusifs du mouvement coopératif qui ne veulent être soumis à aucune influence politique et à la tête de laquelle on remarque Muguet, Gauthier, Moron et Lorain veulent essayer de tenter une association de crédit mutuel tout en s'appuyant sur les associations déjà existantes. »

—  180 : 1er avril. « D'après divers renseignements qui m'ont été fournis, il est certain que quelques membres de l'Internationale persistent dans leur projet d'organiser l'Internationale en société mercantile. Les principaux meneurs de cette nouvelle organisation qui se sont constitués en comité provisoire sont Schettel, Palix, Richard père et fils, Doublé et Faure ; ils ont organisé divers groupes dans les divers quartiers de Lyon et s'occupent en ce moment à rédiger de nouveaux statuts pour leur société commerciale.

Samedi soir 30 courant, ils ont eu une réunion; ils étaient au nombre de 20 individus. La réunion était présidée par Palix; on a procédé à la réception de 3 nouveaux adhérents, parmi lesquels se trouve un de mes indicateurs... Ils ont maintenu la commission qui doit être chargée de faire des démarches pour faire publier des statuts dans le journal Le Progrès. D'après quelques propos échangés dans cette réunion, chaque membre de la branche lyonnaise et des ramifications des villes voisines verserait un franc par mois pour former le capital qui sera employé à fonder la maison de commerce. L'on s'est également occupé de la souscription organisée par Tolain, Fribourg et Varlin, les correspondants de la branche parisienne, en faveur des ouvriers bronziers de Paris et des ouvriers de Roubaix. »

—  184 : 13 avril. « L'on m'a communiqué hier un renseignement sur la commission des cinq qui s'intitule bureau de correspondance pour la section lyonnaise de l'Internationale. Cette commission qui cherche à se mettre à l'abri de tout soupçon de conspiration politique travaille activement à l'élaboration des statuts de la société coopérative qu'elle a l'intention de fonder. Seulement il paraît qu'il s'est déjà élevé dans le sein de cette commission quelques dissidences. Schettel, fort de son titre de correspondant, cherche selon son habitude à s'imposer; d'un autre côté Richard fils, jeune démagogue qui n'a pas encore 25 ans et qui n'est pas moins présomptueux que Schettel tâche d'avoir la haute main sur tout ce qui se fait. Les trois autres membres, Palix, Faure et Doublé n'étant pas, à ce qu'il paraît, de taille à maîtriser ces deux petites ambitions se demandent déjà comment leur nouvelle tentative finira.

Pour ce qui est des relations de cette commission avec le Conseil central de Londres et la commission de Paris, il paraît qu'elle a été loin d'être bien accueillie. Aussitôt constituée, elle s'est empressée par l'intermédiaire de Schettel d'écrire au Conseil, central de Londres pour lui annoncer sa constitution. Mais le Conseil ne voyant figurer à côté du nom du correspondant aucun nom ayant une notoriété démocratique et peut-être aussi ayant reçu d'un autre côté quelques avis sur la manière dont cette commission était composée à Lyon n'a pas répondu. Ce n'est qu'à une deuxième lettre qu'il aurait déclaré d'une manière évasive qu'elle (sic) était étonnée de ne voir figurer aucun ancien nom qui avait l'année dernière participé soit au Congrès soit à la commission du rapport sur les questions traitées au Congrès. Il a notamment demandé des nouvelles de Durand qui était président de cette commission. Il résulte de cette réponse que le Conseil de Londres paraît n'attacher qu'une médiocre importance à ces nouveaux représentants de la section lyonnaise. Un deuxième fait qui établit le peu d'influence de la commission de la section lyonnaise, c'est qu'elle a écrit également trois lettres à la commission de Paris représentée par Tolain, Fribourg et Varlin  et  que  cette  commission  n'aurait  pas  daigné  répondre.

Pour terminer ces notes sur l'Internationale, je vous dirai que quelques souscriptions ont été faites en faveur des ouvriers bronziers et des ouvriers de Roubaix. Ces souscriptions s'élèveraient au plus à 50 Fr ; l'exiguïté de cette somme indiquerait que dans les tendances de solidarité qui commencent à germer dans la famille des travailleurs  de  tous les  pays, l'ouvrier  lyonnais  se montre  circonspect. »

— 187 : 24 avril. « Les membres de la commission exécutive discrédités à la Guillotière, Perrache et à la Croix-Rousse se sont rejetés sur les Brotteaux, Serin et Pierre-Scize. C'est dans ces trois quartiers qu'ils se donnent le plus de mouvement pour organiser leur société coopérative.[…] Ils ont déjà terminé la rédaction de leur projet de statuts qu'ils vont probablement soumettre samedi prochain à l'approbation des séries...

Je termine ma note sur cette société en vous faisant savoir que des germes de division habilement semés dans la commission administrative, comme elle s'intitule, ne tarderont pas  à porter  leurs  fruits. »

— 189 : 29 avril. « Dans les réunions qui ont eu lieu avant-hier et hier, l'on s'est occupé de l'adoption des statuts qui doivent être insérés dans le journal Le Progrès, Les colonnes de cet organe démocratique seront également enrichies d'une réponse aux ouvriers prussiens en faveur de la paix dans le style de celle publiée par l'Internationale de Paris.1 C'est dans la réunion qui doit avoir lieu ce soir que ce factum humanitaire doit être adopté.

On reçoit dans cette réunion les journaux La Voix de l'Avenir, publié à La Chaux de Fonds (Suisse) et Le Courrier français. Les articles les plus violents de ces journaux  y  sont  encore  plus   violemment  commentés.

L'on a donné lecture dans ces réunions de lettres venant de Paris et de Roubaix écrites par Varlin... et l'autre signée de Lécluse, ouvrier de Roubaix. Ces lettres n'ont pas un caractère politique; il y est seulement question de remerciements et de demandes  de renseignements  en matière  d'association  coopérative ».

 

1   Le texte, par ailleurs insignifiant, en est reproduit par O. Testut, L'Internationale et le jacobinisme…, t. 1, p. 240.


—  191 : 15 mai. « La discorde est complète parmi (les Internationaux) et nul doute qu'elle ne finisse par amener la dissolution de la commission actuelle.[…] En attendant ils continuent toujours leurs menées.[…] Les meneurs principaux de la société font aussi des voyages dans les villes environnantes pour se mettre en rapport avec les démagogues des groupes correspondants. Dimanche dernier, les sieurs Blanc, Richard fils, Chanoz et Cuminal ont été à Vienne pour s'entendre avec le sieur Marcheval président de la section internationale de Vienne. Ils ont été également le même jour à  Givors...

L'on commence à s'occuper dans cette société du prochain congrès ouvrier qu'elle doit tenir à Lausanne le 2 septembre prochain (suit l'énumération des questions qui doivent y être discutées). Il a été également question parmi les membres de la Commission des futures élections pour le Conseil général. La société internationale doit combattre les candidatures présentées par les démocrates bourgeois, choisir un candidat ouvrier et faire une active propagande en faveur de ce dernier. »

—  194 : 24 mai. « On m'a assuré que la commission internationale se donne beaucoup de mouvement pour organiser son projet de maison commerciale. Elle est en train d'écrire à tous les hommes les plus avancés et les plus influents des grands ateliers et usines de Lyon pour les engager à se rendre au sein de la commission pour y prendre connaissance des statuts et s'entendre avec elle pour organiser ladite société. »

—  196 : 31 mai. « Les Internationaux qui veulent à toute force faire parler d'eux cherchent à embrigader dans leur société les plus rageurs et les plus mauvais coucheurs de la démagogie. Ils ont la prétention de présenter aux prochaines élections soit pour le conseil général soit pour l'assemblée législative des candidatures ouvrières choisies parmi les plus chauds partisans de ce système. Hier 30 courant... les démagogues qui s'étaient rendus à l'appel de l'Internationale se sont réunis chez Guillet cafetier.[…] La réunion avait pour but de créer un comité électoral ultra-démocratique et choisir un candidat appartenant à la classe ouvrière. Les discussions ont été assez violentes, l'on s'est livré à des attaques contre les démocrates bourgeois et surtout contre un prétendu comité Ferrouillat, 1 dont il ne fallait à aucun prix se faire les instruments. Les membres de l'Internationale ont proposé pour candidat Faure, moulinier, membre de la commission exécutive de cette société. On a remarqué dans les discussions que les anciens affiliés du carbonarisme ou autres sociétés politiques qui ont joué un rôle en 1848 défendaient au contraire le comité Ferrouillat, non pas qu'ils sympathisent avec les démocrates bourgeois, mais ils donnent pour raison que la bourgeoisie est fatiguée de l'Empire, qu'elle cherche à le renverser, que par conséquent il faut lui prêter un concours dans son oeuvre de démolition, quitte à la combattre plus tard. Cette réunion s'est terminée sans avoir rien décidé. »

 

1 Avocat, l'une des notabilités du parti républicain; il collabore au journal La Discussion. Sera député de la Troisième République.

—  197 : 4 juin. « Une réunion de démagogues ayant pour but de constituer un comité électoral ouvrier a eu lieu dimanche dernier.[…] Elle était composée d'environ 25 démagogues des plus connus.[...] La séance a été des plus orageuses; les Internationaux ont soutenu le principe des candidatures ouvrières et Schettel a été jusqu'à déclarer traître à la démocratie ceux qui ne se rallieraient pas à ce principe. Les démagogues anciens affiliés des sociétés politiques ont soutenu qu'il fallait encore marcher avec la  bourgeoisie. »

—   214 : 13 juillet. « La lettre de Richard (Albert), publiée dans Le Progrès comme un ballon d'essai en faveur des candidatures ouvrières, que caressent quelques petites unités de l'Internationale, est critiquée par les démagogues politiques qui, tout en détestant la bourgeoisie, prétendent qu'elle a encore seule la force de renverser le gouvernement et que la fusion avec elle est un excellent moyen pour opérer la révolution. »

—  234 : 18 août. « Malgré les efforts de son comité exécutif (l'Internationale) *a de la peine à se constituer sérieusement à Lyon. On compte 6 groupes : un tenu aux Brotteaux chez Beysson, composé d'environ 45 membres, présidé par Bret, mécanicien; deux groupes à Serin, l'un de 26 membres et l'autre de 16 membres, présidés par Richard père et Vindry ; un à Pierre-Scize, composé de 20 membres, présidé par Blanc père ; un à Saint-Just, d'environ 40 membres, présidé par Picornaud; un à Saint Clair, de 12 à 15 membres, présidé par un nommé Tasseaud (Tasso ?), teinturier, que l'on dit d'origine italienne. Ce qui porterait le nombre des Internationaux marchant avec la commission exécutive à 132 membres.

Les groupes de la Guillotière et de la Croix-Rousse ont fait scission et ont l'intention de s'organiser à l'abri des petites sociétés de secours mutuels.

Les démocrates internationaux des villes environnantes telles que Saint-Etienne, Givors, Vienne, Tournon, Neuville, Saint-Rambert (Ain) et autres petites localités, qui ignorent la situation estropiée de cette association, se sont laissé prendre à la glu de la commission exécutive et lui donnent une importance qu'elle n'a réellement pas. Elle est en outre très divisée, n'a pu encore choisir ses candidats pour le Congrès de Lausanne et réunir les premiers sous pour les frais de voyage.[.. ?] La réunion d'hier au soir.[...] a été des plus orageuses ; il paraît que de 7 h. et demi à 9 h. et demi ; on s'y est disputé de la manière la plus grossière.On m'a même assuré que les passants s'arrêtaient pour écouter. Il paraît que c'est la candidature de Schettel qui a été cause de la discussion: ce dernier a quitté la séance en disant qu'il allait écrire sa démission de correspondant au Conseil central de Londres. »

—  238 : 27 août. « (La dernière réunion de l'Internationale) se composait de 24 délégués.[...] Les discussions qui ont eu lieu entre ces délégués d'une société qui admet pour principe la fraternité ont été des plus violentes. Schettel y a été accusé de détourner les fonds de la société ; il s'est justifié de cette accusation en disant qu'il reconnaissait devoir à la caisse une somme d'environ 16 Fr et qu'il était prêt à la verser, que s'il ne l'avait pas fait c'est que l'on n'avait pas encore réglé définitivement les comptes. Richard fils a été accusé de faux ; Vindry et Rousset ont prétendu qu'il avait imité leur signature sur une circulaire de la société dont ils n'avaient pas eu connaissance et dont ils ne partagent pas l'esprit ; enfin après les récriminations les plus violentes, les délégués se sont divisés en deux camps, l'un a suivi Schettel et Blanc, et les autres ont suivi Palix, Doublé et Richard fils. La première de ces coteries doit avoir ce soir une réunion [.. où doit être signé un procès-verbal de la séance d'hier, faisant mention de l'accusation de faux portée contre Richard ; ce procès-verbal serait fait en double expédition, l'une destinée au Congrès de Lausanne où l'accusé doit être mis à l'index, et l'autre aux divers groupes de Lyon. Palix, Doublé et Richard doivent de leur côté provoquer une réunion pour jeudi prochain.[…] où d'accord avec le groupe on emploiera probablement les mêmes moyens contre Schettel et ses partisans. » 1

 

1 Chaque camp envoie son délégué à Lausanne, Schettel pour le premier, Palix pour le second. Schettel a tenté, mais en vain, de faire mettre Richard en accusation parle   Congrès.

 —  244 : 2 octobre. « Quant aux Internationaux, depuis le retour de leurs délégués, ils sont encore plus divisés. La commission exécutive est démembrée. Les 5 ou 6 groupes qui composaient cette association ont vu diminuer leurs membres. Cependant ils ont encore quelques réunions. Le groupe le plus zélé (est) dirigé par Palix, Doublé et A. Richard. On m'a assuré que le 14 septembre, ils avaient organisé un petit banquet où ils étaient 18 parmi lesquels on m'a cité : Palix, Ailloud, tailleur à Vienne, délégué au Congrès, Richard père, Richard fils, Cuminal, rentier, Bevillard, journalier, Blanchin, tisseur, Dupuis, ex-employé au gaz, Tasso, teinturier à Saint Clair, Michel, Boisset, tulliste, Alex, teinturier. Doublé, Cantin, chenilleur, Fayot, Bret, chenilleur. Palix, Ailloud, Richard fils et Doublé ont proféré des discours où les questions politiques et sociales les plus radicales ont été proclamées. On y a chanté deux couplets du Chant du Départ, un de la Marseillaise et les chansons politiques de Pierre Dupont.

{Un autre) groupe de l'Internationale est en voie de formation. Les principaux promoteurs sont Ressouche, mécanicien, Pommier, moulinier, Rougeaud, cordonnier, Audouard, tailleur, Sipel, mécanicien, Delauzun, représentant de commerce et l'un de mes indicateurs. »

—  246 : 8 octobre. « Les Internationaux sont loin à ce qu'il paraît de professer les principes de fraternité. On m'a assuré que Schettel avait été violemment apostrophé et même rossé d'importance par l'un des membres de la société dans un café où se trouvaient réunis environ 25 membres de l'association qui s'y étaient donné rendez-vous pour s'expliquer. »

—  250 : 28 octobre. « Il y avait hier au soir une réunion de 22 membres chez un sieur Bellot, restaurateur. Parmi les membres qui s'y trouvaient, on m'a signalé les nommés Schettel, Blanc, Ressouche, Sipel, Charravet, Carnal, Chardonney, Mayet, Vindry, Guibert, Varin, Chasset, Arnay, Duc, Picornaud, Bellot et Fays. On a procédé à la nomination d'une nouvelle commission composée de 5 membres qui sont Picornaud, Carnal, Vindry, Blanc et Chasset. Schettel a été conservé en qualité de correspondant.[…] Il doit y avoir une autre réunion dirigée par Palix, Doublé et Richard fils. »

—  251 : 31 octobre. « La deuxième réunion des Internationaux a eu lieu dimanche dernier. Ces derniers ont fait complètement scission avec Schettel et sa bande. Ils ont nommé une commission provisoire composée de 4 membres qui sont Bret, tisseur, Cuminal, propriétaire rentier, inventeur d'une mécanique, Tasso, teinturier et Deschamps,  employé à la Buire. »

 

Année 1868

 

1.   La conjoncture économique et sociale.

 

Source : Archives du Ministère de la Guerre : rapports de gendarmerie.

 

Janvier : « La classe ouvrière n'est pas heureuse pour les motifs suivants : la cherté des vivres, la modicité des salaires et le manque de travail. Il n'y a pas de chômage proprement dit, car tout le monde travaille plus ou moins dans de mauvaises conditions, un certain nombre de jours par semaine; mais la moyenne des journées se trouve ainsi fort réduite, et déjà le prix de la journée était à peine suffisant... La soierie travaille encore assez... Les tulles vont assez bien... Les travaux de la Buire marchent toujours très bien, malgré le renvoi de 160 ouvriers que des améliorations apportées  à l'outillage ont fait remercier... »

 

Février ; « Il y a une reprise très sensible dans la fabrication de la soie unie... Quant aux rassemblements de la place Bellecour, ils n'ont jamais eu un aspect inquiétant. Ils étaient composés d'ouvriers sans travail sortant en grande partie des ateliers de la Buire. […] (ceux-ci) ont renvoyé 500 ouvriers, presque le tiers de leur personnel... La verrerie et l'imprimerie sur étoffe ne font travailler que trois à quatre jours par semaine. .. »

 

Mars : « A Lyon, l'ouvrier en soie, qui si souvent parle de liberté, continue à se plaindre de ce que les fabricants envoient travailler dans les campagnes au lieu de leur réserver tout le travail... Tout ce qui tient à la soierie est dans des conditions inférieures à celles  du mois  dernier... »

 

Avril :   « Les  classes  vivent  côte  à  côte   dans  une  indifférence  assez  grande.   Cependant, entre l'ouvrier et le fabricant,  depuis  longtemps, l'insuffisance  des  salaires  a créé une sorte  d'hostilité  dont les racines  sont vivaces.[.. ?]  La  soierie  et  ses  annexes se sont un peu améliorées pendant le mois... Les ateliers de la Buire ont repris une grande  partie  des  ouvriers  qu'ils  avaient  renvoyés... »

 

Juin: « La classe ouvrière est évidemment un peu plus à l'aise que le mois dernier, sans cesser d'être encore très gênée.[…] La matière première est tellement mauvaise, le fil se brise si souvent que le tisseur ne fait ressortir que de faibles journées. Les cotonniers, manquant d'ouvrage dans leur spécialité, travaillent aux champs.[…] Les ateliers  de la Buire ont renvoyé  100  ouvriers. »

 

Juillet: « La soierie travaille comme elle ne l'avait pas fait depuis longtemps, elle manque de bras. La teinturerie est dans les mêmes conditions... Les ateliers de la Buire occupent encore 1.100 ouvriers, mais la transformation des fusils étant terminée, il est question d'en renvoyer une partie. La cristallerie et la verrerie vont très  bien... »

 

Septembre : « La classe ouvrière qui a souffert si longtemps se trouve actuellement dans de bonnes conditions relatives. À Lyon, environ 500 métiers ne battent pas faute d'ouvriers. On n'entend plus de plaintes.[.. ] Les ateliers de la Buire ont encore renvoyé 300 ouvriers...»

 

Novembre : « Les salaires ne sont suffisants que pour les ouvriers qui ont constamment de l'ouvrage et qui ne sont pas chargés de famille, les autres ont beaucoup de peine à équilibrer leurs dépenses avec leurs ressources... La soierie marche assez bien.[...] Les tulles, la cristallerie et la navigation sont en pleine activité. Les ateliers de la Buire travaillent mieux que le mois dernier et occupent 400 hommes... »

 

Décembre : « La classe ouvrière commence à ne pas être heureuse, elle se défend péniblement. Il n'y a pas eu de grèves, mais sur la soie, le coton, dans la teinturerie, les ouvriers chôment un et deux jours par semaine.[...] La soierie souffre dans toutes ses4 branches. La teinturerie se ralentit.[…] La situation des tulles est excellente... »

 

2.    Lettre de J.-M. Gauthier au journal La Coopération. 6 février 1868

 

Source:  Commission  ouvrière  de  1867,  Procès-verbaux, t.  2,  p.  255-258.

 

« Pour atteindre ce but tant désiré (la solution de la question sociale), il me paraît nécessaire de résoudre certaines questions capitales... L'intervention de l'Etat est-elle nécessaire au sein du mouvement coopératif ? L'utilité de l'alliance du capital et du travail est-elle parfaitement démontrée ? Quelle est la forme la plus rationnelle du crédit ?

Sur la première question, qui n'est pas la moins importante,[...] il importe, pour l'intelligence des faits, de remonter un peu en arrière. C'est ainsi que la démocratie, s'identifiant avec la situation toute exceptionnelle dans laquelle, par suite des événements, s'est trouvée la Convention Nationale, était restée pénétrée de cette idée que le principe de la centralisation morale et matérielle était le vrai moyen pour démocratiser et régénérer la nation. Cette opinion, qui mettait entre les mains de l'Etat une omnipotence dictatoriale, a fini peu à peu, non sans lutte acharnée, par céder le pas à celle, on ne peut plus logique, de l'émancipation du peuple par la liberté.

Mais est-on, aujourd'hui, parfaitement convaincu de l'inanité du premier système, et par contre, le deuxième a-t-il pénétré assez à fond dans les esprits ? A voir ce qui se passe journellement, il est permis d'en douter; cette vieille et funeste habitude d'attendre tout du pouvoir est encore loin d'avoir disparu de chez les masses.[…] D'un autre côté, le pouvoir, pénétré de cette idée que de lui seul dépend le bien ou le mal de la société accumule sur sa tête une responsabilité qui deviendra un jour très difficile à supporter-

 

Quelle marche doivent suivre les hommes véritablement dévoués à leur pays en particulier et à l'humanité en général ? C'est d'abord de se pénétrer de cette vérité qu'il n'y a de véritable bien et de véritable force que dans l'initiative individuelle combinée avec la collectivité, et de plus le démontrer à chaque instant par des actes. Cette bonne habitude finira par faire comprendre au pouvoir la nécessité de se débarrasser d'autant de cette responsabilité si lourde, et de plus, de mettre notre législation, surchargée d'entraves, en harmonie avec les principes de liberté qui sont incontestablement les véritables générateurs de toute société.[...] Pas d'immixtion, qu'elle soit directe ou indirecte. Pas de prix ni de dons... La seule et unique intervention de l'Etat qui nous paraît être la plus fructueuse est celle de provoquer les modifications législatives propres à élargir le cercle de la liberté de tous les citoyens...

La deuxième question qui a trait à l'alliance du travail et du capital, ne demande pas moins d'être bien élucidée.

Le mouvement social qui prit son essor en 1848 s'est annoncé au cri de: Guerre au Capital ! que l'on confondait avec celui de: Guerre à l'exploitation de l'homme par l'homme !

Le moyen le plus sûr pour combattre l'individualisme, de l'avis de tous, n'est autre que la collectivité ; mais il s'agit de savoir si les travailleurs seuls en feront exclusivement partie ou bien si, élargissant le cercle qui lui est propre, elle recevra dans son sein les éléments capables de l'aider dans son oeuvre.

De même pour le capital: si l'on arrive à comprendre qu'il n'est dangereux que par sa concentration entre les mains du monopole, l'on se persuadera, par contre, que son intervention, dans une certaine mesure, dans la collectivité, ne peut que lui être profitable. Si nous disons dans une certaine mesure, c'est que nous croyons que, en aucun cas, la coopération ne doit aliéner son indépendance. Partant de ce principe qui est sa seule sauvegarde, les alliances qu'elle contracte ou peut contracter doivent être absolument dépourvues de tout caractère autre que celui de l'objet en vue duquel elle s'allie. Différemment, elle se verrait bien vite absorbée par ces nouveaux auxiliaires qui ne tarderaient pas à devenir les maîtres de la situation.

Le crédit, intimement lié à la vie de l'homme, est-il organisé de façon à pourvoir à ses besoins sans léser ses intérêts ?

Le crédit, comme le capital dont il est la cheville ouvrière, devait fatalement, dans notre système économique devenir nature absorbante et constituer la féodalité financière. [...] Cette situation anormale, qui constitue un véritable danger pour la société, devait naturellement faire naître de nouvelles combinaisons tendant à reconstituer le crédit sur d'autres bases.Mais dans une société où tout a été et est encore le chacun pour soi,  a-t-on bien compris les principes sur lesquels désormais doivent reposer ces nouvelles institutions ? [...]

Posons donc alors carrément la question ! La mutualité est-elle, oui ou non, le contre-pied des privilèges qui ont fait du crédit actuel une puissance formidable ? Sans hésitation nous répondrons : oui! Du moment que, par la

réciprocité, chacun, tour à tour, profite du crédit, sans dépréciation du capital,

le loyer de l'argent dû au prêteur ordinaire ne saurait dans une semblable organisation, avoir sa raison d'être. Voilà pour le principe.

Maintenant, comme nous devons tenir compte d'une situation dans laquelle les esprits sont trop enclins à l'égoïsme, nous admettons franchement la transition, pourvu toutefois qu'elle ne perde jamais de vue le principe... »

 

3.   Procès-verbal saisi chez Richard. 9 août 1868

 

Source: A.M.L. I2 55 96.

 

Procès-verbal du 9 août 1868 de la commission d'initiative pour la délégation

lyonnaise au Congrès de l'Association internationale des travailleurs qui doit s'ouvrir à Bruxelles le 7 septembre prochain et de la ligue de la paix et de la liberté qui doit se tenir à Berne quelques jours plus tard.

Sur la proposition du citoyen Palix président, on procède à l'élection d'un délégué ; le citoyen Richard Albert est nommé à l'unanimité de 19 voix sur 20.

 

Le  secrétaire :  Garin F.

Le président : L. Palix                                   

Virginie  Barbet :   trésorière

 

4.   Lettre d'Eugène Dupont à Albert Richard

 

Source : A.M.L. P 56 207.


Londres, 13 août 1868

 

Mon cher Richard,

 

Sans entrer dans plus amples explications, [je vous dirai que pour nous la Révolution est toute dans la question sociale; ce qu'il faut changer, c'est le fond et non la forme. 48 a été une révolution de forme. En Amérique la République et la Liberté existent, le Peuple est exploité tout comme en Europe. En Angleterre la liberté existe aussi, mais des milliers de créatures son sans abri sans vêtements et sans pain! la Liberté telle qu'elle existe, telle que la veut la Bourgeoisie c'est l'engrais du Capital.

 

Vous avez peut-être supposé qu'à Londres je m'étais épris d'amour pour l'un ou l'autre de nos proscrits, lesquels ne voient la Révolution que dans le changement d'un homme.

Bonaparte tué, il n'y a plus qu'une chose à faire, les mettre à sa place, puis tout est dit ! Bien au contraire, depuis que je suis à Londres, je n'ai cessé de les combattre, aussi j'ai été obligé de me retirer avec les socialistes, nous avons donné notre démission de la Branche française! * Ces bonshommes-là ont les phrases toutes faites qu'ils mettent à toutes sauces et quand sur tous les tons ils répètent ces trois mots Liberté, Egalité et Fraternité, la foule applaudit. C'est triste. Je suis heureux d'apprendre qu'à Lyon vous êtes dans la vraie voie.] "…

Combien de sections à Lyon ? J'ai écrit à trois correspondants, je n'ai pas reçu d'autre lettre que la vôtre.

Vous avez bien fait d'engager une lutte morale avec les économistes bourgeois. Mais vous auriez dû nous faire parvenir les journaux. Les statuts vous y obligent, malheureusement aucune section ne l'exécute. Toutes les pièces publiées devraient être aux archives du Conseil général.

Avez-vous fait publier le programme du Congrès par les journaux de Lyon ? Avez-vous des nouvelles de Vienne, j'ai écrit à notre ancien correspondant et à Ailloud, pas de réponse, est-ce que la section serait dissoute? Tâchez donc de les voir ou de leur écrire.

 

1  Section formée par les émigrés français à Londres, au sein de laquelle Le Lubez, Vésinier, Félix Pyat se distinguaient tout particulièrement par leurs excès révolutionnaires purement verbaux.

2  Entre crochets : fragment cité par A. Richard, « Les propagateurs de l'Internationale en France », p. 653-654.

5.    Rapport d'A. Richard au Congrès de Bruxelles

 

Source :  Compte-rendu du  Congrès,  Supplément  au journal  Le Peuple, n.  48.

 

« Trois choses à Lyon entravent sans l'arrêter le développement de l'idée démocratique et sociale... Ce sont: d'abord la prolongation outre mesure de la durée des journées de travail... ensuite l'excessive misère qui abat les hommes les plus déterminés, [...] enfin l'état de dépendance forcée dans lequel se trouvent la plupart des ouvriers vis-à-vis des patrons et autres  capitalistes.

Les ouvriers en soie sont les plus atteints par le système de la prolongation des journées de travail, aussi bien que par le chômage qui en est une conséquence naturelle.

Il y a à Lyon des milliers de tisseurs qui travaillent 16 heures par jour pour gagner 3 Fr. […] Il y en a d'autres qui, sous peine de mourir de faim, sont contraints de travailler à des pièces avec lesquelles il est impossible de gagner plus d'1 Fr. 25. Mais ceux qui travaillent continuellement sont encore bien favorisés, car près de la moitié de ces ouvriers perdent en chômage au moins quatre mois de travail par an.

Dans les grandes usines de teinture, il y a un grand nombre d'ouvriers travaillant la nuit, et il y a de ces usines qui sont réglementées de telle façon qu'on leur donne cette dénomination caractéristique: le bagne. Là l'ouvrier n'a ni indépendance, ni dignité;  il est vraiment réduit à l'état de machine.

En présence de cette situation, et considérant d'autre part que le système politique et le système économique actuels sont étroitement liés, que la centralisation capitaliste à l'aide de son organisation sanctionnée par les lois actuelles aspire, pour ainsi dire, régulièrement la production, l'opinion prédominante dans notre section est que si l'on doit fonder des associations coopératives, de crédit, de production et de consommation, c'est pour faire l'éducation économique des travailleurs et les préparer à profiter de circonstances meilleures; mais qu'il faudrait, pour affranchir le travail, faire décréter la réforme radicale du système économique actuel, réforme qui ne serait certainement pas le couronnement de notre œuvre, mais simplement la suppression de toutes les entraves  apportées à la liberté et à l'activité humaine.

 

 

6.    Lettre d'Emile Aubry à A. Richard

 

Source: A.M.L., F 56 157.

 


Ce 23   décembre  1868

 

Cher Richard,

 

Vous vous étonnez à bon droit du silence que j'ai gardé sur la réception de votre amicale. Soyez bien convaincu que le premier je regrettais profondément de ne pouvoir y répondre plus tôt, je suis tellement accablé de travaux depuis le Congrès que mes intérêts personnels en souffrent parfois considérablement et me font négliger mes meilleurs amis; c'est ainsi que vous vous êtes trouvé dans ces derniers, puis j'éprouvais le besoin de m'étendre longuement avec vous sur certaines nuances de philosophie sociale, contenues dans votre aimable missive, que mes études économiques ne peuvent accepter. Je me réservais de vous entretenir beaucoup à ce sujet ; il m'a semblé à tort ou raison que sans vous en apercevoir vous tombiez dans le matérialisme moderne qui n'est que le contre-pied du spiritualisme ancien attendu que [deux extrêmes ne peuvent faire autrement que donner naissance à un absolu et vous savez que toute doctrine qui conduit à l'absolu mène directement au despotisme, conséquemment à l'annihilation de l'individu ou si mieux vous aimez de la liberté. L'étude et l'expérience m'ont démontré qu'en tout il existe des antinomies qu'il faut bien se garder de vouloir détruire, les résoudre doit être le but des recherches de  tout  penseur  sérieux.

Depuis le monde historique deux principes se disputent le gouvernement de l'humanité, tous les deux ont eu l'honneur de posséder alternativement la place sans jamais ni l'un ni l'autre avoir pu donner satisfaction aux peuples, tantôt l'Esprit prétendant qu'on ne pouvait l'exclure sans ravaler la personnalité humaine, tantôt la matière affirmait, (sic) que sans elle le monde ne serait que néant; de ces luttes souvent gigantesques qu'en ressortait-il? des contradictions qui engendraient des redites (?), et jamais cette pauvre humanité n'a pu trouver le repos dans une sage synthèse. En un mot toutes les doctrines absolues n'ont abouti qu'au chaos, ainsi nous conduisait celle qui prétend éliminer la force ou (de ?) l'esprit comme point de départ de la création, n'en déplaise à ses partisans leur hypothèse pas plus que celle de leur adversaire ne pourra être vérifiée. Si j'insiste autant sur ce point, ce n'est pas parce que je me soucie beaucoup que l'une ait pris naissance avant l'autre. Que Dieu existe ou n'existe pas cela m'importe peu, le besoin que j'en éprouve m'est si peu nécessaire que je le rejette dans le domaine des théories fantastiques ; ma principale préoccupation est de l'évincer le plus possible par la raison qu'il s'impose à ma volonté comme tous les absolus; en conséquence je m'empresse de repousser toute doctrine qui prétend se rendre prépondérante ainsi que celle qui a la prétention contraire de s'imposer par sa complète négative, je le répète dans l'un comme dans l'autre il y a un absolu que je déteste qui sous les apparences de la liberté cache un piège à tous les hommes de bonne foi.

Vous dites, cher Richard, que le mouvement social est partagé par deux courants dont l'un appartient aux libéraux politiques et l'autre aux collectivistes et vous vous empressez de me classer dans ce dernier, je n'en m'éloigne {sic) pas si par collectivistes vous entendez tous ceux qui veulent le Bien-être avec la liberté en un mot tous ceux qui dans tout cherchent l'équilibre et non l'absorption de l'un par l'autre, ainsi compris oui je suis collectiviste ; mais si par cette dénomination vous entendez au contraire, et c'est ce que je crains, l'ensemble des principes émis par l'Alliance, j'avoue très sérieusement ne pas l'être. En effet comment voulez-vous que je puisse accepter une doctrine qui consiste à supprimer toute espèce d'émulation individuelle sous le prétexte faux (supposant les principes d'économie sociale compris et appliqués) d'empêcher celui-ci de dominer l'autre par la Capitalisation des jouissances, comment n'avoir pas vu qu'en supprimant l'hérédité vous arrivez à l'abolition de la famille et qu'en proclamant les Unions libres vous décrétez la promiscuité. Quoi, parce que le Congrès de Bruxelles a décidé que l'appropriation du sol devait être collective, on en conclut qu'il a voté l'abolition de l'hérédité; c'est manquer à la bonne foi ou alors faire preuve d'une profonde ignorance des lois de la science sociale qui y ont été traitées.

Non mon cher Richard croyez le bien, les hommes qui pensent ainsi ne veulent autre chose que ce qu'on appelait il y a vingt ans le grand Communiste (sic) et c'est ce que l'humanité repoussera toujours parce qu'elle ne veut aucunement être parquée.

Il est regrettable que tous les hommes généreux qui partagent et propagent cette funeste doctrine n'aient pas étudié plus profondément les lois de l'échange, autrement ils auraient bien vite compris que dans l'équilibre de ces mêmes lois se trouve le bonheur de l'humanité ; ils auraient vu que les maux qui accablent le Travail n'ont pas d'autre origine que la prélibation 1 du Capital sur le produit dont il n'est lui-même que la représentation, cependant cher ami, vous m'avez semblé avoir compris toute l'importance du rôle que joue l'échange dans les Sociétés civilisées.Alors pourquoi vous attacher à des théories qui nous ramènent au troc; rejetez au loin ces faux fuyants du mirage d'une humanité mangeant à la même gamelle, est-ce que l'abolition de l'intérêt du capital sous toutes ses formes ne résout pas à lui (sic) seul tout ce que nous cherchons; la Liberté par le Bien-être et vice versa; pourquoi vouloir que les Capitaux autres (?) que leurs produits par (pour ?) la collectivité et retombant dans la Collectivité à l'état d'Ateliers de production appartiennent entièrement à celle-ci ; est-ce que le produit de mon travail n'est pas ma propriété légitime à laquelle personne n'a le droit de mettre la main. Vous dites, ce produit n'a été considérable, c'est-à-dire augmenté que grâce à la collectivité, en conséquence c'est à elle qu'il appartient de vous le déterminer, je vous demande bien pardon mais si la collectivité ou division du Travail a permis d'augmenter la somme de ma production, il me semble que je suis une partie de l'ensemble et comme telle vous devez respecter cette part comme inaliénable ou alors vous attentez à ma liberté c'est-à-dire à ma personne, que (pouvez ?) vous faire si j'ai travaillé beaucoup que je consomme en raison de ma production. La Science sociale n'a-t-elle pas eu pour base de déterminer la moyenne des forces par celle des salaires donnés par l'ensemble des corporations de production. Conséquemment puisqu'il m'est défendu au nom des droits économiques de vendre mon produit au-delà de sa valeur réelle comment voulez-vous que l'excès de ma force (production) devienne un danger pour mes semblables 2 d'ailleurs il me semble que cette production ne pourra jamais offrir une si grande différence ou alors je serais le Samson des producteurs, une monstruosité humaine partant sociale. L'importance de l'abolition de la prélibation capitaliste ainsi que celle de la valeur relative des produits par la détermination d'une moyenne des salaires, a complètement échappé aux Communistes de l'Alliance. C'est pourquoi leur crainte de voir s'élever une nouvelle aristocratie de la Société transformée les  a fait se jeter dans un excès de garantisme qui n'est qu'un acheminement vers une nouvelle formule de Despotisme. C'est l'absolu collectiviste succédant à l'absolu individuel. Synthétisons mais n'annihilons pas. Je regrette cher Richard que le temps me fait défaut (sic) pour m'étendre encore davantage afin de vous montrer que le mutuellisme du positiviste (qu'à tort vous avez confondu avec la secte du Palais-Royal qui a cherché à usurper ce titre), loin d'entraver la marche du socialisme ne fait au contraire que le rendre acceptable par tous les esprits sérieux en le dégageant de toute utopie, j'entends par ce mot toute idée qui cherche à s'imposer et qui n'offre aucune solution possible avec les abus qu'elle a raison d'attaquer mais que le plus souvent s'en prend plutôt aux faits qu'aux Causes.

Voilà cher Condisciple de la transformation sociale par la Liberté, quand je dis liberté je n'entends pas cette tolérance du bon plaisir de quelques satisfaits mais bien l'entière ouverture des portes du Droit Commun d'où sortira indubitablement la Vérité, la Justice et le Bonheur, trois mots synonymes d'Equilibre. Excusez la longueur de cette imparfaite dissertation ainsi que mon griffonnage. 3

 

1  Terme proudhonien signifiant le prélèvement abusif du capitaliste au cours de l'échange (loyer, rente, intérêt...), contraire à la théorie de  « l'égal échange ».

 

2  Entre crochets : fragment cité par A. Richard, « Les propagateurs de l'Internationale en France », p. 662-663.

 

3    Que le lecteur qui voudra comprendre comprenne, en se munissant d'une bonne édition complète de Proudhon. J'ai reproduit cette lettre afin qu'on devine, par transparence, les positions de Richard à la fin de 1868, et pour marquer aussi le premier échec de sa propagande en faveur de l'Alliance.

 

Année 1869

 

1.    La conjoncture économique et sociale.

 

Archives  du  Ministère  de  la  Guerre,  rapports   de  gendarmerie.

 

Février ; « Les conditions sont plus ou moins avantageuses, mais aujourd'hui tout le monde travaille. L'hiver, assez avancé maintenant, s'est passé assez bien. À Lyon, l'ouvrier en soie se plaint toujours de la matière première... Les campagnes, dont les travaux n'ont presque pas été interrompus, ont été d'un grand secours pour les bras inoccupés qui ont voulu gagner leur pain... »

 

Mars : « La situation actuelle de la soierie est assez satisfaisante. Les grands ateliers de teinturerie et de tulles sont en pleine activité; les petits et les métiers isolés végètent.[...] L'imprimerie sur étoffes occupe tous ses ouvriers. Les ateliers de la Buire s'améliorent sensiblement ... »

 

Juin : « La classe ouvrière n'est pas malheureuse, le travail n'allait pas mal; les grèves nombreuses et qui comprendront successivement tous les corps d'état en sont la preuve évidente. Toutes ces grèves ont le même but,diminuer les heures de travail et augmenter le prix de la journée.[...] La soierie éprouve une reprise générale assez sensible... La teinturerie a des commandes nombreuses. »

 

Juillet : « La classe ouvrière, actuellement, n'est pas à plaindre. Il n'y a d'inoccupés que ceux auxquels il plaît de se mettre en grève. Tous les corps d'état semblent devoir s'abandonner à ce caprice. Il est juste de reconnaître que, jusqu'à présent, ils le font avec calme et sans aucun désordre... Il y a un ralentissement dans la soierie... La teinturerie et les tulles sont dans la même position, ainsi que la cristallerie et la verrerie... »

 

Octobre : « La classe ouvrière va entrer dans la saison d'hiver dans d'assez bonnes conditions. Les grèves multipliées et pacifiques lui ont fait obtenir tout ce qu'elle a demandé. Aujourd'hui, à l'exception des teinturiers, tout le monde est occupé et convenablement salarié... La soierie a beaucoup de métiers couverts faute de bras, la teinturerie est dans une très bonne situation... Les ateliers de la Buire et la cristallerie travaillent beaucoup ... »

 

Novembre : « La soierie est dans d'excellentes conditions, aussi l'ouvrier commence-t-il à se plaindre, à parler de grève... Il y a peu, il n'y a pas d'union dans nos centres industriels; cet état de chose est ancien. Patrons et ouvriers exploitent réciproquement la situation;  si les affaires vont bien, c'est l'ouvrier, il se met en grève pour obtenir des conditions meilleures ; si elles vont mal, c'est le patron qui n'étant pas obligé de fabriquer réduit alors le prix des façons... »

 

Décembre : « Les tisseurs en soie et les imprimeurs sur étoffes sachant que les fabricants ont des commandes, veulent faire augmenter leurs salaires. Les imprimeurs sur étoffes sont tous en grève depuis deux mois.[...] La soierie va très bien, elle a des métiers couverts, faute de bras, La teinturerie éprouve un léger ralentissement. Les tullistes travaillent beaucoup. Les ateliers de la Buire, la cristallerie n'ont nullement à se plaindre... »

 

2.    Rapport  sur  l'Internationale  adressé  au  Ministre   de  l'Intérieur 14 juillet 1869.

 

Source : A.M.L. 12 55 20

 

 

« Cette association n'a pu encore parvenir à prendre sérieusement racine ici, soit à cause du peu de confiance qu'inspirent les principaux meneurs du comité central établi à Londres, soit par suite des divisions qui règnent parmi les membres de la société.

À Lyon, ils forment trois groupes.

Le premier se réunit quai Pierre-Scize, chez le sieur Blanc père, tisseur. On remarque parmi eux les sieurs Gouverneur, Schettel, Chanoz, tisseur et plusieurs autres. Ils sont en désaccord avec le comité de Londres et les autres sociétaires de Lyon et ils parlent de souscrire séparément pour envoyer un délégué au Congrès prochain. Richard (Albert), objet de leurs critiques, cherche à réorganiser un deuxième groupe pour faire de l'opposition au premier et être nommé, de nouveau, délégué au Congrès de Bâle.

Ceux qui composent le troisième groupe appartiennent aux anciennes sociétés secrètes et sont aujourd'hui mêlés aux sociétés coopératives et ouvrières. Cette dernière catégorie est en relation directe avec le comité de Londres; elle se recrute parmi les ouvriers métallurgistes et on cite parmi eux les sieurs Alaterne, Sipel, Méda, Grésillon et autres. Ils ont aussi l'intention d'envoyer un délégué au Congrès. Si l'Internationale pouvait arriver à se constituer à Lyon, c'est dans ce dernier groupe que se trouveraient les principaux éléments d'organisation.

On avait pensé d'abord que cette association avait disposé de sommes relativement importantes en faveur des ouvriers en grève, mais des renseignements puisés à bonne source et qui m'ont été confirmés tout récemment me permettent de croire qu'il n'en a rien été et que l'argent qui a été distribué provenait des collectes faites dans plusieurs corporations...


3.   Lettre d'Eugène Dupont à A. Richard

 

Source: A.M.L., I2 55 133.

 

Le Conseil général dans sa séance du 27 juillet 1869 a voté à l'unanimité la résolution qui suit.

 

Le citoyen Albert Richard, demeurant à Lyon, est autorisé comme correspondant de l'Association Internationale des Travailleurs, à faire et recevoir les adhésions particulières ou collectives à la susdite Association et toutes choses ayant pour but la propagation et le développement des principes de l'Association Internationale des Travailleurs, de recueillir les souscriptions et cotisations.

 En conséquence le Conseil général donne pleins pouvoirs au citoyen Albert Richard.

 

Au nom du Conseil général et pour copie conforme, le secrétaire correspondant pour la France : Eugène Dupont.

 

 

4.   Rapport de la section lyonnaise sur la question de la propriété lu par A. Richard au Congrès de Bâle.

 

Source : Compte-rendu du Congrès

 

[...] Ce n'est point pas une synthèse générale de toutes les antinomies sociales que les peuples substitueront le Droit réel au Droit de la Force, c'est par l'extirpation plus ou moins graduelle de tout ce qui constitue la Force et avec elle l'injustice et l'inégalité.

Depuis  bientôt  un   siècle, le  mouvement   révolutionnaire   poursuit activement   cette œuvre. Elle ne sera achevée que quand l'hérédité, le privilège par excellence, la cause première de l'aliénation du sol au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre, la source de toutes les inégalités sera abolie...

Est-ce à dire que toute propriété doit être essentiellement collective et que le communisme absolu est le but auquel nous tendons ? Ceux qui font peser sur nous cette accusation ne font preuve que d'ignorance et de mauvaise foi.

Le communisme autoritaire et centralisateur, qu'il soit religieux comme celui de Cabet ou matérialiste comme celui de Robert Owen, nous est aussi antipathique que le régime d'individualisme et d'exclusivisme dans lequel nous vivons... Ce n'est que sur une sage synthèse du droit social et du droit individuel définis par le développement scientifique de l'idée de Justice, immanente dans l'homme que peut s'asseoir la société rationnelle.[...]

Le droit individuel a pour base le droit social même, c'est-à-dire l'égalité des moyens de développement moral et matériel, l'égalité des répartitions de capitaux premiers ; il commence avec la vie et ne finit qu'avec la mort; il a pour garantie la liberté la plus complète et pour critérium économique la constitution de la valeur dont le travail est la seule mesure légitime.

Ce n'est qu'alors qu'il peut, avec l'égal échange, l'association libre, la mutualité, empêcher que le capital ne détruise à son profit l'équilibre qui doit exister entre le produit net et le produit brut de la société, établir le prix de revient comme règle des transactions, rendre le salaire égal au produit, en un mot mettre la dernière main à l'œuvre de réalisation de la Justice.

Avec la propriété individuelle et l'hérédité, la mutualité se heurte à des obstacles insurmontables. Elle consacre d'abord l'inégalité des partages, résultat inévitable de la disproportion qui existe toujours entre le nombre des membres de chaque famille.

C'est en vain qu'elle essayerait de remédier par le crédit à cette inégalité fondamentale. Elle ne ferait qu'établir une distinction de plus en plus marquée, entre les travailleurs endettés et les autres qui seraient leurs créanciers. La réciprocité, c'est-à-dire la mutualité serait donc détruite par elle-même.

L'hérédité peut même réunir en une seule main une portion considérable de la propriété foncière, et rien n'empêche que le propriétaire, surtout si son terrain est des plus fertiles, puisse trouver à affermer une ou plusieurs portions de sa propriété... De là à la reconstitution d'une aristocratie et à la destruction de l'égal échange, il n'y a pas loin.[...] Avec la propriété collective, tous ces inconvénients disparaissent. La répartition des terres et de la richesse sociale n'est plus abandonnée à l'arbitraire, c'est-à-dire à l'hérédité ; elle est faite aux termes du contrat mutuel consenti par les travailleurs dont il harmonise et solidarise les intérêts. Il en est de même pour l'organisation de la propriété collective, qui du reste peut varier dans chaque région, sous l'influence du milieu géographique, climatérique, géologique, etc., qui la caractérise.

Les rapports des communes et des régions étant réglés de la même manière, la solidarité qui doit unir les groupes et les associations unissant également les communes et les régions, l'assurance mutuelle garantissant toutes les parties de la société et tous les membres qui la composent contre les accidents de toute sorte auxquels l'humanité et la société sont sujettes, l'impôt n'étant autre chose que le loyer du capital social, payé par les individus à la collectivité, l'Etat politique n'a plus de raison d'être.

L'autorité doit disparaître avec la force et l'arbitraire dont elle est une émanation: le Droit réel, le Droit strict doit les remplacer partout. Il est la condition sine qua non de la paix sociale et de la fraternité.

 

Lyon, août 1869.

 

5.   Lettre d'André Bastelica à A. Richard

 

Source: A.M.L., I2 56 178.

 

Marseille, le 8 9e (novembre)  1869

 

Mon cher Richard,

 

Je réponds à votre lettre en ces termes: c'est une sorte de satisfaction pour moi de vous approuver en tous points ; depuis de longues années, je suis en butte à la nostalgie de l'exil... A toutes les affinités positives qui nous sont communes, ajoutons celle-ci.

A priori il est donc convenu que nous partirons ensemble, laissant à la fatalité le soin de choisir le moment et le lieu. Partout je serai bien avec vous. Je n'ai jamais autant apprécié que ce jour le symbole de la fidélité exprimé par Ruth. Voici mon plan d'abord. Ces jours derniers, causant avec Eug. Pollet — un de mes bons amis (que j'ai converti à la Révolution) — je lui faisais part des propositions à moi faites par un ami commun lequel part avec 20.000 Fr pour Buenos-Ayres, le 15 de ce mois-ci. Ce dernier appréciant les connaissances que j'ai acquises pendant cinq ans de comisat (sic) chez le consul argentin me proposait instamment de l'accompagner, ce que j'aurais fait sans la maladie de mon père.[…] Malgré toutes mes capacités je considère que 20.000 Fr sont une somme insuffisante pour entreprendre le commerce,tandis que l'on en aurait assez pour tenter de l'agriculture y compris l'élevage des bestiaux.[…] Ouvrier manuel, je n'hésiterais pas un instant, mais, plumitif, bureaucrate, cela ne me sourit guère, donc il fallait chercher dans le domaine de l'originalité, une combinaison qui me rende à jamais mon indépendance et je crois l'avoir trouvée. Mon ami Pollet [...]  l'a  approuvée  dans  ses prémisses.

En deux mots, ce dit ami possède 10.000 Fr pour tout patrimoine et les engagerait dans l'affaire ci-après... Il s'agit tout bonnement d'aller monter une librairie littéraire et scientifique et journaliste (sic) à Buenos-Ayres... Qu'en dites-vous. [...] Avec vos connaissances, vous vous feriez certainement une place dans la colonie et dans le... gouvernement, mais je ne réponds de rien.

Ma résolution est prise, un peu (sic) tôt ou tard je l'exécuterai, ça dépend des circonstances. À votre tour de vous expliquer sur votre plan et de décider sur les miens...

En attendant, je me tiens et suis toujours inébranlablement au service de la Révolution.

Tenons-nous mutuellement au courant de ces affaires.l Je vous  embrasse.

 

1 Richard et Bastelica vont entretenir une longue correspondance sur ce thème : cf. lettres de Bastelica à Richard des 25 novembre, 25 décembre 1869, 31 janvier 1870 (F 56 177, 174 et 171).

 

6.    Lettre de Benoît Malon à Albert Richard (date probable : novembre 1869)

 

Source: A.M.L., I2 56 223.

 

Paris, dimanche,

 

Mon cher ami, je commençais en effet à m'inquiéter de ton silence et ta lettre ne me rassure pas. Que signifie cette phrase « le mal est plus intense que jamais et je ne sais comment je m'en retirerai ». Est-ce toujours la calomnie qui te poursuit ?

Je comprends toute la peine que tu en dois ressentir, mais, crois-moi, tu as une réponse irréfutable à faire: un clément et dédaigneux silence et le spectacle incessant d'une vie consacrée au bien du peuple... C'est aussi à tort que tu crains de fuser prématurément... L'on ne s'arrête plus dans le chemin que nous avons pris qu'à la mort ou après le triomphe complet de notre sainte cause... Mets de la prudence dans tes agissements, repose-toi momentanément si tu es fatigué, ton droit d'abstention s'arrête  là. 1

Ton appréciation du 26 octobre n'est pas absolument exacte, 2 c'est bien l'empire qui est le dindon de la farce et si ce n'était lui ce serait nous, les révolutionnaires et non pas les démocrates libéraux qui ont toujours combattu la manifestation. Le résultat de cette journée ou cent mille hommes étaient sur pied se font (sic) déjà sentir ; la république est moralement proclamée. Paris a pour ainsi dire conquis sa liberté, la presse, la parole y sont relativement libres, le droit de réunion passé dans les moeurs; le gouvernement de fait, constamment acculé obéit en traînant, en rechignant, en menaçant, mais obéit au gouvernement de droit, l'opinion républicaine... Voilà où nous en sommes.[…] Et vous donc ! Je crois que ton ajournement de la révolution au printemps prochain est dans la vérité.] 3

Je passe à la Justice. L'essai que tu as bien voulu m'envoyer me fait d'abord voir ceci que nous sommes d'accord sur les points principaux et qui pourraient se résumer ainsi, l'égalité fraternitaire pour but, l'égalité sociale comme moyen. Il y a contradiction dans ta devise : à chacun selon ses besoins et selon ses aptitudes. Les saint-simoniens disent: à chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses oeuvres. Les Fouriéristes : association du capital, du travail et du talent. Les mutuellistes : À chacun le produit intégral de son travail; les trois termes sont identiques et les trois écoles entendent à peu près la Justice de la même manière. La formule communiste : de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins révèle une tout autre compréhension de l'idée de Justice. Il faut choisir entre les deux, ou dire avec les socialistes individualistes ; à chacun selon ses œuvres, ou dire avec les socialistes communistes : à chacun selon ses besoins. Si tu hésites, au lieu de te mettre à la recherche d'une justice abstraite, métaphysique quoi que tu en dises, établis la balance des droits et des devoirs. Ici encore il y a divergence complète entre socialisme individualiste et le socialiste (sic) communiste. L'un, l'individualiste, fait découler le droit de la force et le devoir des besoins ; l'autre, le communiste, renversant totalement les termes fait découler le droit des besoins et le devoir de la force. Pèse ces deux formules et tu verras ce que te révélera la dernière. Que devient la Justice proudhonienne devant cette haute conception que l'individu entrant dans la société impuissant, la quittant insolvable (car quoi et tant qu'il puisse donner il ne donnera jamais autant qu'il a reçu du concours social et du travail des générations passées) doit à la société autant qu'il peut lui donner, c'est là le devoir social; quant au droit, la société doit, dans la mesure de ses ressources, satisfaire ses besoins intellectuels, moraux, affectifs et matériels, grâce à laquelle satisfaction il sera, conséquence consolante, mis à même de rendre à l'humanité une somme de services en raison directe des bienfaits qu'il en reçoit: si ceci souffre des exceptions individuellement, c'est au moins complètement vrai collectivement. Voilà pour l'idéal. Si nous voulons aborder la pratique révolutionnaire, nous devons quitter le ton absolu, absurde en politique où l'on doit agir sur des éléments modifiables et nous embarquer à pleine voile dans le relatif. Ici nous serons je crois complètement d'accord : abolition de toutes les forces négatives, armée, clergé, magistrature autoritaire, police d'état, bureaucratie administrative etc., suppression des monopoles, remise entre les mains de la collectivité de tous les services publics, chemin de fer, canaux, postes, télégraphes, éclairage et du sous-sol. Impôt direct et progressif sur le revenu, mise à l'ordre du jour de l'expropriation agricole industrielle, instruction gratuite obligatoire intégrale et professionnelle avec indemnité aux pères de famille. Direction provisoire confiée à la commune révolutionnaire de Paris aidée de délégations de toute les grandes communes du pays révolutionnaire qui comprendra, sans doute, dès le lendemain, la France, l'Italie, l'Espagne, la Belgique, une partie de la Suisse et une partie de l'Allemagne. Je ne peux pas t'en dire plus long dans une simple lettre. Je te sais gré de ton exposé socialiste, je te félicite surtout de la fondation d'une bonne section de l'Internationale à Saint Etienne, je te serais bien obligé si tu pouvais me mettre en relation avec tes compatriotes révolutionnaires. 4

 

1    II s'agit des attaques de Schettel et de son groupe, qui expliquent le désir de Richard d'abandonner l'arène pour partir à Buenos-Ayres.

2    Depuis les élections de mai 1869, le nouveau Corps législatif n'avait pas encore été convoqué. Constitutionnellement, il devait l'être au plus tard six mois après la dissolution de la législature précédente, soit avant le 26 octobre. Les révolutionnaires avaient projeté pour ce jour une manifestation qui fut annulée.

3  Entre crochets : fragment reproduit par A. Thomas, Histoire socialiste du Second Empire, p. 359-361.

 

# Cette lettre constitue la meilleure critique de l'exposé prononcé par Richard à Bâle. Dans une lettre légèrement antérieure, Malon avait déjà reproché à Richard son manque de rigueur : « la logique a ses droits et tu ne saurais en proclamant la collectivité du sol maintenir le mobile d'activité humaine qu'ont préconisé les individualités de tous les temps ; l'intérêt individuel.[…] N'oublie pas que cette conception de la justice a poussé Proudhon, logique à ses heures, à se déjuger (vous l'avouez), à réédifier au mépris du bon sens la propriété individuelle qu'il avait démolie, à n'être qu'un économiste raffiné bien plus nuisible en somme qu'utile. Je vois ici son oeuvre de près et j'en parle sciemment. J'espère que dans ta réponse à cette lettre tu me diras que tu n'est pas individualiste, que je me suis mépris... ».

 

Année  1870

 

1.   La conjoncture économique et sociale

 

Source: Archives du Ministère de la Guerre, rapports de gendarmerie

 

Janvier :  « Les événements dont Paris a été le théâtre pendant ce mois  ont vivement impressionné  la  population  et  les  ennemis   du  gouvernement  ont  exploité  cette  situation pour raviver les sentiments hostiles. [... ] La classe ouvrière est dans de bonnes conditions... Tout ce qui tient à l'industrie de la soierie continue à se maintenir dans d'excellentes conditions. Teinturerie: tous les ateliers sont occupés. Imprimerie sur étoffes : grève complète... Tullistes : ralentissement assez prononcé dans le travail et nécessité pour plusieurs chefs d'atelier de renvoyer une partie de leur personnel.[…] Les grands ateliers de la Buire ont dû renvoyer 300 ouvriers sur 800 qu'ils occupent habituellement... »

 

Février : « Il y a désunion bien marquée entre la classe ouvrière, les patrons et on pourrait ajouter la bourgeoisie; l'hostilité se lit sur le visage du prolétaire qui désire être maître de la situation pour se livrer à toutes sortes d'excès.[…] Tout ce qui tient à l'industrie de la soierie se maintient dans un état satisfaisant.[…] 1  L’industrie d’ajustage du chemin de fer à Oullins est en grande prospérité; les ateliers de la Buire ont renvoyé 600 ouvriers sur 1.350. »

 

Avril : « On se prépare déjà à ouvrir la campagne contre le plébiscite soit par l'abstention, soit par le non.[…] Les ouvriers donneront encore une fois la mesure de leurs forces en votant contre le plébiscite.[…] Les rapports entre patrons et ouvriers sont devenus intolérables par suite des exigences de ces derniers. On sent d ailleurs que la lutte est engagée entre le propriétaire et le prolétaire... Sont en bonne voie : soieries,  teintureries, verreries,  tanneries... en médiocre la métallurgie,  les chapelleries... »

 

Mai : « Les votes hostiles de Lyon et des autres grands centres industriels du département (lors du plébiscite) prouvent combien la classe ouvrière est travaillée et combien elle est peu digne des ménagements qu' on lui prodigue depuis plusieurs années... »

 

Juin : « La classe ouvrière, malgré des concessions récentes, se montre te plus en plus exigeante dans certaines localités. Les maçons et les cordonniers sont toujours en grève. Les ouvriers tisseurs ont demandé à Lyon une augmentation que non  seulement les patrons ne paraissent pas vouloir leur accorder, mais ces derniers se sont concertés pour refuser tout travail jusqu'à ce que la question soit tranchée... »

 

Juillet : «La grève la plus inquiétante est sans contredit celle qui menace depuis longtemps l'industrie de la soierie. Les ouvriers continuent à refuser ce travailler pour certaines maisons et les patrons fabricants refusent toujours d'augmenter les salaires des ouvriers. L'hostilité se maintient encore dans des limites qui ftn: tue l'ordre continue à régner dans le quartier de la Croix-Rousse. »

 

1 L'assassinat de Victor Noir par le prince Louis Bonaparte et les manifestations violentes qui ont accompagné ses obsèques.

2.   Lettre d'Albert Richard à Elisée Reclus

 

Source: Archives du Ministère de la Guerre. Pièce non cotée.

 

Lyon, le 24  janvier  1870

 

Mon cher ami.

 

Comme tu es membre du comité   de   renseignements   pour   la   coopération   tu dois être versé sur une foule de points que mes études sur le fond même de la question sociale m'ont fait négliger. J'ai donc recours à tes lumières. Et cela dans un moment d'urgence.

Plusieurs corporations ouvrières entre autres les tisseurs et les tullistes que suivent de près les marbriers, les sculpteurs, les graveurs, s'adressent à moi, d'abord pour adhérer à l'Internationale, ensuite pour que je les aide à se constituer en sociétés de résistance dans la mesure légale. J'en ai déjà organisé sur le modèle des chambres syndicales de Paris et des unions corporatives de Rouen, mais tout cela à la hâte. Je voudrais si possible faire quelque chose de mieux et de légal. La gît la difficulté. Je me garderais bien de demander le moindre renseignement à un a*. ::at quelconque. Je m'adresse à toi. Je t'en prie: arme toi du code, instrument cri "trille dans ma bibliothèque par son absence et donne-moi au plus vite des détails explicites sur la situation faite par le législateur aux chambres syndicales, sociétés de prévoyanceet surtout sur la nature, le rôle des sociétés civiles et jusqu'où elles s:n: ttlérées.

 

Je t'écris à la hâte, confiant dans ton dévouement habituel.

 

3.   Lettre de Benoît Malon à A. Richard. 26 janvier 1870

 

Source: A.M.L. I2 56 230.

 

[...Ta lettre est au fond une mise en demeure de me prononcer sur l'idée révolutionnaire. Je ne suis pas du tout partisan de l'abstention des socialistes devant le mouvement révolutionnaire qui agite Paris. La révolution s'avance inévitable, accessible encore à bien d'influences, s'abstenir dans ces conditions serait pour nous une ligne de conduite on ne peut plus désastreuse puisque ce serait abandonner le mouvement à la direction des politiques purs. Telles sont les raisons qui font que je suis jeté sans réserve dans l'agitation républicaine, persuadé que la meilleure façon de planter son drapeau est de le faire toujours apercevoir aux premiers. Ce n'est pas notre faible concours qui fera de beaucoup avancer l'heure de la révolution, mais nous contribuerons par là à lui donner une attitude réellement sociale.]1 En socialisme je vois que, somme toute, nous sommes d'accord parce que je pense que tu reviendras de tes réminiscences de mutuelliste pour être logiquement collectiviste. Tu seras réellement collectiviste quand tu auras jeté aux orties cette organisation du crédit bonne pour une société individualiste et que tu modifieras tes idées sur la Justice et le Droit. [Le Collectivisme tel que je l'entends n'est pas une théorie générale plus ou moins arbitraire, c'est un système social basé sur des bases scientifiques indéniables et par conséquent un ensemble ayant ses déduction logiques que nous devons accepter sous peine d'avoir à rejeter le système tout entier. Si, comme je l'espère, tu viens bientôt à Paris, nous discuterons, sur ce point, ce qu'il est impossible de faire par lettre.

 

Passons aux événements. L'agitation qui a failli nous donner la révolution semble de moins en moins vive, la reculade du gouvernement vis-à-vis de Rochefort dans l'affaire des fameuses poursuites ôte quant à présent tout prétexte à une prise d'armes. Il en est resté ceci que les républicains s'étant manifestement comptés ont conscience de leur force et que l'empire est pour ainsi dire en interdit. Il faudrait bien distinguer entre ceux que tu appelles Jacobins. Si ce sont des blanquistes que tu veux parler, je suis de ton avis, mais si c'est des révolutionnaires en général, je proteste contre ton appréciation. Le socialisme est plus ancré dans l'opinion générale que tu semblés le croire, car, vienne vite la révolution, le peuple ne peut plus être endormi; une force nouvelle est entrée dans la politique, la classe ouvrière ; c'est l'épée de Brennus qui fait décisivement pencher la balance.] 2 Aie donc moins de rancune je te prie contre le Paris de 89-92-93-1830-1834-1839-1848. [Varlin ne t'a pas écrit parce que en ma présence Millière 3 lui avait promis de t'expliquer pourquoi on ne pouvait insérer tes correspondances. Je n'ai pas besoin de te dire que nous non plus ne sommes pas satisfaits de la Marseillaise ; 

 

J'aurai pourtant bien aimé te voir à Paris, si tu m'y autorises je te chercherai de l'ouvrage de ton état et je pense en trouver.

 

1 Entre crochets: fragment cité par A. Thomas, Le Second Empire p. 370, et par A. Richard, Les propagateurs de l'Internationale en France, p. 659-660.

s   Fragments cités par A. Richard, ibid., p. 660.

 

*   Alors  directeur de la Marseillaise.

4.  Réunion organisée le 27 février par la commission d'initiative de la Fédération des  sociétés ouvrières. Lettre du commissaire de police de la Part-Dieu au préfet du Rhône.

 

Source : A.M.L, fragment cité par J. Vermorel, Les travailleurs lyonnais et l'Internationale, 1ère partie.

 

« ... La réunion privée qui a eu lieu aujourd'hui à midi dans la salle des Folies lyonnaises, rue Basse du Port au Bois, n° 11, a eu pour objet de former une association internationale de tous les corps d'état réunis, ayant la forme et le caractère d'une société de secours mutuel, dans le but de soutenir les grèves qui pourraient se produire.

La réunion se composait de 500 personnes environ de diverses professions. Elle était présidée par un sieur Albert Richard. Tout autour de lui ont pris place, après nomination les délégués de chaque profession. Le président a ouvert la séance par un discours demandant à tous la concorde et l'union de leurs intérêts par la formation d'une société de secours mutuel non seulement en France, mais dans toutes les puissances de l'Europe.

L'orateur a dit que l'organisation de ladite société existait déjà en Angleterre et en Belgique et que, désigné lui-même pour la créer à Lyon, il était en correspondance avec les délégués des puissances étrangères. Il a ajouté que du fonctionnement de cette société dépendait le sort de la classe ouvrière ; que de son union il devait résulter forcément son influence dans toutes les questions politiques à venir; qu'asservis pendant trop longtemps, le jour était venu pour les ouvriers de se débarrasser d'une tutelle gênante (le pouvoir du souverain quel qu'il soit). L'orateur a dit aussi qu'il n'y avait aucun danger à courir pour personne, qu'ils usaient d'un droit acquis et que ni la police ni le pouvoir n'avaient rien à voir dans les affaires d'intérêt de la classe ouvrière. Enfin il paraîtrait que l'orateur, sans faire des excursions (sic) directes dans le domaine de la politique a fait pourtant quelques allusions en se servant des noms de Jean et de Jeanne. Tout le monde comprit qu'il voulait désigner l'empereur et l'impératrice. Et en terminant sa péroraison, il a dit: « Citoyens, nous sommes dans l'ornière, il faut en sortir victorieux. ».

Deux autres orateurs ont été entendus, mais je n'ai pu savoir que le nom d'un seul qui est le sieur Placet, lesquels avec beaucoup moins de talent oratoire que le sieur Richard ont parlé dans le même sens.  ...Il y avait des ouvriers de Vaise, de la Croix-Rousse et de tous les quartiers de Lyon,

Aucun chant ni cri séditieux ne s'est produit. 1 »                                                              

 

1 Dans un bref compte-rendu de cette réunion inséré dans La Marseillaise, n° 74 du 3 mars 1870, la commission d'initiative fait état de 1.200 présents, et mentionne que « des discours ont été prononcés par les citoyens Blanc, Louis Martin, Chol et A. Richard. »

 

5.    Compte-rendu par A. Richard de l'assemblée du 13 mars   1870

 

Source : L'Internationale, organe des sections belges, n. 63 du 27 mars.

 

« ... Comme l'a justement fait observer notre ami Aubry de Rouen, cette date marquera dans l'histoire du prolétariat français, car l'Association internationale et les principes socialistes-révolutionnaires n'avaient jamais encore été affirmés en France d'une manière aussi solennelle et aussi éclatante.

Au moment de l'ouverture de la séance, à 2 h. de l'après-midi, près de 6.000 hommes et quelques centaines de femmes étaient rassemblés dans la vaste enceinte de la Rotonde. La Section de Paris était représentée par le citoyen Varlin, la section de Marseille par les citoyens Bastelica et Pacini, la section de Rouen par le citoyen Aubry, la section de Dijon par le citoyen Focillon, la section de Vienne par les citoyens Ailloud, Vaganey et un autre, les sections suisses par le citoyen Schwitzguebel. Enfin les sections d'Aix, La Ciotat et les groupes des environs de Lyon avaient également là des représentants. La section de Saint-Etienne qui s'est trouvée momentanément dans une situation fâcheuse n'était représentée que par des membres de la section de Lyon. Les sections belges n'ayant pu envoyer de délégués avaient envoyé un manifeste qui a été fort goûté. Le citoyen Michel Bakounine avait aussi envoyé une lettre énergique; quelques citoyens de différentes localités avaient également suivi cet exemple.

Le citoyen Varlin de Paris a été nommé à l'unanimité président de l'assemblée, et les citoyens Louis Martin, passementier et Dédier (Didier ?), sculpteur ont été nommés assesseurs. La parole a tout d'abord été donnée au citoyen A. Richard pour faire un exposé des principes, du but et des moyens d'action de l'A.I. L'orateur, s'appuyant sur toutes les considérations philosophiques, historiques et économiques qui expliquent le mouvement socialiste, a montré dans les transformations successives de la société dans les luttes intérieures qui les accompagnèrent et dans les progrès de la civilisation, le dégagement graduel de l'idée du Droit, aboutissant finalement à travers mille vicissitudes, à l'idée de la solidarité économique. Il a montré l'impuissance du principe de toutes les sociétés passées et présentes: le droit de la force, sanctionné de siècle en siècle dans toutes ses manifestations par l'ignominie de l'hérédité.1 il a fait justice de cette manie de rapporter tous les grands mouvements sociaux et tous les progrès, soit à la politique, soit à des personnalités. C'est la le système des démocrates bourgeois, avec lequel il est temps de trancher. Ce ne sont pas les personnalités qui produisent les progrès et les mouvements sociaux; c'est le travail multiplié, varié, sourd et continu de la grande collectivité populaire qui produit les grands hommes et les grandes choses. Ce n'est pas la politique qui influe sur la société, c'est la société qui influe sur la politique; c'est ce qui se passe dans les régions productives du travail et du capital qui influe sur ce qui se passe dans les régions infectes de la politique.

Les travailleurs ont compris autrefois que la morale ne suffisait pas pour réformer les sociétés ; aujourd'hui ils comprennent que la politique est aussi insuffisante : les trois dernières révolutions en sont un exemple frappant: la bourgeoisie seule en a profité à ce point qu'elle s'est emparée non seulement de toute la richesse sociale, mais aussi des sources de cette richesse. Les travailleurs ont donc le droit et le de- voir de s'organiser pour faire la seule révolution qui puisse leur être profitable, celle qui tendra à réformer à sa base même l'organisation sociale actuelle.

L'orateur a ensuite expliqué le rôle de l'A.I. au point de vue le plus restreint et le plus immédiat : grèves, sociétés de résistance, fédérations locales, etc. Il a terminé en déclarant que les hommes de l'A.I. ne sont point des socialistes à système, qu'ils se soucient fort peu des théories et des personnalités, et qu'ils sont persuadés que les masses populaires seules ont le secret de leurs destinées et pourront donner le mot d'ordre de l'avenir.

Le citoyen Bastelica a parlé ensuite. Il s'est attaché à démontrer combien la sublime devise de l'A.I. : pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits, répond aux sentiments et aux aspirations du grand peuple des travailleurs, dans tous les temps et dans tous les lieux. Il a montré la science elle-même, cette vieille édentée, incapable de trouver une formule qu'on puisse opposer à celle-là. Il fait ressortir la puissance et la majesté de ce grand mouvement international des travailleurs, qui est la continuation fatale, logique des révolutions passées et qui ne doit s'arrêter qu'à la destruction du vieil édifice social qui craque sous le poids de ses iniquités,

Répondant à ceux qui nous accusent de séparer la politique du socialisme, il a anéanti cette accusation en disant que les travailleurs qui ont été tant de fois trompés ne veulent plus marcher à la remorque de personne et qu'ils veulent désormais avoir leur politique à eux. Les hommes de l'Internationale resteront inébranlables sur le terrain de leurs principes; ils s'inclineront le jour de la révolution sociale devant le peuple, le peuple souverain, mais  devant lui  seulement.

Le citoyen Aubry a fait l'histoire de la Fédération ouvrière rouennaise; il l'a montrée se développant à travers mille entraves et mille difficultés, et arrivant peu à peu à former une masse compacte et solidement organisée. Il a fait voir comment l'esprit de solidarité qui anime tous les mouvements ouvriers gagne chaque jour du terrain et comment il a déjà été mis en pratique dans plusieurs cas et notamment lors des grèves d'Elbeuf et de Darnétal. Il a profité de cette occasion pour féliciter les corporations qui sont venues au secours de leurs frères de Normandie, et il s'est néanmoins fort logiquement prononcé contre les grèves en faisant entrevoir tout ce qu'on pourrait faire en donnant un autre cours aux héroïques efforts que l'on fait inutilement pour les faire triompher." La Fédération rouennaise croit pouvoir réussir à fonder par de nombreuses obligations d'1 Fr des ateliers de production. Au point de vue général, les ouvriers rouennais reconnaissent de plus en plus la nécessité de séparer leur action de celle des politiques bourgeois de toutes nuances, qui sont pour ainsi dire fatalement nos adversaires et ne pourraient nous mener que de déceptions en déceptions, comme par le passé. Ils se félicitent d'avoir été les premiers qui ont osé en France planter leur drapeau en face des bourgeois, en portant lors des dernières élections un candidat ouvrier. 3 Désormais ils pourront marcher d'accord avec leurs frères de Paris, de Lyon, de Marseille et d'ailleurs et rien ne pourra résister à cette force immense.

Le citoyen Schwitzguebel a raconté comment les principes socialistes et l'A.I. se sont implantés dans les montagnes neuchâteloises. Des bourgeois ont voulu dès l'origine faire tourner ce mouvement au profit de leurs personnalités, mais ils ont été graduellement et impitoyablement élagués.4 Les ouvriers suisses, plus peut-être que ceux des autres pays, ont compris que la politique n'est qu'une conséquence de l'organisation sociale et que la liberté politique sans la solidarité économique est une sorte de trompe-l'oeil avec lequel on amuse le peuple. Ils tiennent à faire savoir aux ouvriers français que quand la révolution sociale éclatera, les ouvriers suisses seront prêts et organisés pour accepter leur part de la lutte.

 

Le citoyen Pacini est heureux de saisir cette occasion pour resserrer de la manière la plus étroite les liens qui unissent déjà les ouvriers lyonnais et les ouvriers marseillais.

Leurs principes, leurs intentions, leurs manières de faire sont absolument les mêmes.

Il faut mettre en rapport les corporations similaires de chaque ville pour ne pas surcharger de travail les commissions fédérales. Notre oeuvre est déjà bien avancée ; la Fédération ouvrière de Marseille compte aujourd'hui 27 corporations adhérentes à l'AI.

 

On a ensuite donné lecture du projet des statuts pour la Fédération ouvrière de Lyon, puis on a procédé à la nomination de 15 membres formant le noyau initiateur de la commission fédérale, auquel viendront s'adjoindre les délégués des corporations adhérentes. Ont été élus à l'unanimité les citoyens Doublé, tisseur, Placet, graveur, Blanc, employé, Louis Martin, passementier, Marmonnier, passementier, Ginet tulliste, Régipas, tailleur, Arthur Martin, sculpteur, Chol, cordonnier, Dupuis, tailleur, Dumartheray, employé, Sévelinge, marbrier, Garnier, apprêteur de tulles. "

Le citoyen A. Richard a résilié entre les mains de la nouvelle commission les pleins pouvoirs qu'il a reçus au mois de juillet 1869 du Conseil général et il a décliné l'honneur de faire partie de cette commission, se basant sur la nécessité d'effacer les personnalités devant le principe et devant la souveraineté de la collectivité. L'assemblée, tout en approuvant cette pensée, n'en a pas admis les conclusions, et sur la proposition du citoyen Chol, elle a réélu avec enthousiasme le citoyen A. Richard. La séance qui a duré deux heures et demie a été levée aux cris de Vive l'Association internationale ! "                                                                                                                        I

 

1   Ceci est, mot pour mot, l'exposé fait par Richard à Bâle sur la question de la propriété collective.

2   Ces grèves avaient commencé à la fin de septembre 1869; elles ont été appuyées par toutes les sections françaises, notamment celle de Lyon.

3   Ce candidat était Emile Aubry lui-même. Cf. O. Testut, L'Internationale et le jacobinisme, t. 1, p. 253-262, pièce F.

4   James Guillaume, passim.

5   Garnier était un indicateur de police.

6   On trouvera également un compte-rendu de cette assemblée dans la Marseillaise n° 91 du 21 mars 1870. Un rapport expédié le 14 mars par la police lyonnaise au Ministère de l'Intérieur (A.M.L., V 55 35) n'apporte pas beaucoup de précisions supplémentaires. Le nombre des présents s'y trouve réduit à environ 4.000; en revanche il y est fait mention d'un incident que Richard passe sous silence : « La séance ne s'est pas passée sans tumulte. Des interruptions bruyantes ont eu lieu à plusieurs reprises ; quelques assistants ont voulu faire de l'opposition et formuler une accusation contre Richard ; mais on a refusé de les écouter et deux d'entre eux, nommés Vindry et Grailler ont été traités de mouchards et mis à la porte. » On a reconnu ici les amis de  Schettel.

6.   Adresse des travailleurs belges aux travailleurs lyonnais à l'occasion de l'assemblée du 13 mars.

 

Source : L'Internationale, organe des sections belges, n. 62 et 63 des 20 et 27 mars 1870.

 

« [...] Permettez-nous de vous soumettre nos idées sur deux questions toutes d'actualité que votre assemblée est sans doute appelée à élucider:

 

1° Quelle doit être l'attitude de la classe prolétaire vis-à-vis des mouvements politiques qui tendent à modifier la forme des gouvernements, vis-à-vis des démocrates radicaux et des républicains bourgeois ?

 

2° Quelle doit être l'attitude de la classe prolétaire vis-à-vis du mouvement coopératif ? [...]

I. Il est en effet tout un parti qui s'en va criant: nous sommes républicains-socialistes ! la réforme sociale, le Socialisme, est l'idéal de nos sociétés modernes; mais la réforme politique, la République est le moyen d'y arriver... Leur République, nous la connaissons, nous l'avons vue à l'oeuvre en France en 1848, nous l'avons vu fonctionner pendant les lugubres journées de Juin... Leur socialisme, nous en avons vu le programme au Congrès de la Ligue de la Paix, ce socialisme bâtard et eunuque, ce socialisme platonique, qui consiste tout simplement à engager les capitalistes à s'associer avec les ouvriers, à engager les travailleurs à faire des épargnes pour se créditer mutuellement... Ce que nous voulons, nous, ce n'est pas seulement placer sur le même pied le capital et le travail... c'est l'absorption du capital par le travail. Ce but, nous savons que nous ne pourrons l'atteindre que par une liquidation sociale qui fera passer la terre, les mines, les usines, les grands instruments de travail, des mains des propriétaires individuels ou des compagnies de capitalistes aux mains de la collectivité des travailleurs.

Maintenant, au milieu de ce grand remaniement du monde économique, que devient la forme politique, le gouvernement ? Rien, ou du moins peu de chose! Les groupes industriels étant organisés et devenus propriétaires collectifs de leurs ateliers et outillage, pratiquent l'échange de leurs produits et nomment dans leur sein leurs délégués, chargés des relations entre les groupes et de l'exécution de toutes les mesures d'intérêt général ou public. Devant cette véritable représentation du travail, devant cet Etat socialiste, l'Etat politique. l'Etat suivant la conception bourgeoise n'a plus de raison d'être; le mécanisme artificiel appelé gouvernement disparaît dans l'organisation économique, la politique se fond dans le socialisme... Pour nous la question sociale est le tout dont la question politique est une des parties...

 

II. Quant aux coopérateurs, cette autre catégorie qui frise également le socialisme et qui réellement se confond parfois avec lui, nous croyons que notre situation vis-à-vis d'eux a été assez nettement déterminée par les résolutions votées dans deux congrès successifs de l'Internationale, au Congrès de Lausanne et à celui de Bruxelles.

C'est assez dire, compagnons, que nous ne pensons pas devoir rejeter en bloc, dans son ensemble, le mouvement coopératif, bien qu'il ait certaines de ses manifestations qui laissent beaucoup à désirer et d'autres qui soient même tout à fait mauvaises.

Nous ne pouvons pas oublier que, par son origine et par son but, la coopération est et restera, quoi qu'on fasse pour l'en détourner, indissolublement liée au mouvement d'émancipation des prolétaires au XlXè siècle. Né spontanément des masses, dans le but d'arriver à la surpression du patronat par la société de production et à la suppression des intermédiaires par la société de consommation, le mouvement coopératif était pertinemment dirigé contre le parasitisme... Seulement n'atteignant que le patron et le commerçant qui ne sont après tout que de petits parasites à côté des grands propriétaires fondes et des barons de la féodalité financière, ne pouvant s'attaquer aux bases de notre régime social, c'est-à-dire à l'aliénation du sol, à l'intérêt et à la centralisation des capitaux, à la transmission des biens par voie d'hérédité individuelle, la coopération ne peut évidemment pas aboutir à transformer radicalement la société. [...] (Néanmoins la coopération doit avoir son rôle et surtout) les sociétés composées uniquement de travailleurs, sans associés à titre de capitalistes, et sans auxiliaires employés comme de simples salariés... Cette forme d'association de production outre qu'elle peut être un appui pour la société de résistance, notamment dans les cas de grèves, en occupant à tour de rôle les grévistes, nous paraît encore excellente sous ce rapport: c'est que de même que par le groupement des sociétés de résistance les ouvriers préparent la nouvelle organisation du travail et le classement des industries, par les ateliers corporatifs, ils préludent à la nouvelle  organisation  inférieure  de  l'atelier...

 

7.   Lettre de Bakounine à A. Richard à propos de l'assemblée du 13 mars.

 

Source: Bibliothèque de la Ville de Lyon, ms 5.401 n. 11.

 

Cher ami et frère.

 

Ce 12 mars 1870, Genève

 

Des circonstances indépendantes de ma volonté m'empêchent de venir prendre part à votre grande Assemblée du 13 Mars. Mais je ne voudrais pas la laisser passer sans exprimer à mes frères de France ma pensée et mes voeux.

Si je pouvais assister à cette importante réunion, voici ce que je dirais aux ouvriers français, avec toute la franchise barbare qui caractérise les démocrates-socialistes russes. Travailleurs, ne comptez plus que sur vous-mêmes. Ne démoralisez pas et ne paralysez pas votre puissance ascendante par des alliances de dupes avec le radicalisme bourgeois. La bourgeoisie n'a plus rien à vous donner. Politiquement et moralement, elle est morte, et elle n'a conservé de toutes ses magnificences historiques, qu'une seule puissance, celle d'une richesse fondée sur l'exploitation de votre travail. Jadis elle fut grande, elle fut audacieuse, elle fut puissante de pensée et de volonté. Elle avait un monde à renverser, un monde nouveau à créer, le monde de la civilisation moderne.

Elle a renversé le monde féodal par vos bras, et elle a fondé son monde nouveau sur vos épaules. Elles veut naturellement que vous ne cessiez jamais de servir de cariatides à ce monde. Elle en veut la conservation, et vous voulez, vous devez en vouloir le renversement et la destruction. Qu'y a t il de commun entre vous ?

Pousserez-vous la naïveté jusqu'à croire que la bourgeoisie consentira jamais à se dépouiller volontairement de ce qui constitue sa prospérité, sa liberté et son existence même, comme classe économiquement séparée de la masse économiquement asservie du prolétariat ? Sans doute non. Vous savez qu'aucune classe dominante n'a jamais fait justice contre elle-même, qu'il a toujours fallu l'aider. Cette fameuse nuit du 4 Août dont on a fait trop d'honneur à la noblesse française, n'a-t-elle pas été la conséquence forcée du soulèvement général des paysans qui brûlèrent les parchemins nobiliaires, et avec ces parchemins les châteaux. Vous savez fort bien que plutôt que de vous concéder les conditions d'une sérieuse égalité économique, les seules que vous puissiez accepter, ils se rejeteront (sic) mille fois sous la protection du mensonge parlementaire, et au besoin sous celle d'une nouvelle dictature militaire. Mais alors que pouvez-vous attendre du républicanisme bourgeois ? Que gagnerez-vous en vous alliant avec lui ? sans abandonner la sainte cause, l'unique grande cause aujourd'hui, celle de l'émancipation intégrale du prolétariat. Il est temps que vous proclamiez une rupture complète. Votre salut n'est qu'à ce prix.

Est-ce à dire que vous deviez repousser tous les individus nés et élevés au sein de la classe bourgeoise, mais qui, pénétrés de la justice de votre cause, viendront à vous pour la servir et pour vous aider à la faire triompher? Bien au contraire, recevez les comme des amis, comme des égaux, comme des frères pourvu que leur volonté soit sincère et qu'ils vous aient donné des garanties tant théoriques que pratiques de la sincérité de leurs convictions. En théorie, ils doivent proclamer hautement et sans aucune réticence tous les principes, conséquences et conditions d'une sérieuse égalité économique et sociale de tous les individus. En pratique, ils doivent avoir résolu- ment et définitivement rompu tous leurs rapports d'intérêt, de sentiment et de vanité avec le monde bourgeois qui est condamné à mourir.

Vous portez en vous aujourd'hui tous les éléments de la puissance qui doit renouveler le monde. Mais les éléments de la puissance ne sont pas encore la puissance.

Pour constituer une force réelle, ils doivent être organisés, et pour que cette organisation soit conforme à sa base et à son but, elle ne doit recevoir en son sein aucun élément étranger. Vous devez donc en tenir éloigné tout ce qui appartient à la civilisation, à l'organisation juridique, politique et sociale de la bourgeoisie. Lors même que la politique bourgeoise serait rouge comme le sang et brûlant (sic) comme le fer chaud, si elle n'accepte pas comme but immédiat et direct, la destruction de la propriété juridique et de l'Etat politique — les deux forts sur lesquels s'appuie toute la domination bourgeoise — son triomphe ne pourrait être que fatale (sic) à la cause du prolétariat.

La bourgeoisie, d'ailleurs, qui est arrivée au dernier degré d'impuissance intellectuelle et morale, est incapable de faire aujourd'hui une révolution par elle-même. Le peuple seul la veut et aura la puissance de la faire. Que veut donc cette partie avancée de la classe bourgeoise représentée par les libéraux ou par les démocrates exclusivement politiques ? Elle veut s'emparer de la direction du mouvement populaire pour la faire tourner encore une fois à son profit — ou comme ils le disent eux-mêmes, pour sauver les bases de ce qu'ils appellent la civilisation, c'est-à-dire les fondements mêmes de la domination bourgeoise.

Les ouvriers voudront-ils encore une fois jouer le rôle de dupes ? non. Mais pour ne pas devenir dupes, que doivent-ils faire ? S'abstenir de toute participation au radicalisme bourgeois et organiser en dehors de lui les forces du prolétariat. La base de cette organisation est toute donnée : ce sont les ateliers et la fédération des ateliers ; la création des caisses de résistance, instruments de lutte contre la bourgeoisie, et leur fédération non seulement nationale, mais internationale. La création des chambres de  travail comme en Belgique.

Et quand l'heure de la révolution aura sonné, la liquidation de l'Etat et de la société bourgeoise, y compris tous les rapports juridiques. L'anarchie, c'est-à-dire la vraie, la   franche   révolution   populaire :   l'anarchie   juridique   et   politique, et   l'organisation économique, de bas  en haut  et  de  la  circonférence   aux   centres, du  monde  triomphant  des  travailleurs. Et pour sauver la révolution, pour la conduire à bonne fin, au milieu même de cette anarchie, l'action d'une dictature collective, indivisible, non revêtue d'une puissance quelconque, mais d'autant plus efficace et puissante — l'action naturelle de tous les révolutionnaires socialistes énergiques et sincères, disséminés sur la surface du pays, de tous les pays, mais unis fortement par une pensée et une volonté commune.

Tel est, mon cher ami, selon moi, le seul programme dont l'application hardie amènera non  de nouvelles  déceptions,  mais  le triomphe  définitif  du  prolétariat.

 

1   La plus  grande  partie  de cette lettre  est  également  reproduite  par  A.   Richard, « Bakounine et l'Internationale à Lyon », p. 137 et sq.

 

 

 

Liste des corporations de Lyon adhérentes à l'Internationale établie par O. Testut - mois d'avril 1870.

 

Source: Archives départementales  du Rhône


 

 

Désignation des corporations

 

 

 

Nom des délégués

1.Chauffeurs mécaniciens

Petit (Pierre), mécanicien, chez Mr Gantillon,quai d'Albret, 1. (Délégation du 1er mars 1870).

2.  Ouvriers sur métaux

Descombes (Délégation du 3 février 1870) signée Méda fils.

3.  Sculpteurs

 

Busque et Arthur Martin (Délégation du 18 février  1870)

4. Tailleurs de pierre

 

Jazet, rue Passet, 1 (Délégation du 19 février)

5. Doreurs

Favre, rue Béchevelin 37 et Prémilleux, place St Clair, 5 (Délégation du 20 février)

6. Marbriers

Sévelinge, cours Bourbon, 103 (Délégation du 23 février)

7. Graveurs

Placet, rue Masséna, 68 et Fichesser

                                               =========== (Chevriers

Fonbal rue Vauban          (Délégation

8. Tanneurs                    

==========(  Tanneurs

Soubran                               du 24

                                        ============(Corroyeurs

Bonnamand                        février)

9. Bronziers

Bourseau, rue des Remparts d'Ainay, 24

10. Passementiers à la barre

Bauzin, rue Bugeaud, 75; Penel, cours Vitton, 42  (Délégation  du 27  février)

11. Menuisiers en fauteuils

Guillermet (exécutive), rue Marignan, 12 ; Durnerin. (Délégation du 3 mars)

12. Tapissiers

Dufresne  (menuisier) ;  Philippe Rey  (Délégation du 20 mars)

13. Menuisiers

Reculet Louis. (Délégation du 20 mars)

14. Plâtriers

Torrin ;  Lapesse, rue de Sèze, 26 (Délégation du 6 mars 1870)

15. Peintres

Whittem (Vittenne ?), rue Masséna, 75 ; Thierry, rue des Passants, 3 (Délégation du 20 mars)

16. Ouvriers apprêteurs et teinturiers en chapeaux

Chabert  (Louis), rue  Duguesclin,  44 ;             Vallot (Eugène), rue   Duguesclin,   64

17. Ouvriers apprêteurs

Tardy,   rue   des   Capucins,   12 ;   Joubert,   rue St Marcel, 48.  (Délégation du  17 mars)

18. Tullistes

Tournaire, rue Bossuet ; Cornier, rue de l'Enfance, 4. (Délégation du 20 mars)

19. Peigniers

Poncet  (Joannès),  rue    St  Georges  20;  Jules Chatagner, rue  de Villeneuve, 2. (Délégation du 20 mars et du 22 février)

 

20. Fondeurs

Chevalier   (Petrus),   rue  Duhamel,   19  (Délégation du 20 mars)

21. Tailleurs

Régipas,  Aiglon

22. Une fraction des Tisseurs

Pulliat,  Seignier

23. Charpentiers

Martinet, Davignon

24. Tisseurs fédérés, 2è groupe

Gonnard (Joanny)

25. Ouvriers apprêteurs de tulles

Jules Aidenot, rue Ste-Elisabeth,  125. (Délégation  du 25 avril)

23. Relieurs

Jules   Bourdon, Claude   Péchoux.  (Adhésion du 25 avril)

 

27. Verriers et cristalliers

Schild (Jean). (Adhésion et délégation du 26 avril)

28. Menuisiers (sic)

 

29. Cordonniers   2

Gervais fils, rue St Jean, 22  1

 

 

1    Erreur probable: ailleurs Gervais est désigné comme délégué des ouvriers chapeliers.

 

2   Toutes ces corporations ne semblent pas avoir maintenu par la suite les contacts avec la fédération. Une protestation du 5 juillet 1870 contre l'interdiction de l'Assemblée générale de la Fédération qui devait se tenir le 10 ne porte les signatures que de délégués de la moitié environ d'entre elles: soit Charvet, délégué des tisseurs, Aiglon, des tailleurs, Tournaire et Cornier, des tullistes, Busqué, des sculpteurs, Garnier, des apprêteurs de tulles, Favre et Prérnilleux, des doreurs sur bois, Vallot, des apprêteurs et teinturiers en chapeaux, Bardery et Bouron, des chapeliers, Vittenne, des peintres et plâtriers, Vuitton, des marbriers, Labro, des corroyeurs, ainsi que Ginet (tulliste), Deville (passementier), Régipas (tailleur), Bret (tisseur), Dupuis (tailleur), Dumartheray, Blanc et A. Richard. Sur d'autres proclamations, vers la même date, on trouve encore Guillermet (menuisiers en fauteuils), Poncet (peigniers) ou Gonnard (tisseurs fédérés), mais jamais de représentants des métallurgistes, des bronziers, des menuisiers, des charpentiers, des tapissiers, des teinturiers ou des ouvriers du livre.

 

9.   Rapport de police. 31 mars 1870

 

Source: A.M.L., P 55 4

 

« ...La commission de l'Internationale, composée des délégués des diverses corporations ouvrières qui ont adhéré à la fédération lyonnaise des travailleurs, s'est réunie le 30 de ce mois... A. Richard, correspondant, y a donné lecture d'une lettre de la Chambre syndicale de Marseille, énumérant les corps d'état qui, dans cette localité, sont affiliés à la Société... et d'une lettre de Mme P. Mink, qui fait connaître sa prochaine arrivée à Lyon. * Il a été remis ensuite aux membres de la commission et aux délégués des corporations des statuts de la fédération des travailleurs...2 Puis a été distribué le journal L’Eclaireur de Saint-Etienne du 27 mars 1870, dans lequel se trouve insérée une lettre d'E. Dupont.D'après les termes de cette lettre, le citoyen A. Richard est maintenu dans ses fonctions de correspondant et Schettel, Cormier, Blanc (B.), Chanoz et Vindry sont rayés du nombre des membres de la société comme calomniateurs.3 On a également distribué l'Internationale de Bruxelles et la Réforme sociale de Rouen. Richard, ne voulant pas être un sujet de division dans la société, a donné sa démission de membre de la Commission. Cette démission a été acceptée 'et doit être

publiée dans le journal Le Progrès.

 

1 Révolutionnaire d'origine polonaise, de son vrai nom Miekarska. Elle annonce dans cette lettre (A.M.L., I2 56 231) sa venue à Lyon pour y tenir un certain nombre de conférences sur le socialisme.

 

2  Le texte de ces statuts, publiés dans le Progrès du 19 mars 1870, est reproduit par O. Testut, L'Internationale, p. 121-123.

 

3  Texte reproduit dans O. Testut, L'Internationale, pièce T., p. 277-279.

 

10.    Lettre d'ouvriers lyonnais au Préfet du Rhône

 

Source: A.M.L., P 55 43.

 

Lyon, le 12 avril  1870

 

Monsieur le conseiller d'Etat,

 

Les soussignés ont l'honneur de vous déclarer qu'ils désirent se réunir samedi 16 courant à 8 h. du soir dans le local de la société des ouvriers maçons, rue Grôlée, 55, au premier.

Cette réunion a pour but de former une commission d'initiative pour faire appel aux corporations et les inviter à élire chacune un ou deux délégués pour former une commission ouvrière en vue de l'Exposition de 1871 pour recevoir les délégations étrangères  ou françaises.

 

Pradel Joseph, président de la société des ouvriers maçons, Batifois, gérant de la société de l'ameublement, Bergeron, tisseur, Bernard, délégué des charpentiers, Regard gérant de l'association typographique, Puttier (?), relieur, Mercier, président de la société des tailleurs de pierres.

 

11.  Rapport de police, 12 avril 1870

 

Source:  P 55  44.

 

La commission d'initiative de la société internationale s'est réunie vendredi soir 8 avril, sous la présidence du sieur Doublé, tisseur.

La séance a commencé par la lecture de différentes lettres relatives à la fédération lyonnaise, mais sans intérêt sauf toutefois celle signée E. Dupont, par laquelle le comité central de Londres réclame le prix des cartes et les cotisations des affiliés à la section lyonnaise... On a passé ensuite à la discussion de plusieurs articles d'un règlement...

Ce point à peu près réglé, on a passé à l'examen de la proposition faite à la société par la Commission de l'Exposition lyonnaise de 1871, à l'effet de s'unir pour procède ensemble à la réception des ouvriers étrangers qu'attirera sans doute cette exposition.

Cette motion a été vivement combattue par les principaux orateurs de la commission. A. Richard, entre autres, s'est élevé contre le fait même de l'exposition, qu'il a représentée comme devant être plus nuisible qu'utile à la classe ouvrière, et contre les membres de la Commission internationale de l'Exposition qu'il a dépeints comme les instruments d'une bourgeoisie soi-disant démocratique et libérale, mais hostile en réalité à la classe ouvrière. On a néanmoins décidé qu'une commission de trois membres serait nommée pour s'entendre avec eux.

Il a été également arrêté que l'on enverrait deux membres au journal Le Progrès pour lui proposer d'ouvrir une souscription en faveur des grévistes du Creuzot... Les graveurs, les blanchisseuses et les appréteurs sur tulles, tous dirigés par la Société Internationale, se sont réunis dimanche 10. On s'est occupé dans ces réunions des intérêts des travailleurs et on a organisé des souscriptions en faveur des grévistes du Creuzot.

 

 

 

12.  Rapport du commissaire de police du quartier des Célestins au Préfet

 

Source : 12 55 46.

17  avril  1870

 

Monsieur le Conseiller d'Etat,

 

J'ai l'honneur de vous informer que d'après votre autorisation, les membres de diverses, corporations se sont réunis le 16 avril courant dans un local situé rue Grôlée 55, au premier étage, sous la présidence de M. Molard, vice-président de la délégation lyonnaise à l'Exposition  universelle  de  1867.

54 membres étaient présents. La séance s'est ouverte à 8 h. 3/4 du soir. M. Grésillon, délégué des ouvriers bronziers a donné lecture du procès-verbal de la dernière réunion et d'un projet de rédaction d'affiches pour faire appel aux corporations et les inviter à nommer un ou deux délégués pour former une commission ouvrière en vue de la future Exposition de Lyon en 1871 et pour recevoir les délégations étrangères. On a nommé ensuite une commission d'initiative pour faire ledit appel. 14 corporations étaient représentées,  savoir:  les  charpentiers,  bronziers,  cordonniers,  menuisiers,  maçons,   tisseurs, orfèvres, ferblantiers, sculpteurs, serruriers, ciseleurs, relieurs, tailleurs de pierre et ébénistes. Un membre de chacune de ces corporations a été désigné pour faire partie de ladite commission d'initiative qui pourra également s'adjoindre quelques membres des corporations non représentées.

 

(A partir du 30 avril, sur ordre d'Emile Olivier, les principaux membres de la commission d'initiative sont arrêtés et poursuivis pour complot. On trouvera un résumé des séances de ce qui subsiste de la commission internationale (dressé d'après des rapports de police qui se trouvent aux Archives départementales du Rhône) dans O. Testut, L'Internationale et le jacobinisme..., t. 1, ch. V, p. 168-182 :  « Agissements de la fédération lyonnaise - compte-rendu de ses séances ». Il est donc inutile de les reproduire ici; ils n'ont d'ailleurs pas un grand intérêt documentaire.)


13. Albert Richard: « L'Association Internationale des Travailleurs », (tirage à part en brochure d'un article paru dans Le Progrès du 4 juillet 1870).

 

[ …] Qu'est-ce que le collectivisme ?

Avant l'Association Internationale, lorsque les théories socialistes ne se composaient que de dissertation métaphysiques plus ou moins raisonnables, deux théories générales parurent primer toutes les autres :

Le communisme qui ne voit ni intérêt individuel, ni liberté ou initiatives individuelles, qui ne peut concevoir que dans l'organisation sociale l'individualité ait un rôle distinct, un attribut spécial et qui veut la fondre complètement dans le grand bloc communautaire...

Et le mutuellisme qui veut, au contraire, que l'organisation sociale soit une résultante de la combinaison des forces individuelles, qui veut en tout et partout sauvegarder l'action et l'autonomie de l'individualité et la relier aux autres individualités par la fédération.

Le communisme n'ayant d'autre base morale qu'un sentiment mal éclairé de fraternité ou la négation du libre arbitre, est forcé d'accepter pour mobile général du système un grand répartiteur et organisateur. Le grand moyen d'action, le pivot du mutuellisme, c'est la constitution de la valeur. En effet pour établir l'égal échange, l'échange à prix de revient, il faut que la valeur soit constituée. Mais où trouver le véritable critérium de la valeur ? Selon Proudhon c'est l'heure de travail.

{Si nous ne sommes plus proudhoniens), c'est que nous avons reconnu qu'il n'y a pas, et qu'il ne peut y avoir de mesure de la valeur. Si l'on voulait absolument constituer la valeur, on arriverait à tarifer les produits sans tenir compte, ni du plus ou moins de fatigue, ni du plus ou moins de talent, ni des études, ni de tout ce qu'on aurait dépensé de force morale et matérielle pour fabriquer ces produits. Le mutuellisme arriverait ainsi par une voie opposée au même résultat que le communisme : il foulerait aux pieds le droit individuel.

Mais en reconnaissant cette vérité, nous avons, comme de raison, également reconnu que, bien que l'égal-échange, l'échange à prix de revient, soit une chose qui nous tienne fort à coeur, la condition essentielle, la base fondamentale, la loi suprême et naturelle de l'échange, c'est la liberté. Or, la liberté de l'échange implique nécessairement la liberté complète du travail, c'est-à-dire l'absence de toute réglementation dans le fonctionnement des rouages économiques. Tout cela est palpable.

Mais il nous restait alors une immense difficulté à résoudre.  Comment faire, nous sommes-nous dit, pour que cette liberté de l'échange et du travail puisse réellement exister, c'est-à-dire qu'elle existe pour tous les producteurs,  car  autrement,  elle ne serait qu'un despotisme déguisé. Là gît selon nous tout le problème social.

Nous avons logiquement abouti à ce raisonnement net et concis comme un propos géométrique : cette liberté, ce déploiement, cet épanouissement de tous les individus ne pourraient exister qu'à la condition d'être sauvegardés et garantis par une base sociale commune, par des droits et des devoirs communs. La liberté ne peut pas être individuelle sans être collective vice-versa. C'est-à-dire qu'il est de droit et de nécessité que la liberté soit fondée sur la solidarité économique de tous les individus.

Et cette affirmation de la science économique est absolument d'accord avec les enseignements de l'histoire et de la philosophie.

Les hommes naissent tous également nus et également impuissants. Aucun d'eux n'a donc, le jour de sa naissance, un droit supérieur à celui des autres; au contraire, ils ont tous un droit égal aux produits de la nature et à la richesse sociale acquise par les générations passées, et ils ne peuvent se le garantir réciproquement que par la solidarité. Si la prévoyance sociale n'empêchait pas que les suggestions de l'égoïsme l'emportassent, il y aurait une grande masse de sacrifiée et la société serait placée comme aujourd'hui sur un cratère toujours prêt à faire éruption.

La Société doit donc, sous peine de n'être qu'une horde barbare et indisciplinée, reconnaître le droit égal de tous les hommes à des moyens équivalents d'entretien, d'éducation, de développement, d'instruction, etc. C'est en d'autres termes déclarer qu'en droit la richesse sociale acquise, le capital accumulé sont inaliénables et intransmissibles par voie d'hérédité, tandis qu'au contraire, la production journalière, le produit du travail actuel, la récompense de l'effort individuel doivent appartenir absolument et exclusivement à l'individu.

Avant que l'homme soit formé nous disons : à chacun selon ses besoins. Quand il est formé : à chacun selon ses oeuvres. Voilà le collectivisme.

 

14.    Lettre du Procureur de la République Andrieux à Albert Richard

 

Source: A.M.L., P 56 260.

Lyon, le 19 juin 1871.

Monsieur,

 

Vous m'écrivez pour me poser cinq questions auxquelles vous pouvez répondre vous-même.Vous devez savoir en effet mieux que moi 1° si vous avez publié des articles délictueux; 2° si vous avez assisté à des réunions; 3° si vous avez fait partie du Comité ; 4° si l'on a pu vous voir à Lyon; 5° si vous vous êtes exposé à laisser tomber entre les mains de la justice des preuves de votre participation à un complot. Comme magistrat, je n'ai qu'une réponse à vous faire. Présentez-vous au juge d'instruction, et si vous avez été calomnié, vous vous justifierez.

Vous datez votre lettre de Suisse. C'est là une petite supercherie que je ne vous reproche pas. Mais j'ai des motifs pour croire que vous êtes encore à Lyon.

Vous me dites que vous avez été abreuvé de dégoûts, que vous avez fait bien des réflexions, que vous n'avez vécu que la préface de votre vie. Je ne demande pas mieux, Monsieur, que de croire pour vous à un meilleur avenir. Vous êtes jeune et intelligent. Vous pouvez avouer sans honte que vous vous êtes parfois égaré. La science économique et sociale n'est pas tellement simple, qu'on en puisse à votre âge en avoir sondé toutes les profondeurs. Je m'intéresse moi-même très vivement à l'amélioration du sort des travailleurs. Mais les solutions théoriques que je vous ai entendu proposer m'ont paru erronées, et les moyens employés par vos amis pour les faire prévaloir ont révolté ma conscience autant que mes convictions républicaines. Je vous avoue que je serais curieux de causer avec vous de toutes ces choses, si je pouvais vous voir ailleurs qu'à mon parquet, où je serais obligé de vous faire arrêter. Dans tous les cas, je recevrai avec intérêt et discrétion les communications confidentielles que vous jugeriez à propos de me faire soit sur les questions sociales, soit sur les moyens pratiques d'arriver à améliorer la situation des travailleurs. Si vous pouvez me communiquer des publications de nature à m'éclairer plus complètement sur les diverses écoles du socialisme contemporain, je vous  en  saurai  gré. »

 

#  Andrieux avait été un des radicaux les plus en vue sous l'Empire. Nommé procureur de la République après le 4 septembre, il s'illustra dans la répression de l'insurrection lyonnaise du 30 avril où il fut rossé d'importance par les émeutiers.

 

Bibliographie

 

1.  Archives.

—  Archives municipales de Lyon; série I : I2, Evénements et troubles politiques ; Police politique; Corporations, grèves, coalitions. Tout particulièrement dans F 43 les rapports de police concernant l'année 1867, et dans I2 56 la correspondance d'Albert Richard.   [Abréviation:  A.M.L.]

—  Archives départementales du Rhône:  papiers d'O. Testut.

—  Bibliothèque de Lyon: 17 lettres de Bakounine, adressées principalement à Albert Richard : ms 5401, 1 à 17.

 L'institut G. Feltrinelli possède des copies micro-filmées de tous ces documents que le professeur G. Del Bo a bien voulu me communiquer pour rédiger ce travail.

—  Archives de la Préfecture de Police à Paris : B/A 385, 386, 387, 388, 389; papiers d'O. Testut concernant surtout l'histoire de l'Internationale lyonnaise de 1871 à 1879 qui n'a pas été abordée ici.

—  Archives du Ministère de la Guerre à Paris : Correspondance générale (rap- ports mensuels de la Gendarmerie).

2.  Sources imprimées

a)  Presse : ont été parcourus les journaux L'Egalité de Genève (du 16 décembre 1868 à la fin de 1869), L'Internationale, organe des sections belges, auxquels A. Richard et quelques autres militants lyonnais envoient régulièrement des correspondances, La Marseillaise, Le Progrès de Lyon (ce dernier malheureusement dans la collection très incomplète que possède la Bibliothèque Nationale de Paris).

b)   Histoires générales de Lyon.

—  Charléty (S.), Histoire de Lyon depuis les origines jusqu'à nos jours. 1903.

—  Kleinclausz (A.), Histoire de Lyon, Tome III, De 1814 à 1940, par F. Dutacq et A. Latreille. Lyon, P. Masson, 1952.

c)   Lyon :  la cité, la population, l'industrie

—  Armingon, La population du département du Rhône, Lyon, 1940 (Bibl. Nat

8° F 42.191)

—  Audiganne (A), Les populations ouvrières, 2e éd. 1860, Tome 2, Les ouvriers de Lyon, p. 1 et sq.

—  Dutacq (F.), L'extension du cadre administratif et territorial de la cité lyonnaise de 1789 à 1852. Lyon, 1923.

—  Dutacq (F.), « La politique des grands travaux sous le Second Empire », Revue des Etudes napoléoniennes,  1929, fasc. 2.

—  Exposition universelle de 1900. L'Economie sociale et l'histoire du travail à Lyon. Rapport présenté par le Comité départemental du Rhône. Vie section, Histoire du travail. Lyon, 1900.

—  Godard (J.), Travailleurs et métiers lyonnais, Lyon, 1909 (ne concerne pas la période étudiée).

—  Morand (M.), La fabrique lyonnaise et l'industrie de la soie en France, 1789-1889. Lyon, 1894.

—  Pariset, Histoire de la fabrique lyonnaise ; la Chambre de commerce de Lyon,  2 vol., Lyon, 1886-1889.

— Reybaud (L.), Essai sur la condition morale, intellectuelle et matérielle des ouvriers qui vivent de l'industrie de la soie, Paris, 1860.

N.B. L'enquête de 1861-1865 sur l'industrie en France ne donne que des résultats très fragmentaires sur la situation à Lyon.

 

d) Histoires générales du mouvement ouvrier français et de l'Internationale présentant quelque intérêt pour les événements lyonnais

—  Dolléans (E.), Histoire du mouvement ouvrier, Tome I (cite les lettres de Varlin à Richard qu'il a par ailleurs publiées en 1937 dans le Bulletin de l'Institut d'Histoire sociale d'Amsterdam).

—  Duveau (G.), La vie ouvrière en France sous le Second Empire, Paris, 1946.

—  Jeloubovskaïa (E.A.), La chute du Second Empire et la naissance de la Troisième République en France. Moscou, 1959. (Krusenie vtoroj imperii i voznikno-venie Tret'ej respubliki vo Francii. Moskva, A.N. S.S.S.R., 1956)

—  Guillaume (J.), Le collectivisme de l'Internationale. Neuchâtel, 1904.

—  Guillaume (J.), L'Internationale, Documents et souvenirs (1864-1878). Tomes I et 2. Paris, 1905 et 1907.

—  Guillaume (J.), Karl Marx pangermaniste et l'Association Internationale des Travailleurs de 1864 à 1870, Paris, 1915.

—   Longuet (Ch.), La politique internationale du marxisme, Paris,  1918.

—  Testut (O.), L'Internationale (Association Internationale des Travailleurs), son origine, son but, etc. Lyon, 1870.

—  Testut (O.), L'Internationale et le Jacobinisme au ban de l'Europe, Tome I, Paris,  1872.

—  Testut (O.), Le rôle de l'Internationale depuis le 4 septembre, Paris, 1871.

 

L'édition de cette brochure que possède la Bibliothèque Nationale (Réserve)

est reliée avec divers documents dont plusieurs concernent l'Internationale lyonnaise, notamment les alphabets secrets de J. Guillaume).

—  Thomas (A.), Le Second Empire (Histoire socialiste). (A utilisé largement la correspondance de Richard, notamment p. 362 à 382). et Le mouvement ouvrier à Lyon sous le Second Empire.

—  Les Associations professionnelles ouvrières. 4 vol. (T. 1: lithographes et typographes de Lyon - T. 2: cordonniers, coupeurs en chaussures, tanneurs et corroyeurs, tisseurs, chapeliers - T. 3: verriers - T. 4: maçons, tailleurs de pierre).

—  Chambre de commerce de Lyon : enquête sur les sociétés coopératives, 25, 26 et 30 novembre 1865. (Partiellement reproduit par Flotard).

—  Dutacq (F.), "Les grèves lyonnaises à Ia fin du Second empire", La Révolution de 1848, n° 139, 1927.

— [Faure], La Coopération lyonnaise jugée par l’ex-police impériale. Renseignements sur les associations et leurs principaux membres. Signé Faure. Lyon,Association   typographique,   1870. (Rapport de police du commissaire Faure, qui fait le pendant à un rapport de février sur l’Internationale. A.M.L. I2 55 27). (B.N. Lb 57/207)et BN Lb 27/207.

—  Flotard (E.), Le mouvement coopératif à Lyon et dans le midi de la France, Paris, 1867. (B.N. R 36.137).

—   Gaumont (J.), Histoire générale  de la Coopération en France, Tome I, Paris, 1924.

—  Gaumont (J.), Le mouvement ouvrier d’association et de coopération à  Lyon, 1921.

—  Léon (P.), « Les grèves de 1867-1870 dans le département de l’Isère », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1954/

—  Lyon, cité républicaine à la veille de  la guerre de 1870 et des journées insurrectionnelles de la Commune. (Etude collective par J. Bouvier, C. Emerique, M. Moissonnier, R.Bonnardel), 1848, Revue des Révolutions contemporaines, 1951, n° 188-189.

—  Mathé aîné, Les tisseurs en soie de Lyon,1900 (BN 4° V 5056).

—  Maritch (S.), Histoire du mouvement social sous le Second empire à Lyon, 1930.

—   [Tartaret (E.)], Recueil des procès-verbaux de la Commission ouvrière de 1867, rassemblés par E.Tartaret. 2 vol. (notamment dans le tome I le rapport de la Délégation lyonnaise).

 f) La section lyonnaise.

—  Barbet (Virginie), Déisme et Athéisme, Lyon, 1869.

—  Barbet (V.), Réponse d'un membre de l’Internationale à Mazzini, Lyon, 1868.

f — Moissonnier (Maurice), « Un agent de la préfecture dans la commission fédérale lyonnaise de la Première Internationale », Actualité de l’Histoire, n° 32, juillet-septembre 1961.

—  Moissonnier (M.), « Première Internationale et courants traditionnels du mouvement ouvrier à Lyon »,  Cahiers Internationaux, n°  118, mai-juin 1961.

—  Moissonnier (M.), Un texte marxiste peu connu la Communication confidentielle »,  La Pensée, 1956, n° 69, p. 34-45.

—  Richard (Albert), « L'Association Internationale des Travailleurs » (Extrait du Progrès du 4 juillet 1870, BN Lb56/3136

—  Richard (A.), « Bakounine et l'Internationale à Lyon », Revue de Paris, 1er septembre 1896.

—  Richard (A.), « Les débuts du socialisme français », Revue politique et parlementaire, janvier 1897.

—  Richard (A.), « Les propagateurs de l’Internationale en France », Revue socialiste, juin 1896.

—  Richard  (A.),  Le  socialisme  à propos des élections législatives (BN Lb 56/2333). Cette brochure a été reproduite par O. Testut, L’internationale et le

jacobinisme..., t. I, p. 263-273, pièce G.

—  Vermorel (J.), « Les travailleurs lyonnais et l’Internationale », 1ère partie, Revue du Lyonnais, 1922, t. VI ;   2ème partie, Revue des questions pratiques, Droit ouvrier, août-décembre 1926, t. XXII.

 

g) Les événements révolutionnaires de 1870-1871

—  Andrieux (L.), La Commune à Lyon en 1870-1871. Paris,  1906.

—  [Bakounine (M.), Lettres à un Français sur la crise actuelle (par M.B.), s.l, 1870 (B.N., Lb 57/297).

—  Bourgin (G.), « Le mouvement communaliste dans les départements en 1871 », Revue socialiste, mai 1909.

—  Bruhat (J.), Dautry (J.), Tersen (E.), La Commune de 1871. Paris, 1961. (Etude des mouvements provinciaux sous la direction de J.Bouvier, avec la participation pour Lyon de M. Moissonnier).

—  Boegner, « Lyon en février-juin 1871 », Revue de l'Université de Lyon, 1929.

—  Moissonnier (M.), « La Commune et le mouvement ouvrier lyonnais », Nouvelle Critique, n" 125 avril 1961. (Avec un long préambule sur la section lyonnaise).

—  Rude (F.), « Bakounine à Lyon en 1870 », Actes du 77è Congrès des Sociétés savantes, Paris, 1952 (p. 535-551).

—  Sugny (de), Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur les actes du Gouvernement de la Défense nationale, 2ème partie : Lyon et le département  du Rhône  (Annales  de  l’Assemblée  Nationale...  novembre   1872).

On ne saurait également se dispenser de la consultation des ouvrages devenus classiques de F. Rude {Le mouvement ouvrier à Lyon de 1827-1832) et de F. Dutacq (Histoire politique de Lyon pendant la révolution de 1848) - ainsi que de ceux de Carr, Kaminski, Nettlau, de Préaudeau sur Bakounine.

 

 

 

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