La Première Internationale à Paris 1870-1871L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS ET LE MOUVEMENT OUVRIER A PARIS PENDANT LES EVENEMENTS DE 1870-1871 "Jalons pour une
histoire de la Commune de Paris", International review of Social history, vol. XVII, 1972 Nous sommes pour la Révolution, c'est-à-dire un état de choses tel que, sans secousse, sans désordre, sans coup d'état, sans émeute, sans léser aucun intérêt légitime, les réformes politiques et sociales cessant par la liberté complète de pensée d'être un épouvantait pour les niais et les ignorants, puissent passer aisément du domaine de la théorie sur le terrain de la pratique... La Révolution politique et sociale, 2 avril 1871 Le groupe des tailleurs recommence les travaux d'habillement de la Garde nationale. Il donne directement le travail aux citoyens, démontrant par ce fait l'inutilité du patronat. La Commune [...] étudie de près les monopoles, ces sangsues qui accumulent le capital en métallisant la sueur de notre classe... Ibid., 5 avril 1871 Oui, nous étions bien les fils des hommes de 93, les héritiers directs des Jacobins les plus résolus, des Montagnards les plus déterminés !... Paul Martine, Mémoires Il est peu d'historiens aujourd'hui qui n'admettent le caractère socialiste de la Commune, ou qu'elle fut à tout le moins l'ébauche d'une révolution socialiste. Nul cependant encore qui ait cherché à traiter vraiment de ce chapitre décisif en la matière que fut l'histoire, pendant les événements de 1870-1871, de l'Association Internationale des Travailleurs à Paris, du rôle exact de l'organisation la plus éminemment ouvrière et socialiste en ces temps. 1 Sur ce rôle, sur cette histoire, que de questions pourtant, d'opinions divergentes, contradictoires ! Questions, de nos jours comme autrefois ! La première, et non des moindres, pourrait être par exemple résumée en ces conclusions de quelques contemporains, sur lesquelles, selon les cas et leurs goûts, s'appuieront les historiens. Jules Favre, chargé des Affaires étrangères en 1871 : « J'omettrais un des éléments essentiels de cette lugubre histoire, si je ne rappelais qu'à côté des jacobins parodistes, [...] il faut placer les chefs d'une société maintenant tristement célèbre, qu'on appelle l'Internationale, et dont l'action a été plus puissante peut-être que celle de leurs complices, parce qu'elle s'est appuyée sur le nombre, la discipline et le cosmopolitisme... » Face à lui Tolain, qui fut des premiers Internationaux français, de la section des « Gravilliers », dès 1865 : « Je suis absolument convaincu qu'à partir du 4 septembre et pendant toute la période du siège, il a été impossible à l'Association Internationale de prendre une part réelle, active [...] à tous les grands mouvements qui se sont produits... » Et Fribourg, son collègue, de surenchérir : « Qu'il me soit permis de faire observer qu'il y avait très peu de membres de l'Internationale parmi les fonctionnaires de la Commune, qu'ils étaient en minorité dans la Commune... » 2 Grande coupable, ou bien force quasi exténuée ? Partiaux dans leurs déclarations extrêmes, l'un et les autres le sont de toute évidence : Favre, qui cherche à affoler l'Europe pour des raisons diplomatiques ; Tolain et Fribourg, « renégats » de l'Association, qui, la couvrant, tentent aussi bien de se couvrir eux-mêmes, dans un climat de répression où si être de l'Internationale est imputé immédiatement à crime, en avoir été peut être également un sérieux motif de suspicion. Mais le premier a-t-il nécessairement tort quand il évoque la discipline et le nombre ? D'autres témoignages, inversement, pourraient bien, en apparence, donner raison aux seconds. 3 Est-ce Engels, dans une sorte d'entre-deux, qui nous procure la solution. « La Commune qui, intellectuellement, était sans contredit fille de l'Internationale, quoique l'Internationale n'eût pas remué un doigt pour la faire, et dont l'Internationale fut également, de plein droit dans cette mesure, tenue pour responsable... . » 4 Élégante formule, de juste milieu ! Mais cette « synthèse », me paraît-il, reste à expliciter. L'eût-on fait d'ailleurs, au lieu de l'invoquer fréquemment, de nouvelles questions n'afflueraient-elles pas, multiples et pressantes ? Je propose en exergue à ce travail trois autres textes. Ils figurent assez bien (sans l'épuiser) ce que pensaient, que sentaient les Internationaux parisiens de 1871. Mais alors qu'est-ce qu'un International ? Un socialiste convaincu de « l'inutilité du patronat », révolutionnaire mais non-violent, souhaitant les inévitables transformations sociales, mais sans désordre ni émeute, comme le suggère l'organe quasi officiel de l'A.I.T. à Paris pendant la Commune, La Révolution politique et sociale. Ou bien ce Jacobin, « fils de 93 » que nous dit Paul Martine, agrégé d'histoire, inscrit le 18 février 1871 à la section des Batignolles ? 5 Les problèmes, les incertitudes sont foule. Comment, et peut-on trancher ? Il faut reconnaître que si jusqu'à présent l'histoire de l'Internationale parisienne en 1870 et 1871 n'a pas été faite, ou ne l'a été qu'insuffisamment, c'est au premier chef faute de sources. Non qu'on n'en possède quelques-unes. Elles sont seulement incomplètes, disparates. Plus riches pour la période qui précède immédiatement la Commune que pour la période de la Commune elle-même. Plus précises, depuis que nous disposons des « minutes » des séances de celui-ci, en ce qui touche le Conseil général de Londres (mal informé d'ailleurs de ce qui se passe à Paris) qu'en ce qui concerne le Conseil fédéral parisien et ses sections, objet principal ici de notre attention. 6 Un substantiel dossier « Internationale » a disparu des Archives historiques de la Guerre, au château de Vincennes. À l'historien donc d'essayer de suppléer, bribe à bribe, à ces carences redoutables par de patientes recherches, dans la presse, dans d'autres archives, 7 dans les dossiers individuels d'Internationaux aux mêmes Archives de la Guerre ou aux Archives nationales ; 8 puis de tenter de lier ce qu'il conquiert ainsi péniblement à ce que l'on sait déjà, et la chose n'est pas toujours facile. Il lui arrivera de s'aventurer ; je ne dois pas cacher que dans les lignes qu'on va lire, il y a bonne part d'hypothèses, qui prêteront à discussion. Il faut bien cependant qu'en dépit des écueils, notre connaissance des événements de 1871 progresse. À la fin de l'Empire, force on faiblesse de l'A.I.T.? On ne saurait raisonnablement aborder ce sujet - axé sur le Siège et la Commune - sans remonter préalablement un peu en arrière, jusqu'à un passé, point trop éloigné, jusqu'aux derniers mois de l'Empire, pour tenter d'abord de mesurer - autant qu'il est loisible de le faire - quelle était alors la force réelle, ou virtuelle, de l'A.I.T. parisienne, quelles étaient aussi bien ses faiblesses, avant que ne commence le drame. « Nos sections françaises sont détruites, les hommes les plus éprouvés sont en fuite ou en prison, écrit le 2 août 1870 Marx à J. Ph. Becker. Volontiers citée, l'appréciation pourrait suggérer l'image d'un édifice vraiment très fragile. Certes, nous sommes au lendemain du « troisième procès ’ »(22 juin-5 juillet) de l'Association, déclarée illicite, et les poursuites, commencées début juin, continuent. Certes, beaucoup de dirigeants, les meilleurs, sont en prison en effet, comme Benoît Malon, ou en fuite, comme Varlin, réfugié à Bruxelles. Mais les troupes, les petits cadres ? Plutôt qu'en août, à Londres, situons-nous à Paris, un peu plus tôt ; nous aurons une vue peut-être mieux mesurée des choses. La guerre éclate le 19 juillet. Sept jours auparavant, le 12, et il y fallait un certain courage, près de 400 Internationaux ou sympathisants protestent contre ce conflit qui vient et n'est pas le leur, dans une Adresse aux Travailleurs de tous les pays, et particulièrement à leurs « frères » d'Allemagne et d'Espagne. Dans les jours qui suivent, onze sections de Paris et de banlieue apportent, avec quelque 250 signatures encore, leur adhésion à cette protestation. 9 Reculons d'un peu plus. De janvier 1870 - date approximative de la véritable reconstitution de la société à Paris - à juillet, je note la formation de vingt-huit sections et de trois « Marmites » coopératives 10 venant flanquer les deux piliers restés debout après la précédente vague de persécution en 1868, le Cercle d'Etudes sociales et le premier groupe de la Marmite, animés tous deux par Varlin, pépinières des nouveaux militants qui, dès qu'il a été possible, ont relancé l'organisation. Bref, trente trois groupes internationaux, qui tous adhèrent à la Fédération des sections parisiennes formée le 18 avril. Dix-neuf s'étaient constitués avant que le Gouvernement ne décide d'intenter ses nouvelles poursuites (n'est-ce pas une preuve qu'il commence à juger l'ennemi redoutable ?) ; cinq sections, alors décapitées, ont succombé, à tout le moins ont dû se mettre en sommeil du fait du troisième procès 11, mais en dépit de celui-ci et de la mise hors-la-loi de l'Internationale, quatorze groupes se forment encore, ou tentent de se former en juin et juillet. Vingt sept sont bien vivants au moment de l'Adresse contre la guerre. Ce ne sont pas les persécutions impériales qui ont désarticulé l'A.I.T. : on dirait presque au contraire qu'elle y trouve un regain de force ! C’est plutôt la guerre, encore que, on va le voir, dans certaines limites seulement. Mais voici qu'affluent les questions redoutables ! Celle-ci d'abord : si le nombre des sections peut être considéré comme un indicateur grossier des forces de l'organisation, en apparence croissantes, combien en réalité d'Internationaux à Paris ? Elle risque de rester sans réponse convaincante. Si l'on se fiait au nombre des signatures apportées par les onze sections qui ont adhéré à l'Adresse contre la guerre, on pourrait situer l'effectif moyen d'un groupe autour d'une trentaine, d'une quarantaine de membres. Mais tous à coup sûr n'ont pas osé, ou pu signer. Parmi les sections les plus anciennement formées, il en est assurément qui dépassent amplement ces maigres effectifs. Il doit y avoir inversement des sections jeunes, ou qui ont du mal à s'implanter (c'est le cas, par exemple, sur la rive gauche), ne rassemblant, autour d'un secrétaire-correspondant, qu'une petite poignée de fidèles. 12 Au moment du troisième procès, il semble plausible d'avancer, sur le témoignage de Franquin, trésorier de l'organisation, le chiffre de quelque 1.250 cotisants, qui ne s'éloignerait pas beaucoup de l'hypothèse précédente. 13 Mais tout adhérent ne cotise pas régulièrement. 14 Et puis chaque groupe rayonne, s'enveloppe d'un halo d'amis, de sympathisants, de proches. Gardons-nous de négliger l'importance des « Marmites », restaurants coopératifs inventés par Varlin, sections elles aussi de l'A.I.T., centres actifs d'information, de discussion, de propagande. Je n'en dénombrais que quatre fonctionnant sûrement. Le typographe Georges Bertin, qui fut secrétaire du mouvement, avant d'être celui, fort efficace, de la Commission de la Commune pour le Travail et l'Echange, en mentionne à ce moment onze, avec 8.000 souscripteurs. C'est, il est vrai, dans un livre bien postérieur. 15 Rejettera-t-on pour autant son témoignage - probablement un peu exagéré ? il confirme, il renforce cette hypothèse évidente d'une audience toujours plus rayonnante de l'organisation. Et prétendrions-nous mieux connaître l'A.I.T. qu'un International lui-même, qui fut des meilleurs ? Saurait-on d'autre part se limiter aux seules sections et à leurs membres exprès ? Aux côtés de la Fédération des sections constituée en avril, il existe, depuis décembre 1869, une Chambre fédérale des Sociétés ouvrières, patiemment construite, par Varlin encore. Il ne peut, je crois, y avoir de doute : celle-ci est une émanation, mieux, une filiale de l'A.I.T. parisienne, et je ne vois guère de raison solide de refuser aux membres des sociétés, des syndicats qu'elle réunit, la qualité, le titre d'Internationaux à part quasi entière. Il s'agit là certes d'adhésions collectives, et d'une fidélité qui peut n'être pas à toute épreuve. Mais le bureau de la Chambre fédérale tout entier, les bureaux des syndicats membres toujours en majorité, souvent exclusivement, se trouvent composés d'Internationaux du meilleur teint, expressément inscrits à l'Association. Chambre fédérale et A.I.T. publient des textes communs, ou parallèles. Lors du troisième procès d'ailleurs, la justice ne fera pas, et pour cause, de distinction entre les deux organisations. . Voilà qui élargit singulièrement l'audience de l'A.I.T., l'appréciation que nous pouvons donner de ses forces. Il existe à Paris, toujours en cette première moitié de 1870, une grosse centaine de sociétés ouvrières de caractère nettement syndical. 70 au minimum sur ce total se sont affiliées à la Chambre fédérale et, surcroît de preuve s'il en est besoin, vingt ont adhéré formellement à l'Internationale. 16 On peut avancer que l'audience, l'influence de celle-ci s'étendent à peu près sûrement à plusieurs dizaines de milliers de membres : 30.000, 50.000 peut-être. Impossible de hasarder rien de plus précis, mais je souligne de ce moment cet aspect syndical que vient de prendre l'Association : c'est un trait dont on verra l'importance dans son histoire à venir. Voici quelques éléments - imparfaits, imprécis - de réponse à cette question première de la force numérique de l'A.I.T. On voit qu'elle se double aussitôt de cette autre, que j'évoquais en commençant : qu'est-ce qu'un International ? Formellement, l'adhérent d'une section, naturellement, mais aussi, sans nul doute, une large part des ouvriers « syndiqués » de Paris. Nous n'en avons pas pour autant terminé sur ce point qui devient singulièrement complexe sur la fin de l'Empire, qu'il faut, pour l'avenir encore, poser, entamant ici le chapitre des faiblesses de l'organisation. Car il faut bien le dire, il y a International et International, même chez les adhérents les plus convaincus. Il y a les membres anciens, les « Gravilliers », qui appartinrent à la toute première section de 1865, avec Tolain et Fribourg, et les jeunes qui ne sont entrés en Internationale qu'en 1869 ou 1870. Les nouveaux venus ne sont pas toujours d'accord avec les anciens, et depuis une date récente - les Congrès internationaux de Bruxelles en 1868 et de Bâle en 1869 - s'opposent de plus en plus vivement « mutuellistes », qui refusent, et « collectivistes » qui acceptent les décisions touchant à la collectivisation du sol et des mines prises au cours de ces deux congrès. La querelle est bien connue ! elle n'aura que peu d'incidence au moment de l'insurrection. 17 Ce que l'on sait moins, c'est un autre fait qui risque de bousculer tant soit peu certaines idées ou étiquettes reçues, et qui sera, lui, générateur de sensibles difficultés pendant les jours du Siège et de la Commune. Après une longue période de méfiance, les blanquistes, dans les derniers mois de l'Empire, entrent en force dans l'Association. Fribourg l'avait déjà souligné fortement : on le croyait partial. 18 Voici ce qu'écrit un des leurs, E. V. Lejudec, à son camarade Victor Jaclard en juillet 1870 : « J'ai, avec mes amis, formé deux sections internationales, celle sous mon influence personnelle s'appelle Richard-Lenoir, l'autre Picpus. Je ne suis rien que le meneur de ces deux sections. Duval [...] continue à former des sections [...] Fortin va très bien, il influe sur la section des Martyrs. » 19 Ce sont des blanquistes encore qui tiennent ou conduisent quelques-unes des principales sections de la rive gauche : Panthéon, Sociale des Ecoles, Maison-Blanche... A.I.T, multicolore. A.I.T. qui est aussi, on l'oublie trop, d'une extrême jeunesse, ce qui est une autre de ses faiblesses. Bien sûr la première « branche » parisienne remonte à 1865. Mais l'Internationale sectionnaire et syndicale que je viens de décrire, qui n'a plus rien de commun avec cette société d'études économiques et sociales qu'avaient voulu construire au départ Tolain et surtout Fribourg, cette Internationale « de nouvelle couvée » n'a donc même pas un an. De là, en même temps que de ses divisions, sa faiblesse la plus radicale : le caractère flou, incomplet du moins, parfois mal cohérent de son programme. La jeune Internationale est bonne républicaine et révolutionnaire, son but avoué est le renversement de l'Empire: mais ses forces propres, seules, y suffiraient-elles ? Elle réclame des réformes urgentes : toutes les libertés, l'instruction laïque, gratuite, obligatoire, la suppression des armées permanentes, un impôt progressif, « l'expropriation de toutes les compagnies financières et l'appropriation par la Nation, pour les transformer en service public, des canaux, chemins de fer, roulages, assurances, mines ». Une République démocratique et sociale, mieux, socialiste, car « Le travail est la loi suprême de l'humanité; la source de la richesse publique; la cause la plus efficiente du bien-être individuel. Le travailleur a droit à l'estime de ses concitoyens ; il impose son honorabilité à ceux-mêmes qui l'exploitent; il est appelé à régénérer le vieux monde... » Varlin, « collectiviste » songe à ce que je ne vois comment appeler autrement qu'une « syndicalisation des moyens de production », par la multiplication à l'échelle nationale d'associations ouvrières de production, émanation directe elles-mêmes des syndicats : « Les sociétés corporatives (résistance, solidarité, syndicat) méritent surtout nos encouragements et nos sympathies, car ce sont elles qui forment les éléments naturels de l'édification sociale de l'avenir : ce sont elles qui pourront facilement se transformer en associations de producteurs; ce sont elles qui pourront mettre en œuvre l'outillage social et l'organisation de la production... » Ce en quoi il s'accorde parfaitement avec le « mutuelliste » Pindy, rapporteur au Congrès de Bâle de la question des sociétés de résistance : celles-ci pourraient également constituer la base de l'édifice politique à venir : « Le groupement des différentes corporations par ville forme la Commune de l'avenir. [...] Le gouvernement est remplacé par les conseils des corps de métiers réunis, et par un comité de leurs délégués respectifs, réglant les rapports du travail qui remplaceront la politique. » Voilà le mot Commune prononcé ; il l'avait été aussi dans un manifeste publié par une vingtaine d'Internationaux à l'occasion des élections de mai 1869 : « Les communes, les départements et les colonies affranchis de toute tutelle pour ce qui concerne leurs intérêts locaux et administrés par des mandataires librement élus ... » 20 Mais ces idées neuves qui apparaissent sont encore dans l'ensemble bien mal liées entre elles, jamais suffisamment élaborées. Probablement le cinquième Congrès de l'A.I.T., qui devait se tenir en septembre 1870 à Mayence, mais ne put naturellement avoir lieu, prévoyait-il d'y mettre un peu d'ordre : on devait y traiter : « 2) Des rapports entre l'action politique et le mouvement social de la classe ouvrière [...] De la conversion des banques de circulation en banques nationales. Conditions de la production coopérative sur une échelle nationale... » Et quelle audience ces idées ont-elles, dans les masses populaires, voire chez les militants eux-mêmes ? C'est un tracas lancinant pour les Internationaux dès l'Empire (il le sera plus encore en 1871) que de n'avoir pas de journal, de moyen de propagande qui soit proprement leur. Le radical Rochefort leur prête, non sans incidents, quelques colonnes ou quelques pages de sa Marseillaise. Mais c'est sans doute le problème du lien entre social et politique qui apparaît le plus crucial. Renverser l'Empire ? Comment y parvenir sans passer alliance avec les autres mouvements d'opposition, républicains, mais dont les nuances vont du plus rouge au plus rose et dont le socialisme n'est généralement pas la première préoccupation ? Et qu'on songe à cet « entrisme » ou cette intrusion des blanquistes dans l'Association que nous venons de décrire ! Comment ces Internationaux d'un nouveau genre (on ne peut leur dénier le titre), pour qui le politique prime aussi le social, vont-ils s'entendre sur ce point avec, comment les appeler ?, les Internationaux d'ancienne, de vraie souche. Je ne m'attarderai pas sur la guerre, venant après les persécutions, la mobilisation dans l'armée, la garde mobile, bientôt la garde nationale. Elle a pu contribuer à désorganiser le mouvement, les sociétés ouvrières d'ailleurs probablement plus que les sections. Car celles-ci, en dépit de l'impression de Marx, ne paraissent pas réellement détruites. Dès septembre, on voit déjà réapparaître nombre d'entre elles, tant bien que mal, mais non sans audience. Le temps des Comités de vigilance C'est la foule parisienne qui a fait le 4 septembre : une foule bientôt canalisée, poussée par les meilleurs des militants blanquistes. Mais dans cette foule, combien d'Internationaux ? 21 Toujours est-il - et c'est dire qu'elle est loin d'être morte - que, l'insurrection plus ou moins bien terminée, l'A.I.T. parisienne est la première formation politique à réagir en tant que telle. Dès le soir, la « Fédération ouvrière parisienne » tient séance, place de la Corderie, au siège de l'ancien Conseil fédéral. « Une commission de sept membres a été nommée, et se rend immédiatement auprès du Gouvernement de la Défense nationale pour réclamer l'élection du conseil municipal du département de la Seine [...] la suppression de la Préfecture de police, de la garde municipale et des sergents de ville l'annulation de toutes les condamnations ayant une cause politique [...] l'armement en masse de tous les Français en état de porter les armes. Une seconde commission de douze membres a été nommée pour rédiger [une] adresse au peuple allemand [...] Une troisième commission a été chargée d'organiser une souscription ayant pour but d'envoyer des délégués en province. Une quatrième commission a été élue pour réclamer l'abolition de toutes les lois qui entravent la liberté de la presse [...] Enfin il a été décidé que toutes les associations ouvrières seraient en permanence à dater de demain, et qu'elles enverraient un délégué à la Fédération... » 22 Les quatre premières décisions, soumises dans la nuit à Gambetta, ministre provisoire de l'Intérieur, firent l'objet d'une réponse plutôt dilatoire. 23 Je dirai plus tard le bruit que fit, non pas à Paris mais à Londres, l'Adresse des Internationaux parisiens au peuple allemand. Permanence de toutes les associations ouvrières! le lendemain 5 se tenait en tout cas une nouvelle assemblée dans le IIIe arrondissement, « composée en partie des délégués des sociétés ouvrières et des sections de l'Internationale », qui prit à l'unanimité la résolution suivante : « Il faut organiser sur le champ des comités républicains dans chaque arrondissement. Chaque comité déléguera quatre de ses membres pour former un Comité central. Ces comités se mettront à la disposition du gouvernement provisoire pour exécuter les mesures d'ordre, et leur concours le plus dévoué pour la défense de la capitale. De l'ordre et de l'union, afin d'être forts ! » 24 C'est bien l'Internationale, ce sont les Internationaux qui vont provoquer, dans leur grande majorité, la formation de ces comités républicains d'arrondissement qu'à la mode américaine, on nomme bientôt comités de vigilance. Du 6 au 8 septembre, se forment d'abord les comités du VIe, à l'initiative de Varlin et des membres du 1er groupe de la Marmite, du XVe, sous la présidence de Chalain et Combault, du XVIIe, sous celle de Malon et au siège même du 4e groupe de la Marmite, rue Berzélius, du Ve à l'initiative de Longuet, du IIe à celle de Johannard, du IIIe, à celle de Pindy ; du IVe enfin, où, si l'impulsion n'est pas toute venue de l'A.I.T., on retrouve Franquin, A. Clémence, A. Harlé et nombre d'anciens « Gravilliers ». Les 8 et 9, c'est le tour des comités du Xe, décalque presque exact de l'ancienne section de l'Est, du XIVe, décalque aussi de celle de Montrouge, du XVIIIe, issu de celle de Montmartre, avec en sus quelques influences blanquistes. Dans le comité du Ier, formé sensiblement plus tard (le 16 septembre), majorité encore de membres blanquistes ou «blanquisants» de la section du Panthéon. 25 Et quant au très bourgeois XVIe, la déposition d'un témoin devant la Commission d'enquête sur les événements du 18 mars corrobore amplement tout ce qui précède : « Le Comité [...] se composait de quelques ouvriers en apparence inoffensifs, délégués presque tous par l'Internationale et purement tolérés par la municipalité dans l'antichambre de la mairie... » Il est vrai qu'il continue : « Ils n'ont jamais été, que je sache, employés qu'à des distributions et corvées de bienfaisance. » 26 Ajoutons encore deux cas extrêmes, qui valent qu'on les détache. Dans le XIIIè arrondissement, la section, d'allures plutôt blanquistes, de la Maison-Blanche a purement et simplement mis la main sur la municipalité : c'est Passedouet, son secrétaire-correspondant qui est maire provisoire, flanqué d'une commission municipale (qui est en même temps le comité de vigilance) animée par le fondeur Emile Duval avec treize de ses compagnons. On remarquera que déjà les blanquistes les plus audacieux mènent une route un peu à part. Mais aussi bien, quoique sous d'autres couleurs, il en va de même dans le XIe. Ici non plus, ce n'est pas tant le comité de vigilance qui compte. Sous la direction du maire républicain Mottu, la municipalité provisoire tout entière est composée soit d'Internationaux proprement dits, Tolain, J. Bony, tous deux membres du Cercle mutuelliste -, Avrial, Guillaume, les bijoutiers Dutoit et Jaud, soit de membres de sociétés ouvrières très proches de l'A.I.T. (peut-être même inscrits, mais nous n'en avons pas la preuve), Rebierre, Malarmet, Kneip, Lépine. 27 Bref l'A.I.T. dispose, en maîtresse, au moins momentanée, de l'administration de deux arrondissements de la capitale, tout en contrôlant, de plus ou moins près, celle de la majorité des autres. Quel est le sens de ce mouvement, et plus généralement quelle est la politique de l'Internationale parisienne, en ces lendemains immédiats du 4 septembre ? Pour cette politique, Marx et les « marxistes » de 1870 n'ont guère été tendres, pas plus que ne le sont en vérité les historiens marxistes d'aujourd'hui. Revenons à cette Adresse au peuple allemand, rédigée, on l'a vu, dans la nuit du 4 au 5 septembre. Le texte en est trop connu, je n'en retiens que les phrases essentielles : « Tu ne fais la guerre qu'à l'empereur, et point à la nation française. [...] La France républicaine t'invite, au nom de la justice, à retirer tes armées. [...] Par la voix de 38 millions d'êtres, animés du même sentiment patriotique et révolutionnaire, nous te répétons ce que nous déclarions à l'Europe coalisée en 1793 : Le Peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire [...] Il ne s'immisce point dans le gouvernement des autres nations ; il ne souffre pas que les autres nations s'immiscent dans le sien. Repasse le Rhin !... » Pure sottise « chauvine », pour Marx, qu'irrite particulièrement le rappel intempestif des « grands souvenirs » de 92 et 93, dont sont trop coutumiers décidément les Français qui se prennent pour le « peuple élu» de la Révolution: on est en 1870 ! Il écrit le 14 septembre à l'International belge César De Paepe : « Leur manifeste était une absurdité. [...] Tout le ton [en] est absurde et pas du tout dans l'esprit de l'Internationale.» Et il lui communique des extraits d'une lettre reçue de Serraillier, que le Conseil général vient d'envoyer en émissaire à Paris : « C'est incroyable de penser que des gens peuvent pendant six ans être internationaux, abolir les frontières, ne plus connaître d'étrangers, et en arriver au point où ils en sont pour conserver une popularité factice, et dont tôt ou tard ils seront les victimes. Quand je m'indigne de leur conduite ils répondent que s'ils parlaient autrement ils seraient boules] [...] par leurs discours ultra-chauvins, quelle situation font-ils à l'Internationale ! Combien faudra-t-il de générations pour effacer l'antagonisme profond de nationalité qu'ils cherchent à faire renaître par tous les efforts que leur pauvre imagination leur suggère! [...] comme moi, ils savent qu'ils trompent le peuple, en le flattant, ils sentent qu'ils creusent un abîme sous eux, je dis plus, ils ont peur de s'avouer franchement International [...] il s'ensuit qu'ils ne peuvent rien trouver que de parodier la révolution de 93 ! » 28 Exécution capitale ! On sait que Marx eût préféré voir alors les ouvriers français « travailler à leur propre organisation de classe », dans le cadre plus commode de la jeune République. En ce qui touche la constitution des Comités de vigilance et du Comité central des Vingt Arrondissements qui les couronne, les historiens J. Dautry et L. Scheler, sur un autre registre, ne sont pas loin aujourd'hui d'être aussi sévères. Les Internationaux parisiens auraient manqué à leurs yeux une remarquable occasion le 4 septembre, peut-être même contribué à freiner le développement spontané du mouvement révolutionnaire. 29 Il aurait été alors possible de faire élire directement par les arrondissements une municipalité socialiste révolutionnaire de la capitale, qui eût pu décisivement concurrencer le pâle Gouvernement provisoire, voire se substituer simplement à lui. Projet majeur, disent-ils, auquel, et la faute en serait largement aux Internationaux, on laisse se substituer un projet mineur de comités d'arrondissement sans forces, et d'un Comité central, qui se cantonne dans le rôle d'auxiliaire, finalement de paravent sinon d'instrument d'un gouvernement bourgeois. N'est-ce pas, dans les deux cas, fausser quelque peu les perspectives, trop accabler vraiment l'A.I.T. parisienne ? La conjoncture est délicate, l'Association y accomplit, pas toujours adroitement peut-être, le maximum possible. Le belge E. Hins en témoigne pour Varlin ; tous deux viennent de rentrer à Paris au lendemain immédiat du 4 septembre : « Son premier soin fut de battre le rappel de l'Internationale ; mais nous ne tardâmes pas à nous convaincre qu'il n'était pas possible de continuer à agir comme organisation séparée, mais que chacun devait s'employer dans son arrondissement au mieux de la défense de nos idées, en agissant selon le milieu. Ainsi beaucoup prirent position dans les municipalités, d'autres dans la Garde nationale ... » 30 Le problème est d'abord, par tous les moyens, de remettre en selle, de refaire les forces d'une organisation tout de même sensiblement ébranlée. Et, à tout prendre, l'idée des comités de vigilance, rameutant autour de l'A.I.T. tout ce que Paris comptait de républicains révolutionnaires de bonne volonté, était-elle un projet tellement « mineur » ? On a manqué peut-être, dans les premiers jours de la révolution, l'élection spontanée d'une municipalité - ou gouvernement ? - réellement populaire. Mais la chose était-elle possible? Le Gouvernement provisoire est peut-être faible, mais Gambetta, à l'Intérieur, paraît peu disposé à se laisser déborder sur sa gauche : il le montre en désignant sans attendre des municipalités pour chacun des vingt arrondissements, court-circuitant immédiatement toute tentative d'élection populaire tumultuaire. Certes la première affiche rouge, apposée le 15 septembre par le Comité des Vingt Arrondissements et qui porte, sur quarante-huit signatures, celles d'au moins 30 Internationaux, est bien pâle, de couleur rose en vérité: elle n'est qu'offre de services au Gouvernement provisoire, qu'avec le recul on jugera assez naïve, pour l'organisation de la défense, l'administration des subsistances, la mise en route des réformes qu'exige la nouvelle forme républicaine du gouvernement... 31 Mais le tout Paris populaire, y compris la masse des Internationaux, y compris les blanquistes les plus résolus, fait alors confiance - et continuera longtemps de le faire - au nouveau pouvoir qu'il vient de se donner. Et puis, somme toute, est-ce bien là ce qu'avaient imaginé au départ les Internationaux comme Varlin qui furent les promoteurs du mouvement (Varlin, on le remarquera, n'a pas signé l'affiche rouge, et on ne le verra jamais aux séances du Comité central) ? Au nom du Conseil fédéral parisien de l'A.I.T., Varlin, Malon, Bachruch, ont adressé une circulaire à leurs « frères » de province pour les renseigner sur la situation à Paris : on ne peut la dater que des tous débuts du mouvement, avant même peut-être l'affiche rouge : « Par tous les moyens possibles, nous concourons à la Défense nationale qui est la chose capitale du moment. Depuis la proclamation de la République, l'épouvantable guerre actuelle a pris une autre signification: elle est maintenant le duel à mort entre le monarchisme féodal et la démocratie républicaine. [...] Nous ne négligeons pas pourtant les précautions à prendre contre la réaction épargnée et menaçante. Nous organisons en ce sens nos comités de vigilance dans tous les quartiers et nous poussons à la fondation des districts qui furent si utiles en 93. [...] C'est, croyons-nous dans ce sens que vous devez agir : 1°) surexciter par tous les moyens possibles le patriotisme qui doit sauver la France révolutionnaire ; 2°) prendre des mesures énergiques contre la réaction bourgeoise et bonapartiste et pousser à l'acceptation des grandes mesures de défense par l'organisation des Comités républicains, premiers éléments des futures Communes révolutionnaires. Notre révolution à nous n'est pas encore faite.. . » 32 Ni révolution prématurée, ni compromission avec le Gouvernement provisoire, mais lutte sur deux fronts. Et dira-t-on de l'Internationale qu'elle est « chauvine » ? Bonne patriote plutôt, comme l'ensemble encore de la population parisienne, au sein de laquelle florissent aussi - situation en quelque sorte oblige - les grands souvenirs de l'an II. Je me garderai en tout cas d'accorder une confiance extrême au témoignage de Serraillier, qui brossait à son maître un tableau si sombre. Revenu à Paris, devenu membre du comité de défense nationale du IIe arrondissement, qui siège Cour des Miracles, voici les propos qu'il y tient vers la mi-septembre : « Serraillier dit que ce qu'il nous faut, c'est un principe nouveau qui, comme en 89, nous rallie sous une même bannière ; ce principe est la solidarité. [...] Que la France ne fasse pas une guerre incomplète, mais qu'elle la généralise par l'affranchissement des peuples, car tant qu'il y aura un trône en Europe, la République sera en péril... » Et de conclure « Il ne doit y avoir qu'un cri : Aux armes, et Vive la République ! » 33 Se serait-il laissé prendre lui aussi au piège des « grands souvenirs », ceux cette fois de la croisade girondine pour la libération des peuples opprimés? Son ton n'est pas si différent de ceux qu'il critique, au même moment, si vivement. Marx lui-même, passé un premier moment d'exaspération, conviendra que d'agressive et condamnable qu'elle était sous l'Empire, la guerre est devenue, pour la France républicaine, défensive et justifiable. D'un autre côté, tant bien que mal, à leur façon, n'est-ce pas à leur propre «organisation de classe» que tentent de procéder les ouvriers parisiens en érigeant ces «comités républicains, premiers éléments des futures Communes révolutionnaires» ? Il est vrai (faute en particulier de suffisamment d'autres textes pour l'expliciter à fond) que ce projet majeur peut sembler un peu flou, en ce qui touche notamment le sens exact à donner à ce mot de Commune; d'autant plus, on l'a vu, que les Internationaux réclament en même temps une municipalité de Paris, qu'à ce moment on commence à nommer également Commune révolutionnaire. Tenons-nous en dès lors à la lettre des documents que nous possédons, sans oublier le « notre révolution à nous n'est pas encore faite ». On est conduit à cette seule hypothèse - la suite se chargera de la vérifier ou non - que Commune et municipalité parisienne ne sont pas absolument la même chose pour les Internationaux, à la différence de ce qui est le cas dans la majorité des autres groupes révolutionnaires. Ils réclament une municipalité comme une réforme, avec d'autres réformes, au sein d'un régime bourgeois, celui du Gouvernement provisoire. Dans le même temps, ils préparent un avenir révolutionnaire, à plus ou moins longue échéance, en formant à côté et en face du pouvoir existant ces groupes, comités, districts « administrés autonomiquement » dira un autre texte, qui, renforcés, généralisés, rassemblés, constitueront non pas seulement à Paris mais aussi en province, non pas une mais des Communes qui se substitueront au Gouvernement. Communes ? Jouent assurément les grands souvenirs de l'an II, des organisations sectionnaires et de leur Commune dressées à côté et en face de la Convention bourgeoise, mais aussi bien d'autres influences, la proudhonienne par exemple, sans oublier l'expérience que j'évoquais plus haut tirée de la lutte dans les sociétés de résistance. Mais cette révolution n'est pas aisée à faire, et il n'est pas toujours commode de combattre sur deux fronts à la fois. Reconstruire l'Internationale De la mi-septembre à la mi-octobre, l'œuvre des Comités de vigilance n'a
pas été mutile ni inefficace. Je ne prends que deux exemples, choisis parmi les
comités où les Internationaux étaient les plus actifs. Comité du Xè,
déclaration du 11 octobre : « Notre œuvre n'aura pas été stérile. Douze bataillons de la garde nationale doivent leur organisation à notre initiative. La question des subsistances est en bonne voie de solution, et la police de l'arrondissement a subi des modifications importantes... » 34 Au Comité du IIIe, animé par Pindy et Henri Goullé, on propose, le 13 octobre, cette mesure qui n'est pas sans préfigurer le décret que prendra la Commune, le 16 avril 1871, sur les ateliers abandonnés : «... Les ateliers, usines, en général tous établissements pouvant servir à la fabrication d'armes ou de munitions de guerre, et le matériel de ces établissements, sont expropriés pour cause d'utilité publique. Les propriétaires de ces établissements seront indemnisés par la nation, après la guerre. [...] À la paix ces établissements pourront être confiés à des associations ouvrières qui les exploiteront pour leur compte... » 35 Pour sa part, le Comité des Vingt Arrondissements multiplie déclarations et manifestations, de plus en plus nettement antigouvernementales. Or voici que brusquement l'Internationale parisienne vire de cap ; elle, la promotrice du mouvement, paraît l'abandonner, pour se reconstituer, à l'écart. « Dans une assemblée d'un grand nombre de délégués de l'Internationale et des Corporations ouvrières, tenue le 18 octobre, il a été décidé qu'un appel serait fait à toutes les anciennes sections, pour qu'elles reprennent la propagande interrompue, et à tous les membres en général, pour qu'ils se livrent à la formation de nouvelles sections dans les quartiers qui en sont privés. » 36 À cet appel en effet, se reforment, jusqu'au 31 octobre, les sections du
Panthéon (dès le 13), Vertbois (le 16), Sociale des Ecoles, Montrouge, Est,
Batignolles, Cercle d'Etudes sociales, Vaugirard, Richard-Lenoir, Brantôme;
trois nouvelles tentent de se créer, Saint-Sulpice (VIe) et
Rochechouart (IXe) qui apparemment n'auront pas de suite, et la
section du Faubourg-du-Temple qui, elle, va durer. 37 Soit onze
sections qui fonctionnent à la fin d'octobre, sans compter les quatre Marmites.
Pourquoi cette concurrence à l'ancien mouvement, aux Comités de vigilance qui
dès lors commencent à végéter, au Comité des Vingt arrondissements au sein
duquel on voyait d'ailleurs, depuis quelque temps, de moins en moins
d'Internationaux ? Disons même plutôt cette sécession. Lefrançais, qui est
des Vingt Arrondissements, nous l'explique, ou croit nous l'expliquer. Il a
tenté auprès de l'Internationale une mission de conciliation, arguant que
celle-ci était la seule organisation capable de diriger et de mener à bien la
Révolution sociale qui s'annonçait. « La Commission [de l'Internationale], à la presque unanimité, déclara qu'il n'y avait pas lieu pour l'Internationale et les Chambres syndicales ouvrières de se mêler directement à des événements encore trop incertains et dans lesquels ces sociétés pouvaient compromettre leur originalité et même leur existence. Qu'elles avaient en vue de s'occuper uniquement des réformes sociales, économiques, et que, en tant que groupes, l'Internationale et la Fédération devaient s'abstenir soigneusement de toute ingérence dans l'action purement politique. Chacun des membres conservant du reste le droit d'y participer individuellement dans la mesure qu'il jugerait convenable.. . » 38 Explication que paraît bien confirmer le témoignage de Serraillier en février 1871, devant le Conseil général de Londres : « On the 8th of October a démonstration was to be made against the Government ; ail our members were present but only as individuals, not as association ; there was no concerted action, they did nothing. Then I tried to get a meeting of the Fédéral Council to take some steps for the next demonstration which was to come off on the 31st of October but they said they could not connect politics with the International [...] The International declined to support Blanqui [...] Varlin, like the rest, declared that the International could not act politically as an association... » 39 Ainsi l'A.I.T. parisienne aurait décidé de ne plus se mêler de politique,
tout particulièrement par méfiance des agissements de Blanqui et de ses
acolytes. L'explication a des allures plausibles : il est notoire par
exemple que les Internationaux de vieille souche n'apprécient beaucoup ni la
personne de Blanqui ni sa conception toute politique de la Révolution, et il
est exact qu'ils placent l'économique et le social avant le politique. Elle ne
me convainc pas cependant, sous cette forme du moins qui me paraît simplifiée.
Ainsi un fait, mais qui n'est pas sans importance. Si la sécession a pour
causes essentielles et la méfiance de la politique et celle du blanquisme,
comment expliquer que ce soient les trois sections les plus «politisées» et
incontestablement les plus directement influencées par des blanquistes,
Panthéon, Vertbois et Sociale des Ecoles qui se soient reconstituées les
premières ? J'ajoute qu'avant même le 18 octobre, les deux
premières, le 13 et le 16, avaient déjà appelé les autres sections à se
reformer, qu'il est donc fort possible que l'initiative du mouvement de
dissidence leur revienne. 40 Et qui vient immédiatement à leur suite ? la section de l'Est, qui
reprend ses séances dès le 21 octobre et dont l'un des membres les plus
influents est ... Serraillier lui-même ! D'autre part, c'est contre le
Comité des Vingt arrondissements que s'est faite la sécession : un Comité
où jamais Blanqui, ni, sauf très rares exceptions, les blanquistes (notamment
les délégués, dont Duval, du Comité de vigilance du XIIIè) n'ont mis
les pieds. Il faut chercher d'autres hypothèses qui à tout le moins nuancent
les explications proposées par Lefrançais et Serraillier. Faute encore de
documents substantiels pour cette période critique, il est malcommode d'en
échafauder. Je crois cependant qu'on peut retenir celles qui suivent. Premier fait : le mouvement des Comités de vigilance a, somme toute, été un échec, dans la perspective du moins que s'étaient fixée les Internationaux. Ceux-ci, en force insuffisante, ont dû au sommet, au Comité central, en bas dans les comités d'arrondissements, cohabiter, compter avec des compagnons républicains, radicaux par exemple, mais précisément eux aussi plus politiques que socialistes, et sensiblement plus tièdes qu'eux, ou ne nourrissant pas du tout les mêmes projets révolutionnaires. Tièdes (ou confuses) en effet les proclamations, après l'affiche rouge, du Comité central qui ne sait pas choisir, face au Gouvernement provisoire, entre le rôle d'auxiliaire maugréant, d'opposant modéré, ou d'adversaire résolu. Il réclame sans vigueur, avec de moins en moins de vigueur, des élections municipales qu'on n'a pas grand peine à lui refuser. Il exige bien une Commune, mais que mettre sous ce mot ? Pour les modérés, qui dans le comité sont devenus majoritaires, il s'agit tout au plus d'une sorte de municipalité autonome de la capitale, mal définie, surtout dans ses rapports avec le Gouvernement; pour la gauche minoritaire (dont est Lefrançais), d'une espèce de contre-gouvernement qu'il faut désigner au plus vite, pour emporter révolutionnairement la victoire. 41 Dans ces projets divers et incertains, rien, on en conviendra, qui ressemble désormais à celui, révolutionnaire en même temps que progressif, qu'avaient formé initialement les Internationaux. En bas, au niveau des quartiers ou des arrondissements ? S'il fallait en croire certains témoignages, les comités
Sections parisiennes pendant le Siège et la Commune
pour la plupart auraient été purement et simplement
« domestiqués » par les maires. Je citais plus haut le cas du
XVIe arrondissement ; il en aurait été de même par exemple du comité
du Xè : « À ma mairie, il nous vint en effet le lendemain ou le surlendemain [du 4 septembre] un groupe d'hommes qui se dirent envoyés pour participer avec la nouvelle mairie aux mesures à prendre pour la défense de Paris. [...] Je dois dire que ces hommes se calmèrent facilement, qu'ils acceptèrent de déléguer quelques-uns d'entre eux pour nous servir, comme nous avions dit, d'auxiliaires, et nous en fîmes en quelque sorte des employés de mairie qui nous servirent dans bien des cas exceptionnels auxquels n'auraient pas pu suffire nos employés ordinaires. » 42 Propos excessifs? le comité du Xè démissionne, le 11 octobre, parce qu'il est en conflit avec le maire qui soutient le Gouvernement dans son refus de procéder à des élections municipales. 43 Il se peut tout de même qu'ils contiennent une certaine parcelle de vérité. J'ai dit d'autre part que les comités n'avaient pas été sans efficacité, à l'armement, aux subsistances, ajoutons encore à l'assistance, ou à l'organisation du travail. Ces tâches de tous les jours sont bien absorbantes ; ne risquent-elles pas de faire oublier peu à peu le « but final » ? Les comités d'en bas sont eux aussi divisés sur la politique à suivre et le sens à donner au mot Commune. Bref, quelles qu'en soient les raisons, courant octobre, il est visible que le mouvement à la base s'anémie : début novembre, il ne restera pratiquement plus rien de ce qui devait être l'embryon d'une future Commune révolutionnaire. La greffe tentée par l'Internationale n'a pas pris sur le Paris populaire. Second fait : les manifestations politiques se multiplient depuis la fin septembre, une fois démasqués la « trahison » ou en tout cas le peu de désir de combattre du Gouvernement de défense nationale. Manifestations les 21-23 septembre de chefs de bataillons de la Garde nationale, le 5 octobre du trop aventureux Flourens, seul à la tête de ses quelques bataillons de Bellevillois, le 8, du Comité central des Vingt Arrondissements. Toutes avortent naturellement, parce que tentées sans préparation sérieuse, sans entente ni projet précis, si ce n'est ce mot de Commune sur lequel justement, j'y ai suffisamment insisté, nul n'est réellement d'accord. Serraillier n'a pas tort lorsqu'il invoque comme cause, ou comme occasion de la dissidence de l'Internationale, l'échec du 8 octobre. Mais ce n'est pas à l'action politique que se refuse celle-ci; c'est de cette forme d'action politique qu'on a menée jusqu'à présent, agitation, gesticulation aussi désordonnées que sans effet et qui sous-estiment gravement la capacité de résistance du gouvernement bourgeois, qu'elle ne veut plus. Pas d'aventure intempestive - les Internationaux ne participeront pas, sinon individuellement, au mouvement du 31 octobre - mais d'abord l'organisation, telle est, me semble-t-il la politique que veut suivre l'Internationale ; on pourrait déjà en somme appliquer à cette période ces mots qu'aura Frankel, quelques mois plus tard, à la séance du Conseil fédéral du 15 février : « Il nous faut une organisation virile, des sections disciplinées [...] qui se maintiennent dévouées à l'idée internationale, vivaces, sans jamais se lasser ni fléchir. À ces conditions, on sera prêt et puissamment constitué au jour de l'action, si imprévue que soit son arrivée. » 44 Ces hypothèses faites, que je crois acceptables, il n'est pas question pour autant de négliger la remarque de Serraillier touchant à l'hostilité des Internationaux à Blanqui et aux blanquistes, et même d'autant plus que les blanquistes, comme autrefois, se retrouvent nombreux dans l'Internationale reconstruite. Les blanquistes, eux, ont participé au 31 octobre. La suite va confirmer, au sein de l'Association, l'existence de quelques incompatibilités d'humeur ... De déceptions en dissidences Ainsi l'A.I.T., après s'être quelque peu diluée, perdue, au sein du Comité des Vingt Arrondissements, tente-t-elle de se reprendre. En novembre et décembre, l'opération « reconstruction » se poursuit, à un rythme assez soutenu. Réapparaissent en novembre les sections du Combat, des Gobelins, de l'Hôpital-Saint-Louis, tandis que se forme dans le XVIIe une section des Ternes, filiale des Batignolles, mais qu'échoue dans le Ve un projet de section du Jardin-des-Plantes. Décembre voit la reconstitution de la section du Faubourg Saint-Antoine, la formation de la section Poissonnière; et à une date qu'il est impossible de déterminer exactement, entre la fin de décembre et le début de janvier, naissent les sections des Couronnes, du Roule, des Récollets et des Grandes-Carrières de Montmartre. À partir de ce début janvier, nous commençons à marcher sur un terrain plus sûr, puisque nous possédons désormais les procès-verbaux des séances du Conseil fédéral parisien, avec la mention des sections qui y assistent. Quatorze sections s'y font représenter en ce commencement de 1871, plus ou moins fidèlement, plus deux des Marmites. En réalité il doit exister alors à Paris quelque vingt-six groupes, mais ou bien certains végètent, ou bien ils se montrent récalcitrants à l'autorité du Conseil. Parmi ces groupes, deux de type original. Après l'échec de l'ultime manifestation du 31 octobre, qu'il n'est pas de notre propos de retracer ici les Comités de vigilance ont pratiquement disparu. Plusieurs cependant, dans les VIe, VIIe, IVe, Xe. XIIe, XIIIe arrondissements, se sont « reconvertis ». Conscients des faiblesses du « parti » révolutionnaire, qui est au plus bas au début de novembre, leurs dirigeants ont constitué, à partir d'un petit noyau de militants fidèles, des clubs ou comités démocratiques, socialistes, révolutionnaires, fermés ou sélectifs, fortement structurés à la différence des trop souples Comités de vigilance précédents. 45 Deux de ces organisations vont donner leur adhésion à l'Internationale. L'Association républicaine du VIe, formée le 4 décembre sous la présidence du vieil International Charles Beslay, demande, très probablement sous l'influence de Varlin, à s'affilier au Conseil fédéral le 12 janvier : 46 elle prend le nom de section de l'Ecole de Médecine. Mais on s'attachera surtout au cas du Club Républicain Démocratique et Socialiste du XIIIè Arrondissement, fondé le 16 novembre 1870, et qui déclare adhérer à l'A.I.T. dès sa séance du 25. 47 Il n'est autre chose, avec Duval, Léo Melliet, Chardon..., que la continuation, sous une autre forme, de l'ancien Comité de vigilance du XIIIè, avec le club que celui-ci animait déjà. De tendance carrément blanquiste, il va donner quelque fil à retordre au Conseil fédéral. De sa sécession et de sa reconstruction, l'Internationale a-t-elle tiré un regain de forces? Faute de documents, il est hors de question, en cette fin d'année 1870, d'évaluer, même grossièrement, ses effectifs. 48 On doit se tourner vers d'autres indices. Premier signe de faiblesse : s'il a été possible, tant bien que mal, de reformer des sections, il ne semble pas, en dépit d'appels réitérés, en avoir été de même en ce qui concerne les sociétés ouvrières et leur Chambre fédérale. D'octobre à décembre, à peine une dizaine de sociétés donnent de brefs signes de vie ; 49 les représentants d'une quinzaine assistent aux séances du Conseil fédéral en janvier. Encore toutes sont-elles probablement réduites à l'état de squelette. 50 Autre indication : les très maigres résultats obtenus par les candidats internationaux lors des élections municipales que le Gouvernement provisoire a fini par accorder, les 5-7 novembre. L'A.I.T. est gravement touchée elle aussi par le recul général du parti révolutionnaire. Passedouet, candidat à la mairie du XIIIe, un fief (blanquiste) qu'on pouvait croire solide et qu'il administrait provisoirement depuis le 4 septembre, est largement battu par un obscur républicain modéré, avec 29% des voix; tout aussi bien le mutuelliste Murat, clans le Xe, avec 23%. Passent seulement 9 adjoints que l'Association peut réclamer pour siens: Murât dans le Xè, avec cette fois 81% des voix, Tolain clans le XIe (87%), Léo Melliet dans le XIIIe, mais au second tour (50%), Héligon, un ancien «Gravilliers» (87%), le typographe Nègre, le sculpteur sur pierres J.-B. Perrin dans le XIVe, Malon dans le XVIIe, lui aussi au second tour (39%), enfin le cordonnier Dereure dans le XVIIIe (71%) et le peintre sur porcelaine Oudet dans le XIXe (52%), ces deux derniers portés d'ailleurs en fait sur des listes radicales ou néo-jacobines. Neuf magistrats municipaux sur un total de 80, et de second ordre, aucun maire, c'est un piètre résultat, surtout si l'on tient compte de l'activité précédemment déployée par les militants internationaux dans les Comités de vigilance; les autres groupes d'opposition bonne républicaine ont obtenu pour leur part une vingtaine de sièges. Un seul succès vraiment, encore que de maigre envergure, celui qui est obtenu dans le XIVe, où trois adjoints internationaux secondent le maire radical Asseline ; preuve que la section de Montrouge n'est pas sans influence. Il est célébré, un peu haut peut-être, par le journal socialiste de l'arrondissement, La Résistance : « Citoyens du XIVe, [...] votre vote a une portée immense, il traverse plusieurs étages de préjugés : vous avez relevé les travailleurs de l'incapacité dont les avait frappés la monarchie. [...] Vous avez affirmé votre sympathie pour cette courageuse Association Internationale que l'Empire a persécutée à outrance. [...] Peuple! on t'a demandé des magistrats; eh bien tu as cherché dans tes rangs et couvert de l'écharpe municipale des hommes obscurs, hier, tes élus aujourd'hui.[...] Ce succès nous emplit d'orgueil ». 51 Il ne saurait compenser en tout cas la très médiocre réussite par exemple de Malon (1.736 voix sur 6.298 votants au premier tour, 1.787 sur 4.487 au second) dans un XVIIe arrondissement où l'on aurait pu croire la section des Batignolles plus vigoureuse. Pas davantage l'échec sensible des Internationaux blanquistes du XIIIè, après celui de Passedouet; si Melliet passe (en dernier rang), ses colistiers Duval et Chardon sont largement battus, en dépit d'un programme résolument socialiste : « En politique : La République démocratique ; La Commune de Paris : La guerre à outrance jusqu'à ce que le dernier Prussien ait passé le Rhin. [...] En socialisme : L'équilibre social rétabli par l'application de la grande devise : < Emancipation des travailleurs par la suppression du salariat. Produire selon ses facultés, consommer suivant ses besoins > ; et, pour le moment, réquisition universelle et générale de toutes les denrées alimentaires ; le rationnement également réparti de la population toute entière; la restitution aux laïques des écoles communales de la République et la mobilisation de tous les parasites que de vieilles coutumes dispensent du service de la Patrie...» 52 Et bien d'autres échecs encore. L'Internationale parisienne est en grave perte de vitesse. On aura remarqué d'autre part que parmi ses élus ceux qui obtiennent les meilleurs scores sont les mutuellistes les plus tièdes : Tolain, Murat, Héligon... De surcroît, la reconstruction n'a pas été du tout celle d'une Internationale unanime, comme je l'ai déjà laissé entendre. À par. de novembre, la situation est complexe, mouvante, difficile à décrire d autant qu encore une fois nous manquent désastreusement documents et éléments d explication, sur trop de points fondamentaux Dans cette traversée du désert des sources, on peut tenter malgré tout de retrouver quelques fils conducteurs. Il faut noter d'abord que les Internationaux n'ont pas tous quitté le Comité central des Vingt Arrondissements, ou ce qu'il en reste. On voit certains d'entre eux assister encore à ses séances, ou à celles du Club central qu'il organise en novembre. 53 Conséquence redoutable : il paraît bien qu'il existe dès lors deux Conseils fédéraux parisiens concurrents. On ne connaît le premier - composé de Charles Beslay, du cuisinier Lacord (tous deux de l'Association républicaine du VIe), d'Edmond Aubert (section du Vertbois), gazier, Lucipia (Sociale des Ecoles et Club Démocratique du XIIIe), étudiant, Arsène Kin (un « Gravilliers »), monteur en bronze, Chatel, employé de commerce, Florent, mécanicien — que par deux protestations qu'il lance, l'une, le 25 novembre, contre les arrestations effectuées au lendemain du 31 octobre, l'autre, un ou deux jours après, contre l'arrêté interdisant l'affichage pris par Trochu le 20 novembre. 54 Ce que l'on peut raisonnablement supposer, c'est que celui-là semble bien en somme continuer, aux côtés du Comité central, Y ancienne politique. On en sait un peu plus du second, manifestement majoritaire (le désignera-t-on comme le « vrai » ?), où l'on retrouve les grands militants, Varlin, Malon, Frankel, Bachruch, Hamet, Mangold... C'est celui-ci qui mène la nouvelle politique. Il met tous ses efforts, en vain d'ailleurs, à la création d'un journal de l'Association, moyen de propagande indispensable pour la développer. Il donne enfin, vers le second tiers de septembre, le programme politique de l'A.I.T. parisienne, dont nous n'avions pu, jusqu'à présent, qu'esquisser, ou deviner les premiers linéaments, et les hypothèses avancées trouvent ici leur confirmation. 55 L'Internationale série les questions. D'abord, la défense nationale par une guerre à outrance, mais à une condition (la lutte se mène toujours sur les deux fronts) : « Une déclaration solennelle affirmant que la République est la seule forme de gouvernement que Paris accepte désormais ». Puis des réformes immédiates : «1° L'élection immédiate du Conseil municipal de la ville de Paris. [...] 3° Le droit inaliénable et permanent de révocation de tous les mandataires par ceux-là seuls qui leur ont donné mandat. [...] 5° Suppression du budget des cultes, suppression de l'enseignement clérical. [...] 6° Suppression de la Préfecture de police. [...] 8° Abrogation immédiate de toutes les lois portant atteinte au droit de réunion, d'association, à la liberté de la presse. [...] 9° Révision de la législation. » Enfin le but final, mais à échéance plus lointaine. Les Travailleurs de Paris acceptent sans doute de mettre momentanément en sommeil certaines de leurs revendications sociales : « Les Délégués réservent les questions de Crédit, d'Echange, d'Instruction intégrale, d'Organisation du Travail, et celles qui ont rapport aux Services publics, aux Armées permanentes, à la Dette, à l'Impôt ; ils sont convaincus que l'étude et la conciliation des intérêts hâteront une solution pacifique basée sur les principes d'égalité et de justice... » Néanmoins, ce qu'ils entendent construire dans l'avenir, c'est « la République des Ouvriers et des Paysans » : « Ce que nous voulons tous, c'est que chaque commune recouvre son indépendance municipale et se gouverne elle-même au milieu de la France libre. Nous voulons encore la Fédération des communes. Nous voulons la solidarité pour tous dans le danger comme aux jours d'abondance. Nous voulons enfin la terre au paysan qui la cultive, la mine au mineur qui l'exploite, l'usine à l'ouvrier qui la fait prospérer... » Programme qui, tout compte fait, dans sa prudence et sa rigueur, est l'un des plus solides de tous ceux qu'on a agités pendant la période du Siège. Un peu utopique sans doute quand il pense apercevoir une « »solution pacifique » de la question sociale, par « l'étude de la conciliation des intérêts ». L'on y voit en tout cas que la future Commune socialiste plus exactement la Fédération des communes socialistes de France, est clairement désignée comme bien autre chose que la simple municipalisation, même révolutionnaire et patriote, de Paris, que réclament à grands cris mes autres mouvements. Ces Internationaux ne sont pas seulement inspirés (ou intoxiqués) par les « grands souvenirs » de l'an II. Ils cherchent, ils commencent à les dépasser. Quand cette coupure en deux conseils, qui ne peut qu’accentuer sa faiblesse déjà grande, prendra-t-elle fin ? Il est difficile de répondre, car cette scission, on le verra, va interférer avec d’autres dissidences. Dès le début de janvier probablement, puisque Lacord, par exemple, assiste alors assidûment, comme délégué de l'Association républicaine du VIe puis section de l’Ecole de Médecine, aux séances du « vrai » Conseil fédéral. Toute dissension semble liquidée en tout cas au moment de la préparation des élections à l'Assemblée nationale du 8 février 1871. Mais auparavant l'Internationale parisienne a connu bon nombre d'autres difficultés, qui contribuent encore à l'affaiblir davantage. Nous n'avons vu jusqu'à présent les choses que de haut. Plus bas, au niveau des sections, le tableau ne vaut guère mieux : celles-ci ne s'entendent sur la politique immédiate à tenir, ni entre elles, ni d'ailleurs avec l'un ou l'autre des Conseils fédéraux. On doit, parmi les sections reconstruites, distinguer trois groupes au moins, sans compter les indécis, ou ceux qu'on ne peut, faute de preuves, ranger sous un drapeau précis. Chacun suit au fond sa propre voie, chacun, d'une façon ou d'une autre, va conduire sa petite dissidence propre. Notons en premier lieu l'existence d'une sorte d'« axe » constitué par les sections des Batignolles et de Vaugirard. En fait Vaugirard semble vivre d'une vie ralentie, mais Batignolles est en pleine force. « Peu à peu - nous dit un rapport de police 56 - les principaux membres de l'Internationale s'étaient regroupés et vivaient à Batignolles à la Mairie dont un des leurs, Malon, était adjoint au maire. » Batignolles est devenue, en ces mauvais temps qui suivent pour les révolutionnaires les élections municipales, un refuge pour les Internationaux (tous d'ancienne ou « vraie » souche) qui ont perdu quelque peu de leur audience dans leur quartier ; on y retrouve Chalain, Combault, Langevin, venus de Vaugirard (où ils ont laissé le soin de la section à des militants plus obscurs), Mangold de Belleville, Varlin, qui n'a plus grand crédit dans son VIe... Et, si mal élu qu'il ait été aux municipales, Malon est parvenu à faire de la mairie son fief et celui de ses compagnons ; c'est le maire François Favre lui-même qui l'avoue : « On commença à introduire dans tous les services une très grande quantité d'hommes appartenant à l'Internationale. Je les mettais à la porte d'un côté, ils rentraient d'un autre côté. » 57 Ce bastion international du XVIIe est assez fort pour se doter encore en décembre d'une nouvelle section, celle des Ternes, assez fort aussi pour lancer en janvier ce journal qui fait si cruellement défaut à l'Association : il est vrai que La République des Travailleurs n'aura que six numéros, mourant au moment même où d'hebdomadaire, elle tentait de devenir quotidienne. 58 Puis il y a la section de l'Est, une des plus vivaces encore si l'on en juge par le nombre et la régularité de ses réunions, dirigée par Seraillier, nanti du prestige que lui confère son titre d'émissaire du Conseil général ; à ses côtés et dans la même ligne, le Cercle d'Etudes sociales de la place de la Corderie, dont le secrétaire est Charles Rochat, fidèle compagnon et disciple du précédent. Enfin ce que l'on pourrait appeler le »groupe de la Rive gauche »: sections du Panthéon, de la Sociale des Ecoles, puis bientôt le Club Républicain Démocratique et Socialiste du XIIIè. Chacun de ces groupes va en faire à sa façon, révélant l'état réel d'extrême faiblesse, pour ne pas dire de décomposition de l'A.I.T. parisienne. C'est le troisième, rive gauche, qui se manifeste le premier. On est en pays blanquiste. On y est résolument socialiste et internationaliste : « Le club démocratique socialiste du XIIIè arrondissement a pour but d'étudier tous les problèmes politiques et sociaux relatifs à l'affranchissement du travail et à l'émancipation des travailleurs, d'en poursuivre la solution par les moyens révolutionnaires, et d'user de son influence pour provoquer l'insurrection du travail contre toutes tentatives de restauration monarchique ou tous actes d'un gouvernement quelconque qui pourraient arrêter ou différer l'avènement de la République démocratique et sociale.. .» 59 Le club, non seulement, s'est officiellement affilié à l'A.I.T. le 25 novembre, mais encore, le même jour, a donné son approbation la plus entière au programme « progressif » proposé par le nouveau Conseil fédéral. 60 On n'en mène pas moins, rive gauche, un jeu tout à fait à part. L'A.I.T. reconstruite s'était en somme repliée sur elle-même, quittant des alliances débilitantes pour chercher les chemins d'une politique nouvelle, à long terme, qu'elle pense plus efficace. Rive gauche (bien qu'on y ait été des tous premiers à demander la « reconstruction »), on ne poursuit pas du tout les mêmes voies. Fait significatif, c'est à travers les communiqués de La Patrie en Danger de Blanqui qu'on peut suivre les activités des sections de ce groupe. La section du Panthéon, qui est en octobre et novembre la plus vigoureuse, paraît, et c'est alors désormais aussi la tactique blanquiste, pressée d'accomplir la révolution sociale patriote qui chassera le Gouvernement provisoire. Son secrétaire, le tailleur Tardif, prend une large part à la constitution d'une « légion garibaldienne », conduite par Rocher, autre membre de la section, dont le but est précisément la réalisation de celle-ci. Le Panthéon, ce qui n'est pas du tout dans la nouvelle ligne, noue le plus possible d'alliances avec d'autres éléments bons révolutionnaires ; Tardif forme par exemple autour de la section des groupes de « libre-pensée », tandis que sa femme dirige un Comité des républicaines laïques et socialistes du XIIIè. Il semble qu'à la mi-novembre - c'est partout le temps de l'étiage pour le mouvement révolutionnaire - la section ralentisse sensiblement ses activités. Le Club socialiste du XIIIe prend alors la relève. Il est devenu lui aussi, de ce côté de la Seine, le «refuge», où l'on retrouve les membres de l'ancien Comité de vigilance et commission municipale du XIIIè, Duval et ses amis, nombre d'adhérents des sections du Panthéon (dont Tardif) et de la Sociale des Ecoles (Léo Melliet, Lucipia ...). La politique reste la même. Bien qu'il ait fait sien le programme de la nouvelle AT.T., il se rapproche du Comité des Vingt arrondissements, adhère unanimement, début décembre, à la Ligue Républicaine de Défense à outrance que celui-ci vient de créer. 61 Car la tactique blanquiste est maintenant d'« entrisme » au Comité ; après s'en être longtemps tenu à l'écart, on espère pouvoir en faire un solide instrument révolutionnaire. Allons de suite à l'essentiel. J'ai montré ailleurs 62 l'exacte portée de la fameuse seconde affiche rouge du Comité, celle des 5/6 janvier qui s'achève par « Place au peuple! place à la Commune ! » ; non pas protestation aussi vaine que les autres contre la politique du Gouvernement, mais bien proclamation révolutionnaire spontanée (et avortée) d'une Commune de Paris. Il faut ajouter que c'est, pour l'essentiel, une opération rive gauche. Les preuves n'en manquent pas. L'affiche a été composée 3, rue d'Arras, siège des sections du Panthéon, de la Sociale des Ecoles. Qu'on prenne seulement la peine de lire peu attentivement la liste des 140 délégués signataires, et qu'on cherche l'arrondissement qu'ils représentent ! J'ai pu le retrouver pour 126 d'entre eux, et le résultat est éclairant. Vingt et un sont du XIIIe - presque un cinquième - tous membres du Club Républicain Démocratique Socialiste, dix-huit du Ve, onze du Ier (dont on sait qu'il est fortement lié à la rive gauche depuis le temps des Comités de vigilance) et l'on peut prouver pour nombre de ceux-ci qu'ils appartiennent à la section d Panthéon, à la Sociale des Ecoles, ou à une troisième section qui a moins fait parler d'elle, les Gobelins. Ils emmènent dans leur sillage deux autres groupes de ce même côté de la Seine, la section de Montrouge (je compte douze délégués du XIVè), l'Association Républicaine du VIe (douze délégués également). Avec une dizaine au moins encore de leurs amis, surtout blanquistes (et cette fois non Internationaux), ils auraient formé au moins les deux tiers de cette future Assemblée communale. Il y a aussi, dans la liste des délégués, des absences remarquables : si Malon, Pindy, Theisz donnent leur signature, on n'y voit pas figurer Varlin, Frankel, Tolain... et tant d'autres militants en vue, membres du Conseil fédéral parisien. L'aventure, promise à l'échec, n'est pas de la politique de celui-ci. Elle a coûté cher d'ailleurs à la rive gauche : on n'entend plus parler, jusqu'à la fin du mois de février, du Club du XIIIe ni de la section du Panthéon. Internationale profondément divisée, exténuée de ses divisions ! La tentative blanquiste n'a même pas pris fin que commence une autre dissidence, celle de Serraillier et de la section de l'Est. On a moins de clartés sur celle-ci ; elle n'en a pas été moins grave. Écoutons son principal acteur en rendre compte devant le Conseil général de Londres. Après ce qu'il considérait comme la renonciation de l'A.I.T. parisienne à la politique, « I then went to the sections to get them into working order and to get them to elect a new council because the names of the familiars, Tolain, Chalain, Theisz, Combault, Murât, and ail the others, were an obstacle to doing anything. I made a call on ail the sections, 11 answered and a new Fédéral Council was organised, in opposition to the others [...] A week after we drew up a manifesto against another that had been published. » 63 Cette fois, il s'agit en somme de briser le Conseil fédéral. Un autre document, le compte-rendu d'une séance de la section de l'Est, permet d'apporter quelques précisions supplémentaires : « Le citoyen Serraillier, conformément aux pleins pouvoirs qu'il a reçus du Conseil général [...] a présenté la résolution suivante à la section de l'Est qui l'a adoptée à l'unanimité [... : « Dans la réunion du 25 décembre 1870 de la section de l'Est des Travailleurs, reconnaissant que les éléments qui composent le Conseil fédéral actuel sont des obstacles à la marche politique et sociale que doit suivre l'Association Internationale des Travailleurs conformément à ses statuts qui ont été votés par les délégués réunis en Congrès ouvrier, votes qui enjoignent aux Internationaux le devoir de s'emparer du pouvoir politique comme moyen pour arriver à l'émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes. Reconnaissant en outre que l'abstention de la politique militante nationale est un danger pour l'existence de l'Association Internationale elle-même. La section de l'Est déclare que le Conseil Fédéral actuel doit être dissous et invite les sections parisiennes à procéder à sa constitution [reconstitution ?] sur des bases conformes aux intérêts généraux et immédiats de la classe ouvrière et préparer ainsi l'avènement de la Révolution sociale.» 64 C'est donc fin décembre (donc un peu plus tardivement que ne le laisserait entendre Serraillier) que se produit le fait. Les raisons au fond sont les mêmes que celles qui motivaient l'activité sécessionniste des blanquistes : l'abstention de la politique militante. Serraillier ne dissimule d'ailleurs pas l'admiration qu'il porte à Blanqui, « the only man who stuck to his post to the last, ail the other great gods slipped off, et on peut se demander si ce manifeste publié « une semaine après » la décision de sécession n'est pas tout simplement l'affiche rouge ; hypothèse, sauf la concordance des dates (d'autant que Serraillier n'a pas signé l'affiche), mais on voit mal de quel autre texte d'importance il pourrait s'agir à ce moment. En un sens, la scission Serraillier prolonge, la scission blanquiste, mais aussi l'aggrave singulièrement. Quelle fut sa portée exacte ? On aimerait savoir quelles sont les onze sections qui y ont participé, s'il y en eut réellement autant (ce serait la moitié, sinon la majorité des sections alors en vie), 65 quelle était aussi la composition de ce nouveau Conseil fédéral. 66 quoi qu'il en soit, et si même Serraillier exagère, il s'agit d'un schisme redoutable. Tout compte fait, les Internationaux blanquistes restent un peu des «marginaux» dans l'Association, qui œuvrent plus souvent dans l'intérêt de leur propre secte. Serraillier est l'homme de Londres, et l’autre de ses griefs à l'égard du Conseil fédéral est d'avoir négligé tout contact sérieux avec le Conseil général. 67 Ce Conseil fédéral, il le récuse et il récuse - ce qui n'avait pas été le cas des blanquistes - son programme politique réformateur et progressivement révolutionnaire («we drew up a manifesto against another that had been published ») Pour achever d'envenimer les choses, il ranime la vieille querelle entre Paris et Londres, sur la question du « as a means », de la politique considérée « comme un moyen » de l'émancipation sociale des travailleurs. À lire pourtant les comptes-rendus des séances officielles du Conseil fédéral régulier, on ne tire pas l'impression, sauf quelques allusions çà et là, que celui-ci ait été particulièrement troublé par le schisme : 68 il ne serait pas étonnant que Serraillier grossisse son rôle. La scission prend fin dans le feutré, quand ce dernier annonce, à la séance du Conseil fédéral du 15 février, le retour des dissidents, sans plus d'explications. 69 Les élections du 8 février Au tour enfin de la section des Batignolles ! Quelle est la position exacte, politiquement, de Malon et de ses amis ? Ils semblent avoir été longtemps, dans les tourmentes de novembre à janvier, les plus fidèles piliers du Conseil fédéral. Pourtant les choses sont moins simples. Malon n'est-il pas l'un des signataires de la seconde affiche rouge ? N'emmène-t-il pas, le 22 janvier, deux bataillons de son XVIIè manifester place de l'Hôtel-de-Ville côte à côte avec ce qu'il reste de blanquistes vaillants dans les XIIIè et XIVè, lors de l'ultime (et toujours vaine) émeute du Siège, pour protester contre l'annonce d'une imminente capitulation ? 70 Mais c'est dans une tout autre direction, « modérantiste », dirait-on, que les Batignolles choisissent de faire cavalier seul, au moment des élections du 8 février à l'Assemblée nationale. Il semblait bien qu'à cette occasion toutes les tendances diverses de l'A.I.T., mieux, tous les groupes révolutionnaires, étaient sur la voie de la réconciliation. À nouveau, pour la première fois depuis longtemps, Internationale et Comité des Vingt Arrondissements tiennent séance ensemble ; à celle du 4 février, on constate même la présence de Serraillier. 71 Il s'agissait de bâtir en commun une liste de « révolutionnaires purs », candidatures ouvrières qu'on présenterait et soutiendrait seules, «sans compromis avec la bourgeoisie». On y parvint vers le 3 février après de longs débats qu'il ne vaut pas la peine de conter : 72 c'est la liste de « candidats socialistes révolutionnaires » partout reproduite, « présentée au nom d'un monde nouveau par le parti des déshérités », et le premier point de son programme affirme « la nécessité de l'avènement politique des travailleurs ». Elle est un amalgame équilibré d'Internationaux en majorité (y compris Serraillier), de blanquistes (avec Blanqui lui-même), de membres divers des Vingt Arrondissements, comptant même les deux néo-jacobins Gambon et Félix Pyat. Or voici que la section des Batignolles, avec l'appui de celles des Ternes et de Vaugirard, décide d'en agir autrement. Les trois sections, dans une réunion commune qui doit être du 31 janvier, se sont prononcées pour une liste de « fusion et de conciliation », entendons avec des républicains « bourgeois », qui à leurs yeux a plus de chances de réussir. 73 Et en effet, dans Le Vengeur du 3 février, puis dans La République des Travailleurs du 4, paraît une liste dite « des quatre Comités » : Alliance républicaine, Défenseurs de la République, Union républicaine (trois groupes radicaux), et Association Internationale des Travailleurs - en fait nos trois sections, entrées en dissidence. Sur les quarante-trois candidats, dix Internationaux, dont Beslay, Pindy, Tolain, Murat, et quatre membres des Batignolles ou de Vaugirard, Chalain, Combault, Malon et Varlin. Dès le lendemain, le Conseil fédéral proteste contre cette usurpation de titre : « La liste [...] portant pour titre des quatre comités et sur laquelle figurent, à leur insu, le nom de plusieurs membres de l'Internationale, n'émane point de notre association. Si des citoyens membres de l'Internationale ont participé à la confection de cette liste, ils l'ont fait sans mandat. » 74 Le texte porte les signatures de Beslay, Pindy, Varlin ... et Malon. Mais si les trois premiers respectent la discipline, Malon pour sa part - on ne l'a pas consulté pour ce démenti d'une opération qui n'avait pu être menée « à son insu » - se rebelle le surlendemain 5, en termes vifs à l'égard du Conseil fédéral : « C'est par erreur que mon nom figure au bas d'une rectification concernant la liste des quatre Comités. [...] Ces dissensions, qui viennent originellement de ce que le Conseil fédéral actuel n'est pas universellement reconnu par les adhérents de Paris, sont bien compréhensibles dans des jours aussi agités que ceux que nous traversons. [...] Elles cesseront le jour où des élections régulières auront donné au Conseil fédéral des attributions incontestables et incontestées. »75 Rébellion qui vaudra à Malon - pour une part seulement sans doute, car il est porté encore sur bien d'autres listes - d'être élu à l'assemblée de Bordeaux par 117.483 voix dans la Seine, de même d'ailleurs que Tolain (89.132). L'incident au total paraît avoir été assez vite clos au sein de l'A.I.T. (ni Malon ni Tolain n'ont par exemple été écartés de la liste « pure » des candidats socialistes révolutionnaires) ; en tout état de cause, on pouvait juger qu'il n'était pas inutile d'avoir deux représentants ouvriers au nouveau Parlement. Il montre néanmoins, une fois de plus, combien, de toutes parts, le Conseil fédéral est mal obéi. J'ouvre ici une parenthèse. Les résultats des élections du 8 février permettent-ils de se faire une quelconque idée de l'audience de l'A.I.T. à Paris ? Portés eux aussi sur la liste des «purs», sont élus encore, sans compter Garibaldi, Félix Pyat, 145.872 voix, et Gambon, 136.249, mais ils doivent leur élection plus à leur prestige personnel qu'au soutien qu'a pu leur apporter l'Internationale. Choisissons quatre cas d'Internationaux «bon teint», qui pourraient être plus révélateurs: Malon et Tolain naturellement, puis deux battus, Varlin (58.000 voix), lui, de pure souche, Oudet (61.000), d'allure un peu plus jacobine. Voici le compte des voix qu'ils obtiennent dans les divers arrondissements de Paris, en pourcentage du nombre des votants, avec l'écart de ce pourcentage à leur moyenne parisienne :
Rien de bien convaincant dans ce tableau. Le scrutin a été trop mêlé,
trop confus, pour qu'on y puisse discerner grand chose qui nous éclaire sur la
situation de l'A.I.T. proprement dite. Qu’en déduire sinon que les
arrondissements populaires - Belleville, le XXe, spécialement
rebelle, toujours en tête - ont donné leurs meilleures voix aux candidats
internationaux, comme à tous autres candidats d'opposition, qu'au
contraire se montrent rétifs les arrondissements riches, et particulièrement
les Ier, VIIIe, IXe et XVIe ? On notera que Tolain,
plus modéré, obtient en général des résultats sensiblement moins irréguliers
que les autres : il fait moins peur chez les « bourgeois », que
dans les XIe et XVIIe on préfère nettement Varlin à
Oudet, qui est de moins bonne race internationale, alors que c'est l’inverse
dans le XIIIe et XIVe, rive gauche. On observera aussi,
parce que cela confirme, consolide, des observations déjà faites, la solidité -
relative - de l'implantation internationale dans les XIe, XIIe,
XIIIe, XIVe, XVIIIe, ainsi que, quoique dans
une mesure déjà moindre, dans les XVè et XVIIe (Vaugirard
et Batignolles ne brillent pas d'un éclat particulier), et dans les Xè,
IIIe, Ve. Mais on n'oubliera pas, au bout du compte, que
cette liste de candidats ouvriers, sur laquelle les socialistes révolutionnaires
paraissaient avoir fondé beaucoup d'espoir, n'obtient que de bien maigres
résultats. Frankel exprime ce qui doit avoir été la désillusion de beaucoup, à
la séance du Conseil fédéral du 15 février : « Nous avons fait une liste de candidats socialistes, et beaucoup de membres ne se sont pas rendu compte des raisons qui nous faisaient porter des noms obscurs à la place de Louis Blanc et Victor Hugo. Nous [voulions] faire parvenir à la députation quelques internationaux ouvriers. Il est regrettable qu'on n'ait pas mieux compris quel but on devait poursuivre. »76 Quarante-trois candidats présentés ! Les cinq élus l'ont été dans des conditions en somme assez impures. douze ensuite ont de 10 à 20% des voix (il en fallait 21% pour être élu), sept Internationaux, trois blanquistes, dont Blanqui avec seulement 52.000 voix, deux des Vingt Arrondissements. Cinq font de 5 à 10%, le reste se perd dans la nullité de chiffres dérisoires. Disons que, sauf exceptions, un International un tant soit peu connu, pour fixer un ordre de grandeur, peut faire de 30 à 50.000 voix dans la capitale. Maigre score, sur près de 300.000 votants ! Pas d'aventure De cette histoire parsemée de secousses ou de tempêtes, quelles conclusions dégager ? Il serait injuste, comme l'ont déjà souligné J. Dautry et L. Scheler, de répéter après Lissagaray que l'Internationale fut impuissante ou inexistante, « muette pendant le Siège ». Certains au contraire - ceux de rive gauche - n'ont-ils pas voulu trop agir, ou trop vite ? Et puis il y a eu l'expérience, nullement négligeable, des Comités de vigilance ; il y a eu le sage programme de novembre (sage en cette situation difficile) du Conseil fédéral, il y a eu la tentative, utopique il est vrai, de nouvelles candidatures ouvrières au 8 février. Les procès-verbaux des séances du Conseil fédéral que nous possédons de janvier à mars laissent en tout cas sur l'impression d'une extrême faiblesse de l'organisation. Rouveyrolles, le 19 janvier : « On oublie que les sections sont ruinées, que leurs membres sont dispersés. Si le public savait tout cela, il jugerait combien nous sommes faibles et l'association tomberait du coup. » Frankel, le 15 février : « Depuis le 4 septembre, les événements ont dispersé l'Internationale. Il serait urgent de reconstituer les sections pour qu'elles retrouvent la force qui leur est indispensable.. » 77 Grave faiblesse à ces dates, c'est indéniable ! Mais c'est l'Internationale qui s'est elle-même défaite, ruinée, dans ses dissensions et ses dissidences, faute d'une politique sûre, définie, commune ; c'était déjà son handicap redoutable à la fin de l'Empire. Elle était forte au 4 septembre, et c'est en ce sens que j'interprète les propos de Frankel, qui disait aussi, un peu plus tôt, le 26 janvier : « La situation était d'une telle gravité qu'elle désorientait tout le monde ». 78 A.I.T. désorientée en effet ! on voit désormais clairement combien par exemple la reconstruction d'octobre reposait sur une dangereuse équivoque, les uns, pressés d'agir politiquement, tirant à hue, les autres à dia, dans leur souci, politique aussi, de réfléchir à de nouveaux et meilleurs moyens d'action. La faiblesse n'était peut-être pas tant dans le nombre que dans les têtes. J'en veux pour autre preuve les termes de cette lettre que Lacord adresse au Conseil en mars : « Il est déplorable qu'avec ses nombreux sacrifices, l'Internationale n'ait pas su trouver les moyens d'éclairer le pays. [...] L'Internationale est incorrigible : on lui a démontré vingt fois que pour ne pas constituer un bureau permanent, une centralisation constante des renseignements, elle s'éparpille à la moindre commotion politique. Chose étrange ! elle est peut-être la cause de l'écroulement de l'Empire, et elle ne sait trouver ni l'énergie ni l'intelligence nécessaires pour contribuer puissamment au sauvetage du socialisme. Citoyens de l'Internationale, je vous prie de vous discipliner quelque peu et votre action se fera bientôt sentir… » 79 L'Internationale parisienne, ce n'est que trop exact, s'est toujours jusqu'à présent, faute de bases suffisamment sûres, éparpillée « à la moindre commotion politique ». La solution ? Se centraliser, se discipliner : Frankel, qui pourtant n'est pas du même bord que Lacord, a les mêmes mots que lui : « il nous faut une organisation virile, des sections disciplinées ». L'état de faiblesse extrême de l'Association met tout le monde d'accord. En vérité, il s'agit de la reconstruire une nouvelle fois, et dans des conditions infiniment moins bonnes qu'en octobre. C'est à quoi on ne cesse de s'atteler au Conseil fédéral, de janvier à mars. Il faudrait un journal, pour unir et pour rayonner ; pas de séance où l'on n'aborde ce problème, malheureusement toujours sans résultat. « Les sections doivent être recomposées, déclare Noro le 26 janvier, je demande que le conseil fédéral nomme des délégués qui aillent les réveiller. »80 La proposition est reprise par Theisz le 15 février, et une commission de dix membres est créée pour « faire une enquête au sein même de chaque section [...] Les membres de cette commission seront les porte-parole du C[onseil] F[édéral] et développeront dans les sections la pensée du CF. » Il paraît bien qu'elle a été efficace puisqu'elle déclare déjà le 22 : « Notre démarche auprès des sections pour leur porter la proposition de reconstitution votée par le CF a été bien accueillie, et nous avons la satisfaction de voir siéger ici ce soir les délégués des sections que nous avons visitées les jours derniers. » On est au moment en effet où les indisciplinés de tous bords commencent à rentrer au bercail. 81 En outre, de nouvelles sections apparaissent, ou revivent; j'en dénombre vingt-huit à la veille de la Commune, toutes ou presque - avec plus ou moins de régularité - se faisant représenter au Conseil fédéral. Une seconde commission est désignée le 22 février (ses travaux n'aboutiront que le 15 mars) pour remanier les statuts de l'organisation parisienne. Peu de modifications sur le fond, sauf celle-ci qui est essentielle ; dans les rapports entre le Conseil et les sections, on a laissé beaucoup plus d'autonomie à celles-ci que précédemment. Serait-ce qu'on a ainsi voulu tenir compte des leçons des mois passés ? Le contenu des articles 4 et 22 n'existait pas dans l'ancien texte : « 4. - Chaque section conserve son autonomie dans les questions d'organisation et de réglementation intérieure, pourvu qu'elle se conforme à l'esprit et aux statuts généraux de l'Internationale ; elle conserve également sa liberté d'appréciation sur la solution des questions sociales [...]. 22. - Les sections ne sont responsables des résolutions adoptées par le conseil fédéral qu'autant qu'elles y ont adhéré par leurs suffrages. Toute résolution rendue publique devra relater le nombre et le titre des sections qui l'ont adoptée... » 82 De même, et cela va dans le même sens d'autonomie maximale, plus de chapitre spécial des statuts consacré aux rapports entre Conseil de Paris et Conseil général de Londres. Les liens se distendent en dépit (ou à cause) des positions de Serraillier : attitude qui laisse prévoir des difficultés futures, pendant, surtout après la Commune. Les dissidents sont de retour. Cela signifie-t-il pour autant qu'un accord réel se soit fait sur les lignes d'une politique commune, sujet des anciens tracas ? Assurément pas, et on le sent à travers maint détail des débats du Conseil parisien. Il est possible de s'entendre sur la nécessité de défendre à tout prix la République, mais quand « Picard propose au nom de la section Richard-Lenoir une manifestation pacifique, le 24 février, pour affirmer énergiquement les tendances républicaines du peuple de Paris, Combault nie l'opportunité d'une telle manifestation, où le peuple ne nous suivrait pas. Rollet ajoute qu'une manifestation pourrait servir de prétexte aux violences contre le peuple [...]. Frankel [...] conteste l'importance qu'elle pourrait avoir au milieu des événements actuels. Il est urgent de s'occuper d'étude et d'organisation... » Tout le monde est d'accord avec Henri Goullé pour que l'Internationale pose clairement ses revendications en matière sociale : « Les bourgeois et les industriels s'organisent fiévreusement sur toute l'étendue du sol français, se préparant à la lutte inévitable sur le terrain politique et celui du salariat. Dégoûtés des avocats, ils songent sérieusement à s'enquérir eux-mêmes des prétentions de la classe ouvrière, prétentions qui leur causent une immense inquiétude. En face de l'activité de la bourgeoisie, je suis d'avis d'affirmer hautement nos revendications sociales...» 83 Mais lorsque Tabouret propose, au nom de la chambre syndicale des boulangers, une grève des membres de cette corporation contre le travail de nuit, Varlin rétorque que « le moment serait mal choisi, aujourd'hui que la farine manque. » Sur un problème entre bien d'autres, celui de l'Etat futur, que la Commune ne va pas tarder à poser, quoi de commun entre la définition de Theisz : « L'Internationale doit devenir le gouvernement social lui-même dans l'avenir» et celle d'Henri Goullé: « Pour l'Internationale, il ne peut y avoir qu'une forme, c'est celle de l'an II. Il précise : 93, et la fixation du but de l'Etat par le prolétariat. » 84 Le mot d'ordre en tout cas qui prévaut, contre quelques impatients, c'est organisation et étude. Avrial, le 15 février : « il faut deux éléments au CF. : le groupement des travailleurs et l'étude approfondie des questions sociales ». Frankel, le 22 : « nous devons approfondir les questions spéciales, celles des loyers et du chômage général ». Pas d'aventure, l'Internationale vient d'en souffrir cruellement. « Nous devons, dit encore Frankel, attendre la venue de notre temps qui ne peut manquer d'arriver à son tour. » 85 C'est raisonnable, en un moment où l'Internationale affaiblie se rétablit avec peine. Mais à faire montre de trop de prudence, n'est-on pas en train de tourner à un attentisme excessif ? Ce 24 février - jour anniversaire de la proclamation de la Seconde République - où la section Richard-Lenoir proposait d'agir, le peuple de Paris, contrairement à ce que croyait Combault, s'est vigoureusement montré, et depuis n'a cessé de manifester. Il y a risque que l'A.I.T., rompant par trop exclusivement avec l'action immédiate, se trouve sérieusement déphasée par rapport à une opinion parisienne qui, au même moment, est en train d'évoluer sensiblement. Autant le peuple parisien a été difficile à émouvoir, à ébranler pendant toute la durée du Siège, autant, depuis la capitulation du 28 janvier et les élections royalistes qui l'ont suivie, il a les nerfs à vif. Et cette perte de contact en effet, deux moments essentiels vont nous la montrer à l'évidence. On dirait décidément que l'Internationale, la formation socialiste qui se veut la plus avancée, ne sait jamais prendre exactement le bon cap, qu'elle est à contretemps. Premier temps, celui des rapports avec la Garde nationale qui, depuis le début de février, est en train de se constituer en fédération, de plus en plus vigoureuse, pour la défense de la République. Les choses ont commencé plutôt fraîchement. Des troubles se sont produits dans la nuit du 26 au 27 février, les têtes sont échauffées : c'est qu'on s'attend à une occupation imminente d’au moins un quartier de la capitale par l'ennemi, les 27 ou 28 ; clause convenue dans l'armistice, mais suprême humiliation pour Paris qui a cru jusqu'au bout à la lutte à outrance. Et des bataillons sont venus demander consignes et munitions place de la Corderie, au siège de l'Internationale et de la Délégation des Vingt Arrondissements à nouveau réunies ; ils ont confondu avec le Comité provisoire de la Garde nationale, qui tient lui aussi séances dans le IIIe arrondissement. On s'affole à la Corderie, et se lancer en effet dans une résistance ultime et illusoire serait la pire des aventures. Par la même occasion, on découvre l'existence d'un comité rival qui, en un mois à peine, a mobilisé d'importantes forces populaires. Dans une séance du 27, où transparaît toute la méfiance qu'on témoigne déjà à ce concurrent, les deux organisations sœurs décident la publication d'un appel au calme, connu le 28 : « Les membres présents croient de leur devoir de déclarer que, dans leur pensée, toute attaque servirait à désigner le peuple aux coups des ennemis de la Révolution, monarchistes allemands ou français, qui noieraient les revendications sociales dans un fleuve de sang. » 86 Décision à coup sûr la plus sage. Ce lendemain 28, après de longues tractations entre la Corderie et la Fédération, celle-ci, prête d'abord à cautionner l'ultime sursaut de résistance, en reconnaît l’inutilité. La réaction des Internationaux et de leurs amis a été significative : pas de dangereuse aventure ! Mais quelle conduite tenir désormais à l'égard de ce rival incontestablement puissant ? Faut-il ou non le soutenir, si oui jusqu'où ? On s'en préoccupe longuement à la réunion du Conseil fédéral du 1er mars, et ce sont pour une part les vieilles querelles qui renaissent, avec peut-être d'autres hommes, mais identiques dans le fond : Varlin propose que « les internationaux fassent leur possible pour se faire déléguer dans leur compagnie. [...] Allons là, non pas comme internationaux, mais comme gardes nationaux, et travaillons à nous emparer de l'esprit de cette assemblée. » Il est soutenu par Clamousse, du Xè arrondissement, Rouveyrolles, de la chambre syndicale des Bijoutiers, et Lacord, un franc politique celui-là, de la section de l'Ecole-de-Médecine. Frankel est carrément contre : « Ceci ressemble à un compromis avec la bourgeoisie ; je n'en veux pas. Notre chemin est international, nous ne devons pas sortir de cette voie. » 87 Charbonneau de même (section de Montrouge) est « défiant » ; Babick (de l’Hôpital-Louis), prudent : « je veux que dans tout ceci l'Internationale soit complètement à l'abri »; très réservés Henri Goullé (Cercle d'études sociales), Hamet (Gobelins), et Pindy. On constate qu'hommes et groupes se reclassent en tendances autres qu'il en avait été auparavant. Tout ce que l'on décide, en dépit des efforts de Varlin qui pressent la force révolutionnaire que peut receler la Fédération de la Garde, c'est l'envoi auprès du comité provisoire de celle-ci d'une commission d'observation de quatre membre : « Son action y sera individuelle et expressément réservée en ce qui concerne l'Association internationale pour la France. » On ne s'aventure pas. Qui sont ces quatre ? Babick et Lacord, nous le savons en toute certitude, les Archives Historiques de la Guerre ayant conservé le texte du mandat qui leur est délivré le 1er mars ; les deux autres sont, à coup sûr Varlin, et probablement Pindy ; on a équilibré les tendances. Et l'Internationale parisienne restera toujours réticente ; au lendemain encore du 18 mars, le 22, Goullé (qui indique d'ailleurs un tout autre nombre) déclare encore : « L'Internationale n'a qu'un membre dans le comité, Varlin ; donc elle est dégagée de toute responsabilité. » Il y a cependant d'autres pièces encore, parfois contradictoires, à verser à ce dossier des rapports entre Fédération et A.I.T. Il n'est pas impossible que partiellement, localement au moins, l'Internationale ait été à l'origine même du mouvement de fédération des bataillons. Selon un rapport de police, que semblent confirmer d'autres sources « Des anciens membres de la section de Vaugirard avaient eu l'idée de grouper les divers bataillons de la Garde nationale et ils s'adressèrent à leur ancien secrétaire-correspondant pour lui demander son avis et le moyen de s'y prendre ; Chalain leur répondit qu'il fallait organiser des réunions en appelant des délégués de chaque bataillon et de fédérer si possible tous les bataillons ensemble [...] Ses interlocuteurs tinrent une première réunion dans le sens indiqué salle Ragache [...] où Varlin prévenu par Chalain assista. »88 Serait-ce là que Varlin a pu observer pour la première fois l'importance décisive de la Garde nationale ? Il faut distinguer d'autre part entre les positions générales du Conseil fédéral et l'attitude pratique de bien des adhérents confirmés. Dès avant la fin février, trois Internationaux au moins font partie du Comité provisoire de la Fédération, le peintre en bâtiment Chouteau, le relieur Maljournal, Alavoine, typographe. Après les incidents qu'on a contés des 27 et 28 février, le Comité provisoire se renouvelle dans une assemblée du 3 mars ; Varlin, Lacord et Pindy, outrepassant d'ailleurs manifestement le mandat qui leur a été confié, s'y font élire, et sur trente-deux membres, il compte encore six autres Internationaux au moins ou membres des Chambres syndicales. Dans le Comité définitif désigné le 15 mars, seize Internationaux ou syndiqués (dont cette fois Babick) sur un total de trente-huit, soit presque la moitié. 89 Argument inverse cependant, ce qui se passe à la base : les Archives Historiques de la Guerre ont conservé un registre, malcommode à déchiffrer et surtout à dater (il semble de mars), qui contient la liste de quelque 1.200 délégués de compagnie. Je n'y retrouve en toute certitude qu'une quarantaine d'Internationaux connus, proportion très faible. Ils apparaissent tout de même en nombre (très relativement) important dans trois légions ou arrondissements : les IVe (avec notamment Alavoine, Clémence, Gérardin), Xe (Babick) et surtout XIIIe, où il y a toujours un ou deux membres de l'ancien Club Démocratique, devenu section du Panthéon-XIIIe, dans chacun des principaux bataillons. On dirait bien d'ailleurs que l'indiscipline recommence. Duval, avec ses amis, a constitué la XIIIe légion dont il est le chef en groupe quasi indépendant, autant en fait du Comité central que de l'Internationale, prêt à nouveau, sous une autre forme, à l'action révolutionnaire. Mais ces Internationaux, dont on ne peut dire qu'ils aient été absents de la Fédération, au moins à sa tête, agissent en leur nom personnel. Le Conseil fédéral demeure sur son quant à soi ; il est trop préoccupé par la discussion de ses statuts définitifs, et par la rédaction d'un manifeste au peuple allemand à propos de la paix. Et il en va exactement de même au moment du 18 mars, dont on peut dire à l'évidence que l'A.I.T. « n'a pas levé le petit doigt » pour le faire. Certes, individuellement, des Internationaux (Varlin, Duval naturellement...) y ont activement participé 90. Mais le Conseil de son côté reste assez longtemps méfiant à l'égard d'un mouvement qu'il ne comprend pas. Le 22 mars encore, Malon 91 « émet les doutes les plus anxieux sur le résultat d'une conciliation entre les municipalités et le comité central, ainsi que sur la réussite des élections à la Commune. Il craint qu'on ne puisse éviter un conflit sanglant », tandis que Spœtler voudrait qu'on « invitât le comité à déposer ses pouvoirs entre les mains des municipalités ». Mais qui comprend bien alors, il est vrai, ce qui se passe exactement en ces journées incertaines ? 92 Ce n'est que le lendemain 23, en réunion plénière des sections et des sociétés ouvrières, qu'on se décide enfin à appuyer le Comité central, et à appeler avec lui à des élections municipales ou communales. Il y a encore un certain nombre de timorés, mais c'est Frankel cette fois, le prudent Frankel, qui pousse à l'engagement et emporte la décision, définissant la Commune (ou plutôt la « municipalité ») qui va naître en termes d'ailleurs assez sibyllins : « Le conseil municipal n'est autre chose que le conseil de surveillance dans une association. Cette assimilation est tellement complète qu'en ce moment la question pour tous n'est plus politique, elle est sociale. Je suis d'avis de faire un manifeste dans lequel nous inviterions les nôtres à voter la Commune. » Ce manifeste paraît le 24 au matin, deux jours seulement avant les élections qui sont décidées pour le 26. Il approuve la révolution communale (ou municipale), faite pour l'indépendance et l'autonomie de la Commune, sans pour autant être très clair sur la nature du nouveau pouvoir qui vient. « Aujourd'hui le peuple de Paris est clairvoyant, il se refuse à ce rôle d'enfant dirigé par le précepteur, et dans les élections municipales, produit d'un mouvement dont il est lui-même l'auteur, il se rappellera que le principe qui préside à l'organisation d'un groupe, d'une association, est le même qui doit gouverner la société entière, et comme il rejetterait tout administrateur, président imposé par un pouvoir en dehors de son sein, il repoussera tout maire, tout préfet imposé par un gouvernement étranger à ses aspirations. Il affirmera son droit supérieur au vote d'une Assemblée de rester maître dans sa ville, et de constituer comme il lui convient sa représentation municipale, sans prétendre l'imposer aux autres... » 93 Que conclure sinon qu'en ces temps décisifs, l'Internationale - exténuement profond ou manque de hardiesse, ou les deux à la fois - bien loin d'avoir occupé le devant de la scène, s'est trouvée constamment déphasée par rapport au mouvement révolutionnaire ? Elle va réparer cette redoutable erreur ou s'efforcer de le faire. État de l'organisation pendant la Commune Avant de dire ce que fut le rôle de l'A.I.T. pendant les jours de la Commune, il est indispensable de tenter à nouveau de faire un peu le point sur ce qu'est, ce que devient l'organisation. Nous ne disposons malheureusement plus après le 29 mars, sauf par bribes, des précieux comptes-rendus des séances du Conseil fédéral. 94 En revanche, l'Internationale dispose maintenant d'un journal presque officiel, La Révolution politique et sociale, organe de la section Gare d'Ivry et Bercy, mais qui ouvre ses colonnes aux militants de toutes sections. La question lancinante est toujours la même : quelles forces, combien de membres ? Il faut bien avouer que cette fois plus encore que naguère, il est impossible d'y répondre convenablement. Franquin, au cours de son interrogatoire déjà cité, avoue « 150 membres au moment du 18 mars ». Chiffre tellement dérisoire que, même si l'Internationale est exténuée, même s'il ne s'agit que des cotisants réels et réguliers, on ne peut lui prêter importance. Ailleurs, même au prix d'une patiente quête, ce ne sont que des miettes que l'on glane. Il y a tout de même, je le notais, vingt-huit sections qui fonctionnent (plus ou moins bien) en mars, à quoi s'ajoutent en avril la résurrection de l'ancienne section de Belleville et la formation de trois autres, en mai, la constitution de quatre nouveaux groupes encore. 95 La reconstruction se poursuit. Naturellement, qu'est-ce, toujours, numériquement, qu'une section ? La réponse ne peut que varier selon les lieux et les cas. Une section comme celle des Batignolles, avec sa filiale des Ternes, doit être forte, peut-être de plusieurs centaines de membres. 96 D'elle dépend le 4ème groupe de la Marmite de la rue Berzélius, dont un témoin appelé devant le IVe Conseil de guerre dit que « cette société comptait, à un moment donné, environ 800 adhérents ». 97 Elle continue d'essaimer, contribuant fin avril à la formation de la section Malesherbes (VIIIe). Forte également, aux antipodes - aussi bien de la capitale que de la politique - la section du Panthéon-XIIIe. Après la Commune, la femme du secrétaire-correspondant donnera à la police le nom de 69 de ses membres, et ce ne sont que « les principaux » (le Club Démocratique dont elle prend la suite avait rassemblé en décembre 1870 197 adhérents, triés sur le volet). 98 Elle aussi essaime ; section Duval, fin avril, section de la Glacière. Forte sûrement la section d'Ivry et Bercy, qui peut se permettre de supporter la publication, du 2 avril au 15 mai, de La Révolution politique et sociale, et probablement fortes encore, on le voit à divers indices, une bonne dizaine de groupes, comme Richard-Lenoir, l'Ecole-de-Médecine, l'Hôpital-Louis. Faibles naturellement les jeunes sections nouvellement essaimées: nous possédons la liste des adhérents actifs de la section Malesherbes ; elle se monte à ... onze membres. Et puis, du fait des circonstances, les sections, même fortes, doivent être assez peu fréquentées, si l'on en croit ce qu'écrit en mai au Cri du Peuple Bestetti, secrétaire des Gobelins : « Nos sections généralement, et celle des Gobelins en particulier, qui aujourd'hui compte un nombre d'adhérents assez considérable, ne réunissent [...] qu'un très petit nombre de sectionnaires. Nous savons que beaucoup d'entre nous, et je suis un de ceux-là sont aux avant-postes où la défense de la Révolution sociale nous appelle. Mais je prie ceux d'entre nos camarades qui se trouvent présents à Paris les mardis d'être très exacts à la réunion de la section.[...] Si nous voulons qu'après la victoire sur la sauvagerie des monarchistes et des bandits de Versailles, nous puissions recueillir les fruits de tant d'héroïsme, par l'édification du grand principe de l'émancipation des travailleurs de tous les peuples, c'est par notre infatigable exactitude que nous devons prouver au monde que nous sommes pionniers de la Civilisation... » 99 « Un nombre de membres assez considérable » (après tout, le
nombre des sections, qui a retrouvé le niveau d'avant-guerre, en fait foi), à deux
milliers peut-être, mais peu assidus, c'est tout ce qu'il nous est possible de
savoir. Un autre problème cependant se pose, et d'importance.
Avant la guerre, c'étaient les sociétés ouvrières et leur Chambre
fédérale qui avaient fait la force de l'Internationale, qui commençaient à lui
donner la puissance du nombre. Que reste-t-il du mouvement en
1871 ? Jusqu'en mai Conseil fédéral et Chambre fédérale tiennent séances
communes, et en ce dernier mois, 17 sociétés syndicales y ont paru (au moment
notamment de la proclamation du 24 mars ; de janvier à mars, 24 en tout,
encore que le plus souvent de manière épisodique. Mais quelles forces
conservent-elles ? Ce que l'on en dit au Conseil fédéral n'a rien
d'encourageant. S'agit-il, pour l'indispensable reconstruction, d'exiger par
exemple des cotisations régulières ? Le 12 janvier, Varlin fait observer
que les bronziers (autrefois une des corporations les plus puissantes)
« sont dispersés dans les compagnies de guerre, ils ne peuvent verser
[...], il y a force majeure ». Même remarque de Minet, du syndicat des
Céramistes, ou d'André, représentant des Ebénistes. 100 En vérité,
jusqu'à la Commune, un petit nombre seulement de corporations ont conservé
quelques forces, des positions relativement solides : une dizaine tout au
plus. Tels les Tapissiers et les Cordonniers-coupeurs de chaussures, qui déclarent
adhérer à l'Internationale le 23 mars. Tels surtout les Mécaniciens et les
Tailleurs, deux métiers de grande importance : leurs organisations ont
survécu parce qu'elles ont pu s'accrocher à une sorte de noyau de conservation,
centre de commun ralliement, l'association de production. Pendant le
Siège et pour les besoins de la guerre, les Mécaniciens avaient formé, avec
l'autorisation et une petite aide du Gouvernement de Défense nationale, une
société syndicale de production, 75 rue Saint-Maur, pour la remise à neuf
notamment de vieux fusils. Les Tailleurs habillent - en partie - la Garde
nationale : ils ont début 1871 six ateliers, dépendant de leur Chambre
syndicale, dans les IVe, Ve, IVe, XVIIè, XVIIIe
et XIXè arrondissements, qui emploient 2.000 personnes. 102 Citons
encore les Boulangers, qui n'ont évidemment guère connu de chômage, et que
préoccupe, on le sait, la question du travail de nuit. Les Lithographes
aussi : Franquin réussit à mener à bien, en février et mars, la
réalisation d'une vieille idée : la réconciliation et la fusion des principales
sociétés qui jusque-là divisaient le métier (au prix d'ailleurs d'un certain
éloignement de l'Internationale). Ceci, c'était la situation à la veille du 18 mars. Il va y avoir de sensibles progrès pendant la Commune. Pendant ses 72 jours, outre les sociétés encore vivaces, ou à peu près, que je viens de mentionner, d'autres apparaissent ou réapparaissent. On voit renaître les Chambres des Balanciers, des Bijoutiers, Chaudronniers, des Cuirs et peaux, Fondeurs, Serruriers en bâtiment, Menuisiers. Parmi les nouvelles sociétés qui se forment, celles des Boulonniers et cloutiers, Fondeurs en suif, Papetiers, Employés de journaux ; on aperçoit aussi des traces d'activité chez les Relieurs et les Selliers... Nous les retrouverons toutes participant aux travaux de la Commission du Travail et de l'Echange. Cela ne fait tout de même qu'un peu moins d'une vingtaine de sociétés ouvrières dont on puisse dire avec certitude qu'elles ont repris vie. On est loin des forces qui étaient celles de l'A.I.T. d'avant-guerre. L'Internationale est devenue surtout société de militants, et en nombre relativement médiocre. S'il n'est pas possible, en tout état de cause, de répondre sérieusement à la question « combien » autrement que par des approximations extrêmement vagues, on peut tenter du moins de se faire une idée de l'audience qu'ont conquise ces militants, ce, entre autres sources, par les résultats qu'ils obtiennent aux élections de la Commune, le 26 mars. Élections moins malaisées à déchiffrer que celles du 8 février, bien qu'il n'y ait pas eu de liste générale officielle de l'A.I.T. et que les candidatures aient été souvent présentées dans une grande confusion. Mais - et ce ne sont pas pour le moment les résultats globaux qui nous intéressent - des Internationaux se sont présentés localement, en se parant de leur appartenance à l'Association, 101 tantôt individuellement, parfois sur une liste homogène ; ou bien l'absence même de candidatures (ou leur insuccès) peut être considérée comme significative. Mettons d'emblée à part les quartiers bourgeois, où l'audience internationaliste est très faible, voire inexistante : XVIe et VIIe arrondissements (pas de liste), IXe, où Malon ne fait que 13% des voix, VIIIe, ou si Edouard Vaillant est élu, c'est par un chiffre dérisoire de votants. Pas de candidats, ou un échec sérieux dans le Ier, dans le Ve (où les Internationaux qui se présentent, dont Bestetti et Longuet, n'atteignent pas les 10%) ; il n'y a que dans le IIe arrondissement qu'une liste homogène d'Internationaux ne fait pas trop mauvaise figure (33% en moyenne) devant la liste victorieuse du maire bourgeois. Assez maigres les succès obtenus dans le VIe, où Beslay et Varlin passent avec moins de 40% des voix, dans le XVè, où sur trois postes à pourvoir, Langevin est seul élu de l'Association (37%). En revanche, ce sont des listes homogènes d'Internationaux qui l'emportent dans le XIIe (80% des voix en moyenne), le XIIIè (70%), le IIIe (75%), le IVe (60%) ; dans le XVIIè presque tous les candidats, les battus comme les élus, appartiennent à l'A.I.T., et Varlin est désigné en premier, avec 81% des voix (tandis que Malon, auquel on peut reprocher son attitude indécise au lendemain du 18 mars n'obtient pas tout à fait 40%) ; dans le XIVè, deux des trois élus (avec presque 90% des voix), Martelet et Descamps, sont des Internationaux. Ailleurs, ceux-ci sont mêlés dans une même liste avec des révolutionnaires d'autres tendances; ils arrivent en tête dans le XVIIIe (Theisz, Dereure, 82%), dans le XIXe (Oudet, Puget, presque 90%), en queue dans le XIe (Avrial et Verdure, un peu moins de 70%) et dans le Xè (Champy et Babick, 65%). Un seul arrondissement populaire, le XXe, n'a élu aucun International, leur préférant des révolutionnaires d'autre cuvée. On n'attachera pas d'importance particulière aux chiffres obtenus, qui ne sont donnés que sous forme d'approximation grossière. Il s'agissait seulement de rechercher dans quels arrondissements pouvait s'exercer plus sensiblement l'influence de l'Internationale, et cette étude rapide confirme à peu près ce que nous savions d'autre source. Audience privilégiée dans le XVIIe (Batignolles-Ternes) et dans le XIIIe (sections du Panthéon et du XIIIe réunies) ; fort sensible encore dans les IIIe (Cercle d'Etudes sociales, Vertbois), IVe, Xè (Hôpital-Louis, Récollets, Poissonnière), XIe (Faubourg-Saint-Antoine et Popincourt), XIIe (Ivry-Bercy), XIVe (Montrouge), XVIIIe; non négligeable non plus l'action de sections comme l'Ecole-de-Médecine (VIe) ou même de l'Est (IIe). Vaugirard au contraire semblerait moins vigoureuse, et, en dépit des sections de Belleville et des Couronnes, le XXe est tout à fait rétif. Source indirecte d'information, ces quelques résultats électoraux n'en appuient, n'en confirment pas moins les hypothèses que j'ai précédemment avancées sur l'efficacité ou la solidité des sections. Les Internationaux dans la Commune Il ne s'agit pas de traiter ici seulement, ni même principalement, du rôle joué par les Internationaux au sein de l'Assemblée communale, d'ailleurs souvent malaisé à décrire. Trop d'auteurs l'ont fait qui ont simplement réduit la question en somme au fameux débat qui, début mai, sur le problème du Comité de Salut public, opposa une « minorité », composée en effet essentiellement d'Internationaux, et une « majorité » jacobine ou blanquiste ; ce n'est sûrement pas le cœur de l'affaire. Tirons cependant au clair d'abord un premier problème : combien vraiment d'Internationaux dans l'Assemblée communale ? Un chiffre fréquemment avancé est celui de vingt-trois : c'est celui que donne Malon dans sa Troisième Défaite du Prolétariat français. On ne contestera pas l'autorité de cet International, mieux placé que nous pour juger, mais il semble bien que lui aussi soit obnubilé par la querelle majorité-minorité. 103 En vérité, si l'on fait le compte des membres de la Commune qui sont ou bien adhérents exprès d'une section, ou bien appartiennent à la direction d'une société syndicale liée à la Chambre fédérale, on constate qu'aux élections du 26 mars, ceux que l'on peut considérer comme Internationaux sont au moins trente deux sur un total de 92 (ils ont même trente cinq sièges, Varlin ayant été désigné trois fois, dans les VIe, XVIIe et XIIe, Theisz deux fois, dans les XIIe et XVIIIe). Leur nombre augmente encore aux élections complémentaires du 16 avril : ils ont dix élus nouveaux, et forment désormais - il faudra s'en souvenir - la majorité d'une Commune réduite, à la suite de défections ou disparitions diverses, à 78 membres. Mais je voudrais tabler ici sur un échantillon de quelque 650 personnes, Internationaux ou syndiqués, cueilli à des sources diverses. 104 Echantillon et non. sondage : j'ai rassemblé, de façon hétérogène, le maximum de cas ; il ne s'agira donc pas toujours d'en tirer des proportions exactement chiffrées, les renseignements obtenus n'en auront pas moins quelque intérêt indicatif. S'il est vrai qu'ils ont tant soit peu tardé à la rejoindre, nos Internationaux n'en ont pas moins été probablement les plus solides piliers de la Commune. Je ne multiplierai pas outre mesure les exemples, ne m'appuyant que sur les plus significatifs. Laissons de côté momentané?ment le cas spécial de la Commission du Travail et de l'Echange, qu'ils? ont peuplée tout entière. Au lendemain du 18 mars, la Cité se trouve? complètement livrée à elle-même, et ce sont principalement des? Internationaux qui vont la faire vivre, faire survivre cette insurrection tant soit peu inattendue, surtout d'eux. On cite naturellement le? plus volontiers le cas des grands : Varlin, qui, lorsqu'il n'est pas? aux Finances (où il a joué un rôle au moins autant, sinon plus important que le timoré délégué officiel Jourde, » s’occupe de l’intendance, dirige les approvisionnements ; Edouard Vaillant, délégué à l'Enseignement ; Dereure et Champy, de la Commission des Subsistances ; Andrieu, d'abord chef du personnel de l'Hôtel de Ville puis délégué aux Services publics 105 ;Theisz, qui remet en route le service des Postes, Debock qui, avec Alavoine et Pierron, a la charge de l'Imprimerie nationale ; Camélinat, directeur de la Monnaie p`il est secondé par ses amis Perrachon, Murat et Lampérière; Combault, qui remplit, avec Faillet pour caissier, la tâche ingrate de Directeur des Contributions directes, tandis que Bastelica, venu tout exprès de Marseille, est Directeur des Indirectes... N'oublions pas sous eux, sous leurs ordres, tout un personnel technique de moindre envergure, improvisé mais souvent efficace. Toute l'administration des Finances ou à peu près est composée d'Internationaux (Seligman, secrétaire, Gustave Durand, caissier principal, Guillemois, chef de la comptabilité...), grands argentiers d'une révolution qui cherchait désespérément des ressources ; toute celle de l'Intendance ou de l'Octroi. Les militants savent se mettre à toutes les tâches civiles, civiques: ils se font percepteurs (Guéry dans le IIIe, Albert Gauttard dans le IXe), ils contrôlent les chemins de fer aussi bien que la voirie ; Ernest Mélin, lithographe, du Cercle des Etudes sociales, est Directeur des Abattoirs de la Villette, P. Mouton directeur de la prison de Mazas, puis de celle de Saint-Lazare ; ils sont fréquemment commissaires ou inspecteurs de police, tâche qu'ils ne laissent pas tout entière aux spécialistes en la chose, les blanquistes. Mais c'est surtout en bas, dans les simples mairies, qu'on voit les Internationaux le plus activement à l'œuvre. Guère d'administration municipale où l'on n'en voie au moins quelques-uns, toujours en bonne place. Il en est certaines qu'ils tiennent exclusivement= : municipalités (ce sont toujours les mêmes lieux de choix) des Xe, XIe, XIIIe, XVIIe 106 ; ils ont place majeure dans les IIIe, IVe, XIIe, XIVè surtout, et même les XIXè et XXè; ce sont eux qu'on envoie de surcroît régner provisoirement sur les quartiers bourgeois qui ont mal voté au 26 mars, XVIe, Ier, IIe (ces deux derniers arrondissements seront d'ailleurs conquis le 16 avril, avec des résultats, plutôt médiocres il est vrai, par des communeux internationaux). C'est là, c'est à la base, que s'accomplit d'abord le travail « communal », que se vivait la « révolution communale », au jour le jour. Car il ne s'agissait pas seulement de tâches banales, d'enregistrer mariages, naissances ou décès ; il fallait s'occuper des questions sociales, du chômage, de la reprise et de l'organisation du travail, des subsistances, cantines et fourneaux économiques, assistance, de la réforme laïque de l'enseignement, de constituer, armer et discipliner la Garde nationale..., bref de mettre en œuvre dans le détail ce que l'Assemblée communale décidait en haut. Les Internationaux y ont consacré principalement leur temps. Et la lutte militaire ? L'échantillon recueilli des 650 n'est sûrement pas ici suffisamment représentatif ; il doit y avoir trop d'Internationaux de toutes sortes disséminés dans les rangs de la Garde nationale qui ne nous sont pas, sauf exception, connus. Il n'est pas impossible pourtant d'en tirer quelques constatations utiles. Dans ce cas encore, les Internationaux ont bien été des cadres de la Révolution, ou des éléments responsables. Plus de la moitié des quelque 230 sur lesquels nous avons des renseignements sont sous-officiers et surtout officiers, dont treize commandants de bataillon et surtout six chefs de légion ; plus du tiers (avec quelques doubles emplois) remplit les fonctions de délégué de compagnie, de bataillon, et notamment de légion (seize au moins). Soulignons encore que sur la quarantaine de membres formant le Comité central de la Garde nationale, qui n'a pas voulu se dissoudre après le 26 mars, onze appartiennent à l'A.I.T. ou à des Chambres syndicales.107 Rôle malgré tout peut-être moins éminent, moins évident que dans les fonctions civiques. Il faut tout de même rappeler que ce sont des Internationaux qui donnent, dirait-on, son appui logistique à l'armée de la Commune : Avrial, qui est Directeur général de l'Artillerie, entouré de toute une équipe composée de ses compagnons de la Chambre syndicale des Mécaniciens, Drouchon, directeur du matériel, Coudriet, contrôleur, Lerck inspecteur ; Button dirige la cartoucherie de l'avenue d'Orléans, Dangers la fabrique d'armes du XXè, Polette est délégué aux ateliers de réparation du Louvre, Delchef à ceux du 75, rue Saint-Maur... Ajoutons toute l'Intendance dont on a déjà parlé, qu'Auguste Beauchery, de la section du XIIIe, est directeur du magasin central d'habillement, qu'A. Ricard est délégué à la Boulangerie de la Manutention... Voilà quelques spécimens des responsabilités et du travail incessant qui ont incombé aux Internationaux. Qu'est-ce qu'un International en 1871 ? Il est un portrait qu'on voudrait pouvoir dresser, celui de l'International pendant les jours de la Commune. Chose malaisée ! Nous avons déjà amalgamé, dans tout ce qui précède, membres de sections, membres de Chambres syndicales, nombre de blanquistes aussi, qu'il n'y a pas lieu de séparer des autres. Ce qui complique encore les choses, c'est cette observation de Fribourg - qui contredit d'ailleurs quelque peu ses autres déclarations : « Depuis la fondation de la République, le 4 septembre, dans les réunions publiques, il était perpétuellement question de l'Internationale; il se trouvait qu'à la fin des séances, tout le monde en était; on adhérait en masse, et publiquement... » 108 Fribourg ne donne pas d'autre illustration de ce qu'il avance, mais il est plus que plausible qu'en effet l'Internationale est devenue un centre de ralliement pour quantité de révolutionnaires de tous bords, adhérents pour une période plus ou moins longue, point forcément ralliés expressément au programme de l'Association (dans la mesure où celui-ci est réellement clair). À peu près tous les historiens (et souvent des Internationaux eux-mêmes) présentent comme ennemis jurés de l'Association, au sein de l'Assemblée communale, des hommes comme Pillot, Vésinier 109, Régère. Allons-nous les exclure (et avec eux pas mal d'autres) ? ils sont expressément inscrits aux sections du Panthéon et du XIIIe. Ou bien n'y a-t-il pas quelque part de vérité dans ces déclarations que fait un obscur International (du XIIIè encore) au magistrat chargé d'instruire son procès, sur les conditions de son adhésion ? « Je me suis laissé inscrire sur les registres de cette société croyant que c'était une société de secours mutuels pour les ouvriers. J'ai rencontré chez un marchand de vins vers le 10 ou 12 mai un individu [...] qui m'a emmené dans une maison avenue d'Italie où Mme Tardif m'a inscrit. [...] J'ai donné 50 centimes. Depuis je ne me suis plus occupé de cette société. Mon camarade m'a dit que c'était une société qui se formait, car je n'avais jamais entendu parler de l'Internationale... » 110 Nous ne rejetons personne ; ce sont tous des Internationaux de 1871. Si l'on en croyait d'ailleurs tous ceux qui sont pris et interrogés, et qui se défendent comme ils le peuvent, aucune section n'aurait réellement fonctionné dans aucun quartier pendant les temps de la Commune. Tentons d'abord de rassembler quelques chiffres, et de tirer de l'échantillon des 650 le plus de renseignements possible. Je rappelle que ce lot ne saurait être en aucune façon pris comme mathématiquement expressif, qu'on ne doit le considérer, faute de mieux, que comme indicatif : on ne possède pas d'ailleurs pour tous ceux qui le composent tous les renseignements nécessaires ou utiles. L'International paraît un militant dans toute la force de l'âge. Sur 572 dont nous savons l'âge, chiffres arrondis, 12% ont moins de 25 ans, 40% de 25 à 35, 30% de 35 à 45, 16% de 45 à 55, 2% davantage. L'âge modal se situe autour de la trentaine, et à partir de la cinquantaine, on n'est plus guère actif. Bien loin d'être un « désorienté » de la société, l'International, si l'on se fonde par exemple sur sa situation matrimoniale (399 cas connus), y est assez solidement et sagement installé : 29% de célibataires, 64% d'hommes mariés, 7% de veufs ; les résultats sont sensiblement différents de ceux que donne le Général Appert pour l'ensemble des prisonniers en 1871 : 49% de célibataires, 51% d'hommes mariés ou veufs. Il est vrai qu'il a eu volontiers dans le passé maille à partir avec la justice (275 exemples reconnus avec suffisamment de précision) : 46% seulement ont un casier vierge (contre 79% dans la masse générale des arrêtés) ; 19%, c'est à peu près dans la norme des chiffres relevés par la justice militaire, ont subi des condamnations de droit commun, pour des délits, il faut le dire, souvent bénins ; toute la différence tient évidemment à l'abondance des condamnations politiques (32%), qui ne sauraient témoigner que de la vigueur de l'activité militante. Quant à l'origine (399 cas), rien qui différencie les Internationaux, de la population parisienne masculine majeure : 27% nés dans la Seine, 67% en province, 6% aux colonies ou à l'étranger. 111 Les professions ? Tabler sur l'échantillon général (réduit à 640 en l'occasion) pourrait être de grave imprudence; je m'y risquerai cependant partiellement, y ajoutant l'exemple des deux groupes de sections dont nous avons spécialement remarqué l'influence, 60 membres des XVIIè et VIIIe, 182 des sections du Panthéon, du Club Démocratique et de la section du XIIIe (tous n'étant pas compris, faute de renseignements suffisants, dans le lot des 640). Il ne peut être question que de dégager des constatations grossières; elles peuvent avoir encore une fois leur utilité.
Il ne servirait à rien de tenter une comparaison avec l'ensemble des prisonniers de 1871. Contentons-nous de quelques évidences. Rien d'étonnant naturellement que le cuir et la chaussure soient en si bonne place sur la rive gauche, leur quartier privilégié : cela n'en confirme pas moins le rôle éminent dans l'insurrection des travailleurs de la semelle, dans leurs échoppes. L'Internationale recrute peu au fond dans les métiers peu ou non qualifiés (bâtiment, et surtout journaliers) ; davantage déjà dans le Métal (n'oublions pas la force de la Chambre syndicale des Mécaniciens) ; sa force est surtout dans les professions artistes et artisanes : meuble, bronze, livre, articles de Paris, tous métiers qui sont plus évolués, plus avancés socialement (leur place relative est bien moindre dans le décompte fait par les services du Général Appert). Et puis l'on ne manquera pas de noter l'importance, dans tous les cas remarquable, des métiers non manuels, employés, membres surtout des professions libérales. L'A.I.T. en somme est fidèle à l'article 6 de ses nouveaux statuts : « Sont reçus membres [...] tous les travailleurs manuels, employés, salariés, qui pourront justifier de leur moralité. Les sections pourront également admettre dans leur sein les citoyens qui, sans exercer une profession manuelle, ont adopté et défendu les principes de l'Internationale... » L'Internationale est évidemment d'abord, en 1871, société ouvrière, rassemblement d'ouvriers, plutôt qualifiés; elle est aussi et en somme une sorte d'intelligentsia populaire, et c'est ce qui justifie sans doute son rôle majeur dans la Commune. De tels chiffres peuvent ne pas paraître convaincants ; il est difficile à ce jour d'en trouver de meilleurs. Serait-il possible d'autre part, de dresser une espèce de portrait idéologique de l'International, cherchant quelles sont ses préoccupations, ses idées, son langage ? Ce ne sera pas ici non plus une entreprise systématique, dans les règles de l'étude linguistique, une glane seulement, un peu au hasard, à travers les proclamations, les articles de presse, les discussions au sein du Conseil fédéral, ou toute source écrite possible, et entre autres ce poème de L'Internationale d'Eugène Pottier, secrétaire de la Chambre syndicale des Dessinateurs, que nous présente plus loin Robert Brécy, dans une version sûrement plus proche des événements de 1871 que celle que connaît depuis le mouvement ouvrier, précieux document populaire qu'on peut tenir pour un petit glossaire du parler international. Que pense l'International, contre qui lutte-t-il ? Ses ennemis, parfois vagues encore, sont au fond d'abord les mêmes que ceux de n'importe quel des Communeux. Écoutons Pottier ! Les « tyrans », les rois qui « nous soûlaient de fumées », les « voleurs » qui doivent rendre gorge, les « corbeaux » et « vautours » (prêtres et propriétaires), les « oisifs » : « Bandit, prince, exploiteur ou prêtre, Qui vit de l'homme est criminel [...] L'Usure, folle en ses colères... » 112 Pottier exprime déjà, mais un peu lointainement l'opposition entre prolétaire, travailleur et capital. Dans la presse, dans les manifestes, au Conseil fédéral, le vocabulaire des antagonismes sociaux est sensiblement plus précis. Là, l'ennemi est dénoncé avec vigueur comme le bourgeois, la bourgeoisie, « la rapacité et la basse spéculation des capitalistes ». Là on associe « l'oligarchie politique et la féodalité industrielle », on parle du travail « lutte éternelle contre le capital », de « classe des travailleurs », du « prolétariat de l'univers », de la nécessaire « liquidation sociale » qui restituera « aux ouvriers leur instrument de travail », comme la Révolution de 92 rendit la terre aux paysans, de la république sociale succédant révolutionnairement à la république bourgeoise, provoquant enfin « l'avènement politique des travailleurs ».Thèmes et mots principaux. Et l'idée fondamentale (qui remonte à l'Adresse inaugurale rédigée en 1864 par Marx pour l'A.I.T.) est celle de la force du nombre, d'un nombre qu'il faut organiser, pour constituer le grand « parti des déshérités ». Elle est partout ; elle est au cœur de L'Internationale : « C'est nous le droit, c'est nous le nombre [...] Il n'est pas de sauveurs suprêmes Ni dieu, ni césar, ni tribun. Travailleurs, sauvons-nous nous-mêmes [...] Ouvriers, paysans, nous sommes Le grand parti des travailleurs [...] » On la retrouve dans les mêmes termes dans une déclaration de la Chambre syndicale des Mécaniciens ; est-il possible que Pottier n'en ait pas eu connaissance, gardé quelque souvenance ? « Les maîtres, les rois de toute espèce ne dominent les peuples que parce que nous sommes isolés de cœur et d'intérêt. Groupons-nous en faisceau compact à l'ombre du drapeau de l'égalité. Plus de sauveurs, plus de providence. [...] Faisons nos affaires nous-mêmes; prenons résolument en main la gestion de nos intérêts: c'est nous qui sommes le droit et la justice. Unis et solidaires, nous serons à notre tour, et quand nous le voudrons, la Force ! » 113 Et cette révolution sociale qui s'annonce, qui est en train de
s'accomplir, curieusement, sera non-violente. De multiples textes en font foi.
Je renvoie ici au premier des extraits de La Révolution politique et
sociale, que je proposais en exergue à cette étude: « un
état de choses [...] sans secousse, sans désordre, sans coup d'état, sans
émeute » (n'est-ce pas d'ailleurs exactement ce qui s'est passé au 18
mars ?). Le Droit, la Justice, et l'évidence du Nombre organisé suffisent.
C'est qu'aussi, cette révolution, on la considère beaucoup moins comme le fruit
de la lutte que comme le commencement de l'inévitable réconciliation des
classes. L'International tend la main au bourgeois, naturellement pas au tout
petit nombre des « féodaux » industriels, mais à la
« bourgeoisie travailleuse » - un terme qu'emploie aussi
Vallès ! Voici un texte de Nostag : « La société s'est partagée en deux classes; ceux qui produisent sans rien posséder; ceux qui possèdent sans rien produire. Capital et travail. Les indispensables et les inutiles. Bourgeois, où êtes-vous ? Avec qui êtes-vous ? Les vingt ans de débauche, que l'on appellera plus tard le bas-empire français, ce quart de siècle où tout ce qui était vice était maître [...] ces vingt ans passés sur vos têtes, ô bourgeois, vous ont-ils fait ouvrir les yeux [...] ? La Sociale est souveraine. [...] Allons, que ce malentendu cesse ! Peuple et bourgeoisie travailleuse ne font qu'un ; le servage du XIXè siècle, le capitalisme, s'effondre; égarés, tendez-nous les mains... » 114 Double utopie, que la suite se chargera de démentir cruellement ce n'en était pas moins la plus répandue, et elle explique ce caractère « bon enfant » que Marx reprochait à la Commune de 1871. Les Internationaux et le problème de l'Etat Je voudrais m'attarder surtout sur deux points précis. Quelle idée d'abord les Internationaux se faisaient-ils du nouvel « Etat » communal ? Trop d'historiens ont étrangement faussé le débat en le ramenant simplement à la querelle des partisans d'un Comité de salut public façon 93, d'une part, et des fédéralistes libertaires, de l'autre. Cette guerre a bien eu lieu, mais il faut se garder de tout mêler, de faire intervenir surtout en 1871 les échos des luttes qui déchirèrent ensuite les Communeux de l'exil, partagés en effet en « autoritaires » et « libertaires » - c'est presque un débat totalement différent. Une première remarque : elle est toute simple ! S'agissant du vote, le ler mai, du projet Miot, pour ou contre le Comité de salut public, on n'a jamais fait de compte exact (ni d'ailleurs d'analyse un peu poussée), et c'est réellement à la légère qu'on identifie Internationaux et minorité hostile au Comité. Il y a alors 78 membres de la Commune en exercice, 68 prennent part au vote. Sur les dix absents (ou abstentionnistes ?), déjà cinq Internationaux. Vingt-trois votent contre, dont treize Internationaux : à peine plus de la moitié. Quarante-cinq se prononcent pour, et parmi eux vingt-deux militants de l'Association, si on les compte au sens large de 1871, dix-sept au moins si l'on ne veut tabler que sur ceux de vieille et bonne souche. 115 Force est de constater que la majorité des Internationaux a choisi les rangs des partisans du Comité, et non l'inverse. Et plusieurs motivent leur vote dans la plus pure langue de 93, tout aussi bien que ceux qu'on appelle les jacobins de l'Assemblée. Oudet : « Je vote pour [...] attendu que notre situation est plus terrible encore que celle où nos pères de 93 se sont trouvés... » ; Géresme : « Je vote pour, parce que le terme salut public a été, est, et sera toujours de circonstance.» H. Goullé (qui n'est pas de la Commune) applaudit au résultat dans La Révolution politique et sociale : « En 1792, les Droits que le Peuple avait conquis [...] furent en danger d'être perdus. Les hommes dévoués alors à la cause de notre classe eurent recours à ce moyen extrême, de déléguer toutes les forces vives de la Révolution à quelques citoyens qui, armés d'un pouvoir illimité, purent, par l'énergie et la netteté de leur action, sauver nos droits pendant un temps. [...] La Commune vient de recourir à cette mesure dictée par les circonstances. [...] Nous n'en sommes plus à discuter philosophiquement dans nos sections. Il faut sauver Paris ! » 116 Mais la querelle est-elle tellement essentielle ? Ce sont exilés et historiens qui l'ont - vraiment par trop - systématisée. On s'est battu surtout sur des questions de procédure (présentation surprise du projet), de forme (plagiat anachronique de l'an II), naturellement de personnes, et plus particulièrement d'absence de contrôle sur le nouveau comité. Je crois avoir ailleurs suffisamment montré que tous les membres de la minorité voulaient, eux aussi, un renforcement de l'exécutif, j'ai souligné également que tous les membres de la Commune, future majorité comprise, avaient voté la Déclaration au Peuple français du 19 avril. Demeurons parmi nos Internationaux. On peut très bien être, on est, en 1871, partisan d'une centralisation - au fond, sauf peut-être pour quelques-uns, de circonstance, en ces temps difficiles que traverse la Commune - et, en même temps, d'un fédéralisme français. C'est Duval, blanquiste, mais, on ne le lui déniera point, International de vieille et bonne souche, qui a parlé l'un des premiers de Paris libre dans une France libre. Et le même Goullé dans le même journal, écrivait un mois auparavant : « La seule issue ouverte encore devant nous, c'est la fédération des Communes de France; toute autre route nous est fermée maintenant: il faut commencer par la Commune de Paris. » 117 À mes yeux, le vrai problème, le plus intéressant, est que les Internationaux, à peu près seuls, ont commencé de se préoccuper de ce que serait l'Etat (ou non-Etat) futur. Le travail était difficile, et leurs anciennes querelles ne les faisaient pas tomber toujours d'accord. L'Internationale, disait Theisz, doit « devenir le gouvernement social de l'avenir » : mais sous quelle forme exactement ? Chacun connaît les projets proudhoniens, partout cités, eux aussi d'un Paris libre et d'une France libre, que multiplie P. Denis, dans Le Cri du Peuple et ailleurs. Ce ne sont pas les seuls, et pas nécessairement les plus significatifs. Je préfère m'attacher par exemple à l'essai moins connu de construction d'un « non-gouvernement » collectiviste de Nostag, publié encore dans La Révolution politique et sociale, sur des arguments différents. 118 Ce n'est pas du tout sur Proudhon qu'il s'appuie, mais sur Rousseau et son Contrat social. Le point de départ : l'idée que la volonté générale ne peut s'aliéner (« A l'instant qu'un peuple se donne des représentants, il n'est plus libre, il n'est plus »). La conséquence : « le collectivisme ne reconnaît pas de gouvernement ». Rousseau ne voyait de gouvernement démocratique possible que dans « un état très petit où le peuple soit facile à rassembler... ». N'est-ce pas l'annonce des Communes et de leur fédération ? « La distribution de la collectivité en groupes ou états communaux
remplit entièrement ce but. La Commune - à peu de chose près celle qui existe
de nos jours - formera un état à part jouissant de lois particulières, mais
obéissant au pacte fondamental. Tous les dimanches ou tout autre jour fixé, le
peuple s'assemble dans la maison commune. [...] Il discute de ses
droits, de ses devoirs, nomme les surveillants de ses écoles, de ses
chemins... » Il y aura naturellement des problèmes d'intérêt régional ou national (la
construction d'un chemin de fer par exemple) ; alors les comités des Communes
nomment pour en discuter des délégués à un comice de district (500 communes à
peu près), ceux-ci des délégués à un comice ce région (dix districts), pour
aboutir à un comice législatif fédéral, qui « élit
une commission chargée de faire exécuter le travail, se proroge jusqu'à complet
achèvement de l'œuvre [...] mais se dissout quand elle est achevée. » À
l’inverse, le comice fédéral peut proposer un projet de loi, qui redescend
l'échelle. Ainsi les contraintes étatiques ont-elles disparu et peut-on
vraiment faire respecter le libre exercice de la souveraineté générale. Le
« libertaire » Nostag, je le souligne, est secrétaire-correspondant
de la section d'Ivry-Bercy, une de celles qu'on peut ranger sans hésiter
(d'après notamment ses statuts) dans le clan rive gauche, qu'on aurait pu
supposer plus autoritaire. Il est d'autres projets plus « étatistes ». Souvenons-nous que Goullé, lui aussi fédéraliste, demandait en février malgré tout « la forme de l'an II », qu'il identifiait à « la fixation du but de l'Etat par le prolétariat ». Pour Serraillier, revenu de Londres après le 18 mars, comme émissaire toujours du Conseil général, il paraît bien que l'Etat doive assez longtemps continuer, pour aider la classe ouvrière : « En ce moment où la classe ouvrière vient de faire son apparition sur la scène politique, nous ne croyons pas inutile de rappeler les obligations de l'Etat envers les travailleurs. [...] D'ailleurs la diversité d'opinions sur le rôle de l'Etat, dont quelques soi-disant socialistes ont demandé la suppression, nous fait un devoir d'insister. [...] Tout d'abord, nous croyons qu'il incombe à l'Etat d'aider et de faciliter le développement des associations corporatives, en leur fournissant le moyen d'acquérir les instruments de travail. [...] Ce qu'il faut, c'est l'intervention de l'Etat par tous les moyens en son pouvoir, là où l'individu est impuissant à se procurer une existence digne d'un citoyen... » 119 Nombreuses sont les mésententes sur ce point crucial, et je ne suis pas persuadé que les Internationaux, ni la classe ouvrière parisienne, aient réellement « enfin trouvé » unanimement, la forme politique de leur nouveau gouvernement. Du moins se sont-ils essayés, et ils étaient pratiquement les seuls, à la découvrir. Certains tentaient de penser le problème à long terme, et c'était souvent utopique en de pareilles circonstances : il n'en reste pas moins, quelles qu'en soient les origines idéologiques, ce projet toujours vivace au sein du mouvement ouvrier de faire dépérir, mieux, périr l'Etat. Marx a cherché à en conserver le meilleur. À court terme, pour le présent, tous étaient en tout cas d'accord que la nouvelle Commune devait d'abord œuvrer pour ceux qui formaient le « parti des déshérités ». Autant que Serraillier, Malon, ou Georges Bertin, secrétaire de la Commission du Travail et de l'échange 120 : « Pour lui [le peuple] la Commune n'est pas seulement l'autonomie administrative, mais encore et surtout l'affirmation du pouvoir souverain, c'est-à-dire le droit entier, absolu, pour le groupe communal de se donner ses propres lois, de créer son organisme politique comme un moyen pouvant réaliser le but suprême de la Révolution, à savoir l'affranchissement du travail, l'abolition des monopoles et privilèges, de la bureaucratie, de la féodalité industrielle, agioteuse et capitaliste. » Et Bertin a précieusement noté encore, pour ce qui devait être ses
Mémoires, cette phrase qu'il a entendue de la bouche de Frankel :« Il est le devoir d'un état, d'un pouvoir, d'intervenir dans
l'intérêt général de la société, il serait absurde de se contenter d'être le
témoin d'un duel entre ouvrier et patron, car l'état n'a pas de raison d'être
s'il n'est pas pour rendre des services aux faibles. » 121 État, non-Etat, gouvernement, non-gouvernement ? il est trop tôt et
les temps sont trop déconcertants, trop brefs surtout pour qu'il soit loisible
d'en trancher ! 122 Mais pouvoir sûrement social, socialiste, et,
parodiant Marx, j'oserai presque dire que, pour les Internationaux, « le
véritable secret de la Commune, le voici »: c'était la devise même de
l'A.I.T., « l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs
eux-mêmes ». L'Emancipation des Travailleurs C'est le second point dont je voudrais souligner la particulière importance. Avancer que la Commune fut la première révolution socialiste est sans doute grosso modo exact, encore le faut-il prouver. Et si socialisme il y a eu, c'est tout entier ou presque sur les épaules des Internationaux qu'il repose. Passons sur quelques réformes, seulement «sociales», au demeurant vagues, réalisées par l'Assemblée communale. L'essentiel est ici l'œuvre du Ministère du Travail, de la Commission du Travail et de l'Echange de la Commune, qu'on a rarement étudiée suffisamment en profondeur. Elle est, je l'ai dit, peuplée exclusivement, cette commission, d'Internationaux, qu'il s'agisse des délégués désignés le 29 mars (Malon, Frankel, Clovis. Dupont, Avrial, E. Gérardin, Puget) et de la commission d'initiative qui est chargée de le seconder, 123 ou de ceux qui sont élus le 21 avril (Theisz, Malon, Serraillier, Longuet, Chalain), le délégué général nommé le 20 étant Frankel. 124 Les Archives Historiques de la Guerre ont conservé quelques documents essentiels qui permettent de décrire assez bien ses activités, et particulièrement les comptes rendus des séances de la Commission d'initiative, qui a fonctionné jusqu'au 24 avril. Les travaux et les jours ? Il ne s'est agi au commencement que d'humbles tâches de remise en route de la vie de la Ville, voirie, pompes funèbres, travaux publics, ou d'examen de propositions plus ou moins sérieuses de construction d'aérostats pour les Postes, de passerelles aériennes ou de chemin de fer souterrain, de livraison des glacis des fortifications à l'agriculture, voire de paiement par chèques de la solde de la Garde nationale ... Mais bientôt, on en venait aux questions ouvrières proprement dites: par exemple, pour faciliter la reprise du travail et « égaliser » les rapports entre patrons et salariés, l'ouverture à partir d'avril, dans chaque mairie, de bourses locales du travail recueillant et harmonisant offres et demandes d'emploi. On donnait satisfaction à une vieille exigence de la Chambre syndicale des Ouvriers Balanciers, la réforme du service de Vérification des Poids et Mesures. Georges Bertin, secrétaire de la Commission, polissait deux projets tout particulièrement, l'un, d'interdiction du travail de nuit des ouvriers boulangers, que la Commune acceptera, l'autre, qu'elle négligera ou à peu près, de liquidation des Monts-de-Piété. Bientôt aussi affluaient les revendications proprement ouvrières. La principale : que la Commune donne tous travaux aux ouvriers, aux associations ouvrières; c'est ce que sollicitent, plus, ce que demandent impérativement les relieurs, les tailleurs et les cordonniers, les cloutiers, les travailleurs des Cuirs et Peaux, les fondeurs en suif... Déjà ce n'est plus de remise en route, de reprise du travail qu'il s'agit, mais d'organisation du travail. Les tailleurs - c'est encore une citation que je proposais en exergue - (et bien d'autres professions) sont convaincus de « l'inutilité du patronat » qui n'est là que pour « métalliser » leur sueur. Comment ne le seraient-ils pas ? leur Chambre syndicale et leur principale société de production, l'Association générale des Ouvriers Tailleurs, font fonctionner, on l'a dit, très correctement depuis le Siège, en se passant d'intermédiaires et de patrons, des ateliers de quartiers qui habillent l'armée populaire; ils souhaitent la généralisation de l'expérience. Et la commission d'initiative reçoit d'en bas des propositions ouvrières pour une totale réorganisation sociale; j'en ai cité maintes fois plusieurs 125 et ne reproduis ici que les points principaux du projet du sculpteur Brismeur, adressé d'ailleurs à l'Internationale : « Il faudrait que l'Internationale [...] établît à Paris [...] une ou deux corporations des plus indispensables et des plus nombreuses qui, une fois établies, s'empareraient de tous les travaux à faire. [...] Cette corporation ou ces deux corporations travaillant et fonctionnant avec avantage pourraient aisément prélever sur le produit de leurs travaux une somme de dix ou quinze pour cent qui servirait à établir d'autres corporations. [...] L'administration de la première [...] pourrait servir de modèle et de moyen pour établir tous les corps les uns après les autres et quand une fois nous aurions aboli toutes les exploitations particulières des patronages et que nous serions maîtres de nos travaux, nous réduirions facilement le commerce et le capital à nos lois... » Idée ancienne, qui remonte (à tout le moins) à 1848, et qui rejoint,
n'est-il pas vrai ?, sous une forme peut-être un peu naïve, ce projet que
Varlin formait avant-guerre de « syndicalisation des moyens de
production ». Concrètement, il faut un point de départ, un point
d'accrochage du mouvement: un crédit ou un capital (mais la Commune n'est- elle
pas là pour les fournir ?) permettant « d'établir » une,
quelques associations ouvrières dans un ou quelques métiers. Mieux gérées,
puisque par les ouvriers eux-mêmes, leurs bénéfices revenant aux
travailleurs, sans être diminués du profit qu'extorque l'inutile patron ;
ne feront-elles pas une concurrence décisive aux entreprises restées
capitalistes, s'étendant de la sorte, et aussi par la contagion de l'exemple
(une vertu à laquelle on croit beaucoup, un peu trop, en 1871), à toute une
corporation, puis de corporation en corporation, de ville en ville... Aux
chambres syndicales dont les associations ouvrières sont les filiales de s'y
employer, avec l'appui naturel de la Commune des ouvriers. Cet appui, les Internationaux de la Commission du Travail se son: montrés au plus haut point soucieux de ne le point ménager, et je vois trois aspects essentiels au moins dans leur œuvre «socialiste». Ils se sont attachés, comme l'écrit Bertin, à « favoriser le développement des associations existantes, [...] provoquer la formation de nouvelles, et par là même, soustraire le travail à l'exploitation du capital... » Je recense au minimum dix associations ouvrières auxquelles la Commission procurait préférentiellement du travail. 126 Entendons bien ! il s'agissait d'une part, en privilégiant les travailleurs, encore une fois (c'est un mot-clef du moment) d'« égaliser » les chances de tous, objectif qui n'est sans doute pas très révolutionnaire ; mais ces associations favorisées pouvaient être d'autre part, devaient être de ces points d'accrochage nécessaires au développement du projet de « syndicalisation » contagieuse qu'on vient de décrire. Second point capital : l'organisation du travail des femmes, problème ancien, question toujours brûlante, les prolétaires féminines étant de loin les plus déshéritées dans le Paris du XIXè siècle. La première commission d'initiative y avait déjà longuement travaillé en mars et avril, et Georges Bertin avait mis sur pied plusieurs projets. Comme on n'est rien moins qu'autoritaire en 1871, la tâche fut bientôt confiée aux femmes elles-mêmes, à l'Union des Femmes organisée et dirigée par Elisabeth Dimitrieff, Internationaliste convaincue elle aussi, qui put proposer un projet cohérent, mais trop tard, quelques jours seulement ayant le début de la Semaine sanglante. La Commission du Travail n'avait pas été avare de son aide, et le délégué Frankel faisait expédier à toutes les mairies la communication suivante : « Les comités de l'Union des femmes sont charges par la Commission du Travail et de l'Echange de faire les études préparatoires pour l'organisation d'ateliers coopératifs. [...] En attendant qu'un budget spécial soit voté par la Commune pour la création de ces ateliers, ce qui n'est plus qu'une formalité, je vous serais obligé d'assurer aux citoyennes [...] la solde de 2 Fr par jour. Ce ne sera que la rémunération équitable des services qu'elles sont appelées à rendre, ce sera leur faciliter les moyens de nous aider dans l'œuvre commune... » 127 Ici une œuvre qu'on peut proprement qualifier de socialiste était en cours, sous l'égide d'hommes et de femmes Internationaux : le temps manqua pour la mener au bout. Enfin le décret du 16 avril chargeant les chambres syndicales de recenser en vue de confiscation les ateliers abandonnés et de prévoir leur «prompte mise en exploitation ... par l'association coopérative des ouvriers qui y étaient employés.» 128 On juge volontiers ce décret de médiocre portée. Comment justifier alors l'enthousiasme incontestable qu'il soulève dans les organisations ouvrières ! Dès le 20 avril, le Conseil fédéral de l'A.I.T. demandait à la Commission du Travail de « Convoquer immédiatement les corporations ouvrières dans les différents locaux appartenant à la ville. Leur donner pour ordre du jour la formation de sociétés ouvrières pour la prise de possession immédiate des ateliers abandonnés par les patrons. [...] De quel capital pourra disposer chaque société ou corporation ouvrière... ? » 129 Bref d'aller plus vite encore en besogne. Pour les Tailleurs, réunis le 17 ou 18 avril : « Jamais occasion plus favorable n'a été offerte par un gouvernement à la classe des travailleurs. S'abstenir serait trahir la cause de l'émancipation du travail. » 130 Les Mécaniciens : « Pour nous, travailleurs, voici une des grandes occasions de nous constituer définitivement et enfin de mettre en pratique nos études patientes et laborieuses de ces dernières années... » 131 Les Bijoutiers : « Au moment où le socialisme s'affirme avec une vigueur inconnue jusqu'alors, il est impossible que nous, ouvriers d'une profession qui subit au plus haut degré l'influence de l'exploitation et du capital, nous restions impassibles au mouvement d'émancipation qui s'exprime sous un gouvernement véritablement et sincèrement libéral... » 132 C'est dans un tel contexte seulement qu'on peut prendre valablement la mesure de la portée du décret. Pour ces ouvriers internationaux ou syndiqués il est le début de la restitution aux travailleurs de leurs moyens de travail, et, à n'en pas douter, il faut l'inscrire, comme une pièce maîtresse, toujours dans le processus de syndicalisation progressive, pacifique et contagieuse des moyens de production : les ateliers saisis pourront facilement être les noyaux nécessaires de la contagion. Ce qu'il subsiste de Chambres syndicales s'organise promptement en Commission d'Enquête et d'Organisation du Travail, à l'impulsion des ouvriers Mécaniciens. Précisément le mandat qui est confié aux délégués de ceux-ci est le suivant : « Supprimer l'exploitation de l'homme par l'homme, dernière forme de l'esclavage. Organiser le travail par associations solidaires à capital collectif et inaliénable. » 133 Là encore le temps fit cruellement défaut. Dix syndicats 134 ont commencé les travaux de recensement des ateliers abandonnés et la mise sur pied d'associations de production. Mais la séance où se constitue vraiment la Commission d'Enquête et d'Organisation est du 18 mai. C'est trop tard, et à cette date un seul atelier encore à ma connaissance a été confisqué, la fonderie Brosse du XVè arrondissement. S'il est une chose assurée en tout cas, c'est que sans l'inlassable activité des militants internationaux à tous niveaux, la Commune de 1871 n'eût pas pris le caractère socialiste qu'indubitablement elle a eu. Le socialisme de 1871 est leur tout entier. 135 Conclurai-je longuement une étude qui n'est déjà que trop longue et ne
pouvait reposer malheureusement que sur des bases relativement frêles ? Il
est encore bien des points que je n'ai pu qu'esquisser, ou que je n'ai même pas
évoqués. Ce portrait par exemple de l'International de 1871 que j'ai commencé
de dresser n'est pas complet. De « l'internationalisme »gde celui-ci,
je n'ai rien dit ; il faut constater aussi bien qu'on en trouve peu de
traces, en des temps où elles ne sont guère faciles à exprimer. 136 Même le militant de l'A.I.T. est en 1870 et 1871 d'abord un patriote. Marx, on s'en souvient, s'en était aux premiers jours gravement inquiété. Plus tard, le Conseil général de Londres, plus ou moins bien informé de ce qui se passe à Paris, aura encore l'occasion de redouter des excès en ce sens ; à sa séance du 14 mars : « Cit. Marx stated that it had been published in a Paris journal that the Federal Committee [. de Paris] had passed a resolution : the effect that as they had the name of International they would keep it but that ail Germans excepting Marx, Liebknecht, and Jacoby should be excluded. [...] He proposed that Serraillierr should be instructed at once [to] write to Rochat...» 137 Serraillier pourra démentir le 21 mars, sur réponse de Paris, la nouvelle pour le moins étrange 138, et rien de tel en effet n'apparaît jamais dans les séances officielles du Conseil fédéral parisien. Il se pourrait cependant qu'elle ne soit pas tout à fait sans quelque fondement: en février les Lithographes - ils sont section de l’A .I.T - ont publié un manifeste qui n'est rien moins que chauvin : « Citoyens, c'est sans haine et sans colère que nous vous proposons de prendre en considération les propositions suivantes, [...] avec la juste appréciation de la conduite antihumanitaire des Allemands pendant cette guerre effroyable qui retarde pour des siècles l'avènement de la solidarité des peuples. [...] Votre commission vous propose de décréter l'élimination des lithographes allemands [...] de tous les ateliers de France [...] jusqu'à ce que la corporation en ait décidé autrement en réunion générale » 139 Et nous savons que d'autres corporations ouvrières, appartenant ou non à l'A.I.T., ont pris des décisions plus ou moins similaires. N'oublions pas le mot de Martine : " Oui, nous étions bien les fils des hommes de 93, les héritiers directs des Jacobins les plus résolus [...] ! » Le socialiste de 1871 a des idées neuves, il est aussi, comme les insurgés de toute souche, foncièrement adossé aux grands souvenirs. Double Commune, annonciatrice, mais aussi et peut-être d'abord héritière. La majorité des Internationaux à l'Assemblée communale a tout de même, je l'ai dit, de quelque façon qu'on fasse les comptes, voté pour le Comité de Salut public, premier de ces grands souvenirs. Mais prenons à l'inverse ceux qui ont voté contre, qui se rangent dans la minorité ! Pour quoi se battent-ils, sinon pour le respect du contrôle des élus par leurs électeurs, des « mandataires » par leurs « mandants », et n'y a-t-il pas là, dans ce qui est peut-être aussi nouveauté, nouvelle conception de l'Etat, un fort relent de cette démocratie directe qui était la première revendication des sans-culottes de l'an II? On organise le travail des femmes, on « communalise » certains ateliers, et d'abord les ateliers d'armes ; cela avait déjà été réalisé en 1792 et 1793. Quand on demande qu'on restitue la propriété aux ouvriers de leurs moyens de travail, quel est le précédent qu'on invoque ? la restitution par la Révolution de la terre aux paysans ? C'est Jean-Jacques que cite Nostag. Voilà tout un aspect, fondamental au sens propre du terme, qu'on n'a pas le droit d'oublier. 140 On en a eu, au long de cette étude, suffisamment de preuves. S'il s'agit de terminer sur une appréciation d'ensemble, c'est à deux ouvriers internationaux que je laisserai le mot de la fin ; ils étaient de bords antagonistes, ils sont d'avis opposé. Lacord : « L'Internationale a mal compris son rôle, les travailleurs devaient s'emparer du pouvoir le 4 septembre. [...] Si, le premier jour, l'Internationale avait marché droit son chemin, tout aurait tourné d'une autre manière, notamment le 31 octobre. [...] L'Internationale ignore sa force réelle, elle est considérable. » C’était facile à dire après coup. Rouveyrolles : « L'Internationale s'est toujours occupée de politique, et en la critiquant, on oublie que les sections sont ruinées, que leurs membres sont dispersés. »141 Les militants eux-mêmes ne sont pas d'accord, mais il me semble que j'ai donné certains éléments qui permettent de les réconcilier sur ces positions opposées. Force potentielle de l'A.I.T., faiblesse réelle parce que cette force n'a pu, n'a su être bien utilisée, bien appliquée. Que cela ne fasse pas oublier son rôle tout de même éminent pendant les jours mêmes de la Commune! L'Internationale aussi bien commençait, tendait, par la force des choses, à se transformer en « parti » révolutionnaire. Le temps ne lui en a pas été laissé, mais son histoire et son évolution - positivement et négativement - vont probablement peser, et d'un bon poids, sur les décisions de la Conférence de Londres, de 1871, puis sur celles du Congrès de La Haye, en 1872. 1 Je ne vois aucune étude systématique et substantielle sur le sujet, exception faite du premier travail défricheur accompli par A. Molok, « Rabocie Pariza v dni Kommuny », in: Voprosy Istorrii, 1951, n° 3, p. 3-31 (il en existe une traduction française, « Les ouvriers de Paris pendant la Commune », in : Les Cahiers du Communisme, 1951, n° 5 et n° 6). Certaines histoires récentes de la Commune consacrent plusieurs pages, voire un chapitre, au problème, ainsi celle de J. Bruhat, J. Dautry, H. Tersen, La Commune de 1871, Paris 1960, réédition 1970, p. 151-159, mais il me semble qu'il reste encore beaucoup à dire. Trop souvent d'autre part, lorsqu'on parle du rôle de l'Internationale dans la Commune, c'est d'abord et surtout à celui de Marx, d'Engels, du Conseil général de Londres qu'on s'intéresse. Ainsi le chapitre que consacre I. Bach à « La Première Internationale et la Commune de Paris » dans le recueil collectif La Commune de Paris 1871, sous la direction de E. Jeloubovskaïa, A. Manfred, A. Molok, Moscou 1971, p. 370-390. Je m'en tiendrai ici à des perspectives et des horizons strictement parisiens. 2 Le texte de Favre a été reproduit par Georges Bourgin, « La lutte du Gouvernement français contre la Première Internationale », in: International Review for Social History, t. IV (1939), p. 53. Les citations de Tolain et Fribourg sont empruntées à leurs dépositions devant la commission d'enquête désignée pour étudier les événements de 1871 - dépositions qui ne sont pas d'intérêt négligeable mais doivent être utilisées avec prudence -, Enquête parlementaire sur l'Insurrection du 18 mars 1871 (ci-après désignée par l'abréviation Enquête parlementaire), p. 422 et p. 428. L'édition utilisée ici est celle en un seul volume, Paris, Librairie législative, 1871. 3 Notamment les plaintes nombreuses sur la faiblesse extrême de l'Association exprimées par les membres mêmes de son Conseil fédéral parisien, dont j'évoque? quelques-unes un peu plus loin, pour les mois de janvier à mars 1871. 4 Engels à Sorge, 12 septembre 1874, Correspondance F. Engels - K. Marx et ?divers, publiée par F. A. Sorge, Ed. Costes, Paris 1950, t. I, p. 204. 5 Dossier Paul Martine aux Archives Historiques du Ministère de la Guerre (ci-après A.H.G.), IV« conseil de guerre, dossier n° 1656. Martine a laissé des Mémoires manuscrits sur la période 1870-1871, conservés à la Bibliothèque Nationale de Paris, Nouvelles acquisitions françaises 12712-12717. Une partie,? celle qui commence au 18 mars 1871, vient d'en être publiée : Paul Martine,Souvenirs d'un insurgé, préface et notes de J. Suffel, Paris 1971; ces souvenirs?ne sont pas sans intérêt en ce qui concerne la vie locale dans le XVIIe arrondisse?ment, mais malheureusement nous éclairent assez peu sur les activités de la? section des Batignolles, à laquelle son dossier prouve qu'il? appartenait. Et l'auteur oublie – volontairement ? - de rappeler ce fait, devenu qu'il est, au moment où il écrit, vigoureusement nationaliste et antidreyfusard (et cela, ce sera un peu une suite du patriotisme des Internationaux de 1871). 6 Quelques miettes pour la période du Siège aux Archives de la Préfecture de Police de la Seine (abréviation A.P.Po.), principalement cote B/a 441. On? possède les comptes-rendus des séances du Conseil fédéral parisien, complets surtout pour la période janvier-mars 1871, publiés sous le titre Les séances ?officielles de l'Internationale à Paris pendant le Siège et pendant la Commune (abréviation Séances officielles), et dont on ne peut plus songer à contester ?l'authenticité, plusieurs des procès-verbaux originaux multigraphiés ayant été?retrouvés aux A.H.G. et aux A.P.Po. Ont été publiés également par les soins de l'Institut de Marxisme-Léninisme de Moscou les procès-verbaux des séances du? Conseil général de Londres; j'utilise ici l'édition en anglais, Documents of the First International, [t. IV], The General Council of the First International 1870-?1871, Minutes, Moscou-Londres, s.d., (abréviation Minutes 1871). On peut en consulter le texte original à lTnternationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis.? À signaler encore les Lettres de Communards et de militants de la Ière Inter?nationale à Marx, Engels et autres dans les journées de la Commune de Paris en ?1871. Présenté et rédigé par J. Rocher, Paris 1934. Je n'ai pu prendre connaissance de Pervyj Internacional v dni Parizskoj Kommuny. Dokumenty i materialy, Moscou 1941 (en russe seulement).
7 Les archives
privées de Léon Centner contiennent nombre d'importants documents concernant les activités de B.
Malon ; je le remercie d'avoir eu l'obligeance de les mettre à ma
disposition. Elles viennent utilement compléter d'autres documents sur Malon
conservés dans le fonds Descaves de l'I.I.S.G., qui nous renseigne également
sur le rôle en 1871 d'un certain nombre d'Internationaux. 8 A.H.G., dossiers des Communards passés en Conseil de guerre. J. Maitron a principalement utilisé pour la confection de son Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français (D.B.M.O.F.) les dossiers de recours en grâce de la série BB24 des Archives nationales. Il m'a aimablement communiqué la liste des militants parisiens de l'A.I.T. qu'il avait répertoriés, et je l'en remercie à son tour, liste que, me référant aux dossiers des A.H.G., j'ai un peu allongée, on verra pour quelles raisons, y incluant des militants ouvriers de Chambres syndicales notamment. Au prix d'un patient travail, on peut également retrouver un certain nombre d'indications (profession, âge...) touchant des Internationaux qu'on ne?connaissait que de nom en dépouillant les listes électorales des quartiers de Paris?pour 1871, dont on n'a pas encore eu le souci ou le temps de les rayer, s'ils sont?condamnés; elles sont conservées aux Archives du Département de la Seine. 9 Le Manifeste contre la guerre paraît dans le journal Le Réveil, 12 juillet 1870 ; il n'est alors signé que de 200 militants environ, d'hommes et femmes qui se disent expressément membres de l'Internationale; J. Maitron, D.B.M.O.F. (version papier), t. IV, p. 43-45, n'a retenu que ceux-ci, pour les listes qu'il dresse des Internationaux parisiens. Je ne crois pas qu'il ait eu raison d'écarter une seconde liste de signatures qui paraît le lendemain ; un sondage approfondi dans cette nouvelle liste montre qu'elle compte un grand nombre de militants dont on sait par ailleurs en toute certitude qu'ils appartiennent à l'A.I.T. D'où le total de 400 que je choisis. O. Testut, avocat lyonnais qui s'est fait une spécialité dans la dénonciation des méfaits de l'Association fait en tout cas l'amalgame dans son livre Association Internationale des Travailleurs, Lyon 1870, p. 315-319 (et de même dans les listes qu'il a lui-même dressées, A.P.Po., B/a 441). Le fait même d'adhérer à une protestation aussi dangereuse n'est-il pas le signe d'un engagement convaincu ? Les protestations supplémentaires des diverses sections ont paru, les jours suivants, dans les journaux Le Réveil, La Cloche, La Marseillaise... 10 Recensement fait à partir des annonces parues dans divers journaux, et principalement La Marseillaise. 11 Sections de Belleville, du Panthéon, de la Rive gauche, de la Sociale des Ecoles, de Vaugirard, cependant que paraissent rester solides au combat par?exemple les sections des Batignolles (XVIIe), de l'Est (alors Xe), de Montmartre (XVIIIe), de Montrouge (XIVe), du Faubourg Saint-Antoine (XIe), de l'Hôpital- Saint-Louis (Xe arrondissement), notamment lorsqu'il s'agit de protester contre la guerre. Ceci pourrait être déjà une première approche pour une étude que nous tenterons à diverses reprises plus loin : la force de l'enracinement des groupes internationaux dans un certain nombre de quartiers. La Section allemande est entrée en décomposition du fait de la guerre. 12 Rive
gauche, mais aussi dans l'Est populaire de Paris : il semble que ce soit le cas
des sections de la Villette et du Combat (XIXe), ou de Belleville
(XXe). 13 A.H.G., dossier Franquin, IIIe conseil, n° 400. 14 On possède par exemple le carnet d'adhérent d'Ernest Mélin (A.H.G., Ve conseil, n° 548) ; il a payé en tout et pour tout sa cotisation pour le mois d'avril?1870 ... au mois d'août. Et l'on pourrait multiplier les exemples. 15 La Marmite, Restaurant coopératif de l'Union sociale [...] Rapport de la commission d'initiative, Paris, Imprimerie Jean Allemane, 1894. Cette pièce rarissime est conservée au Musée social, à Paris, cote 5103. 16 C'est une question qui a été posée déjà lors du Colloque de 1964 pour le centenaire de l'Internationale, que de savoir le nombre des adhérents du mouvement, notamment à Paris, et à qui l'on devait accorder ce titre. J'ai déjà alors affirmé qu'aucune raison ne me semblait convaincante pour rejeter hors du sérail les membres de syndicats affiliés à la chambre fédérale (J. Rougerie, « Les sections françaises de l'A.I.T. », in: La Première Internationale, l'institution, l'implantation, le rayonnement, C.N.R.S., Paris 1968, p. 93-127). J'ai donné (p. 124) une énumération, complétée depuis, de ces syndicats; il serait fastidieux de la continuer ici. Je cite cependant les vingt corporations qui ont formellement donné leur adhésion à l'A.I.T. : Raffineurs, Imprimeurs sur étoffes, Cordonniers, Chapeliers, Chaudronniers, Ferblantiers, Fondeurs en fer, Mécaniciens, Taillandiers, Tourneurs sur métaux, Menuisiers, Peintres en bâtiment, Marbriers, Bijoutiers, Céramistes, Balanciers, ouvriers des Instruments d'Optique et Précision, Dessinateurs, Lithographes, Relieurs. Ceci pour contribuer encore à donner une idée des milieux professionnels où l'Internationale obtient une audience privilégiée. A l'appui de cette identification que je crois devoir faire entre Internationaux expressément désignés et syndiqués, ce texte emprunté à l'Internationale. Je cite cependant les vingt corporations qui ont formellement donné leur adhésion à l'A.I.T. : Raffineurs, Imprimeurs sur étoffes, Cordonniers, Chapeliers, Chaudronniers, Ferblantiers, Fondeurs en fer, Mécaniciens, Taillandiers, Tourneurs sur métaux, Menuisiers, Peintres en bâtiment, Marbriers, Bijoutiers, Céramistes, Balanciers, ouvriers des Instruments d'Optique et Précision, Dessinateurs, Lithographes, Relieurs. 17 Tolain
a « trahi », comme on sait, mais nombre de ses anciens compagnons des débuts,
des « Gravilliers » de la plus vieille souche, ont été des militants
les plus efficaces de la Commune, Pierre Charbonneau, menuisier, commandant d'armement
et d'habillement de la XIVè légion de la Garde nationale, le menuisier encore
Ferdinand Félix, syndiqué, garde national au 136e bataillon, l'un
des animateurs de la section de Montrouge, le tailleur de pierres Henri Myard, secrétaire
de la même section, garde au 103e, délégué à l'assistance pour le
XIVe ?arrondissement... Ce ne sont que quelques exemples entre
beaucoup. Pindy, le mutuelliste, membre de la Commune, a été en dépit de
certaines calomnies, l'un des combattants les plus acharnés de l'insurrection. 18 E. E. Fribourg, L'Association Internationale des Travailleurs, Paris 1871.Voir aussi sa déposition dans Enquête parlementaire. 19 A.H.G., dossier Jaclard, Ve conseil, n° 700. Le fondeur E. Duval, blanquiste, est aussi l'un des meilleurs Internationaux de vieille souche. Il a fait adhérer son syndicat en bloc à l'A.I.T. dès 1868, et à nouveau en 1870. 20 Toutes ces
citations sont empruntées pêle-mêle à divers manifestes et proclamations de
l'Internationale qu'on trouvera par exemple dans O. Testut, Association
Internationale des Travailleurs, passim. Le texte d'E. Varlin a été
publié dans La Marseillaise du 11 mars 1870. Plus
généralement, en ce qui concerne le programme et les buts de l'Association en
1869-1870, voir mon rapport dans La Première Internationale, op. cit., notamment
p. 114-115. Les extraits qui suivent du programme du 5ème Congrès
sont publiés par Le Rappel, 5 septembre 1870 ; on
semble avoir considéré à cette date que, malgré la guerre, ou plutôt la guerre
prenant fin avec la chute de l'Empire, le Congrès allait se tenir, et à
Paris ! 21 Il est impossible de s'en
tenir, pour les raisons dites plus haut, à la déclaration pour le moins étrange
de Fribourg, Enquête parlementaire, p.428 : « Le 4 septembre,
j'étais à la place de la Concorde; je connais tout le personnel, j'ai rencontré
cinq personnes appartenant à l'Internationale... » 22 Le Rappel, 6 septembre. 23 Gustave Lefrançais, Etude
sur le mouvement communaliste, Neuchâtel 1871, p. 64. Plus
généralement, sur le 4 septembre et les jours qui suivirent, et particulière?ment
le rôle qu'y tint l'Internationale parisienne, voir J.Dautry et L. Scheler, Le
Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris (ci-après
Le Comité central), Paris 1960, introduction, ainsi que J. Rougerie,
« Quelques documents?nouveaux pour l'histoire du Comité central des vingt
arrondissements », in : Le Mouvement Social, n° 37 (1961),
p. 3 et suivantes. 24 Le Rappel, 8 septembre 1870. 25 Ces renseignements sont puisés dans les principaux journaux républicains du moment : Le Rappel, Le Réveil, Le Combat. 26
Déposition du Colonel Lavigne, Enquête parlementaire, p. 380. 27 Voir les différentes proclamations de la Commission municipale du XIe dans Les Murailles politiques françaises depuis le 4 septembre 1870, Paris 1874, t. I, passim, et notamment p. 35. 28 « Trois lettres
inédites de K. Marx », présentées par M. Rubel, in : L'Actualité de
l'Histoire, 1958, n° 25, p. 26. 29 J. Dautry et L. Scheler, Le Comité central des Vingt arrondissements, introduction. 30 Lettre sans date conservée dans le fonds Descaves à l'I.I.S.G. 31 Le texte de l'affiche
rouge est reproduit dans la plupart des histoires de la Commune. Voir par
exemple, avec commentaires, J. Dautry et L. Scheler, Le Comité central…, p. 32-35. 32 Bibliothèque nationale, Paris (ci-après B.N.), Lb11 298. J'ai reproduit le texte en son entier dans « Quelques documents nouveaux », art. cité, p. 7-8. L’interprétation ici proposée se vérifie amplement à la lecture de la lettre de Bachruch et de Vaillant à Becker du 21 septembre 1870, publiée en annexe à l'article de G. Langkau (Doc. VIII). 33 Le Réveil, 16 septembre
1870. Serraillier préside la séance du Comité de Défense,
autre nom souvent porté au départ par les Comités de vigilance. 34 La Patrie
en Danger, 13 octobre. 35 Ibid., 16 octobre. 36 B.N., Lb" 646. Un peu plus tard, les Internationaux vont s'efforcer égalementde remettre sur pied la Chambre fédérale des Sociétés ouvrières; convocation signée du bronzier Albert Theisz à une réunion le 10 novembre, publiée dans Le Réveil, 11 novembre: « Au milieu des agitations où se débat leur avenir, leur existence même, les sociétés ouvrières ne sauraient montrer moins de fermeté que sous l'Empire. Les derniers événements ayant démontré d'une façon absolue que les travailleurs seuls peuvent exercer une influence efficace sur les destinées de?la République et sur l'organisation du travail, une plus longue abstention les rendrait responsables de l'avortement des réformes que leurs sociétés ont revendiquées dans le passé... » Les travailleurs seuls : ceci confirme le sens nouveau que l'Internationale entend donner à son action. Cet appel sera répété à plusieurs reprises en novembre et décembre: signe que, du côté des sociétés ouvrières, il n'a pas rencontré beaucoup d'écho? 37 L'étude de la reconstitution des sections ou de la formation de nouvelles a été faite principalement à partir des annonces publiées dans les journaux, notamment Le Rappel, Le Réveil, La Patrie en Danger, Le Combat... J'ai tenté de rassembler en un tableau qu'on trouvera en p. 22-23 toutes indications concernant l'existence des sections, ainsi que d'en dresser une carte (p. 27). 38 G. Lefrançais, Etude…, op. cit., p. 90. 39 Minutes 1871, Meeting of the Council February 28, p. 140. Serraillier, parti à Paris le 7 septembre, de retour à Londres le 22 février, présente au Conseil général un rapport extrêmement (voire excessivement) critique sur la situation de l'A.I.T. dans la capitale pendant son séjour. 40 Ainsi la déclaration de la section du Panthéon, publiée dans Le Combat, 16 octobre, et La Patrie en Danger, même jour (le premier journal est de tendance «jacobine», le second, on le sait, l'organe de Blanqui) : « La section du Panthéon de l'Internationale s'est réunie le jeudi 13 octobre courant, rue d'Assas, 3, et s'est reconstituée. Sur la proposition du citoyen Melliet, les huit citoyens dont les noms suivent ont été désignés pour faire des démarches auprès des membres des anciennes sections, afin de les engager à réorganiser ces dernières et à nommer des délégués auprès du Conseil fédéral, afin de reconstituer ou de compléter ce dernier. Les huit citoyens élus sont : Rocher, Beaufils, Melliet, Leblanc, Chautard, Chardon, Vergniaux et Vésinier...» 41 Sur tous les débats et proclamations du Comité pendant les mois de septembre et d'octobre, voir J. Dautry et L. Scheler, Le Comité central, p. 47-120, et les compléments que j'y apporte dans « Quelques documents nouveaux… », art. cité, p. 8-14, notamment un projet d'appel révolutionnaire de Lefrançais à des élections « spontanées ». 42 Les Actes du
Gouvernement de la Défense nationale du 4 septembre 1870 au 8 février 1871,
Enquête parlementaire faite par l'Assemblée nationale, Paris
1875, t. III, p. 400, déposition de Henri Martin, maire provisoire du Xè
arrondissement. 43 La Patrie en Danger, 13 octobre. 44 Séances officielles, p. 56. À
noter cependant un essai des Internationaux de la section des Batignolles pour
s'emparer de la mairie du XVIIe, le 31 octobre (A.H.G., dossier E.
Clément, IVe conseil, n° 864). 45 Sur ce
processus général de «structuration» du mouvement, voir J. Rougerie, Paris
libre 1871, Paris 1971, p. 73 et suivantes, «Vers la formation d'un
parti socialiste révolutionnaire». 46 II existe aux A.H.G. un projet de statuts de l'Association républicaine du VIe arrondissement, corrigé de la main de Varlin, qui y ajoute notamment ces mots "Section de l'Internationale ». Pièce non cotée. 47 A.H.G., carton Ly 22. Comptes-rendus des séances du Club depuis sa fondation?jusqu'au début du mois de janvier, date à laquelle le Club disparaît, dans des circonstances qu'on verra plus loin. 48 On n'a que quelques indications éparses. Le 20 novembre, le Club du XIIIe admet 144 membres sur 185 candidats ; il comptera au total un peu moins de 200 adhérents. Selon Le Rappel, 29 octobre, lors de la reconstitution de la section de Vaugirard en cette fin du mois (25 octobre), « après l'historique de l'Association fait par les citoyens Malon et Combault, plus de 200 membres ont été admis ». La section des Batignolles a sûrement plus de 100 membres, puisque Mégy (A.H.G., IIIe conseil, dossier n» 660) y est inscrit le 3 octobre sous le numéro 142 et est ensuite titulaire d'une carte portant le n° 120. On ne peut guère ajouter de foi à l'indication de Testut (A.P.Po., B/a 441, pièce 6478) selon laquelle au 28 janvier 1871, l'Association compterait exactement 28.000 affiliés: on se demande à quelles sources on a pu puiser un chiffre aussi précis, qui ne concorde guère avec les appréciations, au même moment, des membres du Conseil fédéral parisien sur la « ruine » de l'Internationale. 49 Notamment les
Bijoutiers, les Doreurs sur bois, les Opticiens, les Ebénistes, les Cordonniers,
les Bronziers, les Mécaniciens, les Serruriers, les Charpentiers, les Typographes
(dont une fraction seulement fait partie de l'A.I.T.)... Encore les appels à
des réunions toujours «d'urgence» qu'ils font paraître dans divers journaux
républicains ne semblent-ils pas, sauf rares exceptions, avoir rencontré beaucoup
d'écho. Une chambre syndicale aussi importante que celle des Chapeliers (un
millier de membres en 1870) a décidé le 7 octobre de se mettre en sommeil et de?ne
plus percevoir de cotisations jusqu'à la « délivrance de l'oppression
étrangère »: annonce dans La Patrie en Danger, 9
octobre. 50 C'est ce qui ressort des indications données au Conseil fédéral, notamment au cours de la séance du 12 janvier 1871. Séances officielles, p. 20. Voir plus loin. 51 La Résistance, Organe
démocratique et social du XlVe arrondissement 20 brumaire 79 (10 novembre
1870). Si elle n'en est pas tout à fait l'organe, cette feuille a de solides accointances avec la section de l'A.I.T. de
Montrouge A.H.G., affiche sur papier rouge, pièce non cotée. 52 A.H.G., affiche sur papier rouge, pièce non cotée. 53 J. Rougerie, « Quelques documents nouveaux », art. cité, p. 15-24. Assistent notamment aux séances Pindy, Babick, E. Vaillant (qui propose même, le 23 ?novembre, « que le club central devienne une section de l'Internationale », ce à quoi s'oppose E. Châtelain, de la section du Panthéon: « il dit que presque tous ?les membres du comité central appartiennent isolément à des sections de? l'Internationale ». 54 La Patrie en Danger, 28 et 29 novembre. 55 A.P.Po., B/a 441, pièce 6511, et La Patrie en Danger, 26 novembre. Il n'est pas indifférent que le texte soit publié dans le journal de Blanqui : c'est le signe qu'il?existe encore des liens entre les blanquistes et ce second (ou «vrai») Conseil fédéral). Je reproduis le document in extenso dans Paris libre 1871, p. 54-58. Il est signé pour la Fédération des sections parisiennes par Bestetti, Frankel, Franquin, Hamet, Malon, Tolain; pour la Chambre fédérale par Lazare Lévy, Minet, Pindy, Pottier, Rouveyrolles, Theisz. - Deux autres documents encore aux A.P.Po., même cote, concernent la publication qu'on envisage d'un journal: pièces 6539 (Appel aux sections et aux sociétés ouvrières, 26 novembre) et 6541 (Procès-verbal de la Commission d'examen du Journal à fonder par l'Internationale, 18 décembre 1870). 56 A.P.Po., B/a 439, pièce 4853, rapport de « l'agent n°13 ». 57 Enquête parlementaire... , p. 344. Également les Mémoires d'André Léo, fonds Descaves. 58 Du 8 janvier au 4 février 1871. 59 A.H.G., pièce non cotée. 60 La
Patrie en Danger, 28 novembre 1870. 61 Ibid., 5 décembre 1870. 62 « Quelques documents nouveaux », art. cité, p. 24-26, et Paris libre 1871, p. 59 et suivantes. 63 Serraillier, rapport cité, Minutes 1871, p. 140-141. 64 A.P.Po., B/a 441, pièce 6623. 65 On peut ranger probablement parmi les sécessionnistes la section Richard-Lenoir : celle-ci proteste vigoureusement, le 4 février, contre l'inertie du Conseil fédéral, protestation reproduite par J. Dautry et L. Scheler, Le Comité central,..., p. 167, note 2, et, compte tenu de leurs absences qui paraissent significatives aux séances du Conseil fédéral en janvier et février, la Sociale des Ecoles, les Gobelins, Ivry et Bercy (sections de rive gauche), les sections des Récollets, Poissonnière et Vertbois. Séances officielles, liste des présents, passim. 66 On n'en trouve aucune trace, et il me paraît peu probable, à moins de la découverte de sources médites, qu'il s'agisse, comme le disent les historiens russes (Minutes 1871, p. 512, note 126) du Conseil fédéral « dissident » animé par Beslay, Kin, Lacord, Lucipia..., auquel je faisais allusion plus haut. C'est ici une autre scission. Le point reste évidemment à discuter. 67 Séances officielles, p. 60, procès-verbal du 15 février 1871. « Serraillier. - Le conseil général de Londres n'a jamais eu assez de renseignements du C[onseil F[édéral] pour connaître la situation de la branche française de l'Internationale. Il est urgent de reconstituer et l'Internationale et le conseil fédéral, puis de?nommer des secrétaires qui correspondent immédiatement avec l'étranger et avec le conseil général.» 68 Frankel en dit quelques mots au début de la séance du 5 janvier 1871, Séances officielles, p. 3-4. Plus intéressante l'observation faite le 19 par Chalain, Séances officielles, p. 34-35; elle permet de se rendre compte, au moins pour une part, de la signification de la scission, que Chalain paraît considérer comme un retour aux anciennes pratiques, à ce que j'ai appelé «l'ancienne politique»: « La section de l'Est fomente chez nous la discorde. [...] On a fait dans les arrondissements des conseils de vigilance. Cela a pu être utile en son temps, mais aujourd’hui il est urgent que tous viennent se grouper au sein du Conseil fédéral. » Serraillier en effet - d'autres textes le prouvent - ne semble pas partisan d'un?mouvement des travailleurs seuls. 69 Séances officielles, p. 60. Serraillier : « Une fusion de tous les dissidents est indispensable. D'accord avec la section de l'Est, plusieurs sections ont nommé un ?nouveau conseil fédéral ; toutes offrent de le faire siéger ici et de le fondre avec vous, si vous voulez marcher en avant. » 70 Sur la participation des Internationaux du XVIIe, voir par exemple Maurice Foulon, Eugène Varlin, relieur et membre de la Commune, Clermont-Ferrand 1934, p.47 : « Trois cents Internationaux, conduits par [Varlin] et Malon, la bannière del'Internationale déployée avec la belle devise : Pas de droits dans devoirs, pas de devoirs sans droits, défilèrent stoïques et silencieux sous les fenêtres de l'Hôtel de Ville. » Le fait est confirmé par les papiers Malon du fonds Descaves de l’I.I.S.G. ; la section des Batignolles a même eu un mort, Léon Bousquet. Celle des hommes du XIIIe, estimée également à 300 manifestants, est attestée par une protestation signée notamment d'Internationaux comme Auguste Beauchery, Martial Tardif, Charles ?Limousin, Nicolas Gerdy, Fabre, publiée dans Le Cri du Peuple, 28 février 1871, n° 7. 71 J. Dautry et L. Scheler, Le Comité central, donnent les comptes-rendus de plusieurs séances communes, 4, 6, 10, 11, 12 février, p. 160-194, ce qui vient combler une lacune à ces dates dans les Séances officielles. 72 Serraillier en donne un résumé bref et quelque peu confus - mais, confuse, la situation l'était particulièrement, une dizaine de listes au moins se réclamant? plus ou moins de l'Internationale - dans son rapport au Conseil général, Minutes 1871, p. 141. Les Mémoires (inédits pour cette période) de Martine ne sont pas d'une très grande clarté non plus en ce qui concerne le XVIIe arrondissement et ne disent rien de ce qui s'est passé à la section des Batignolles. 73
Compte-rendu de la réunion des trois sections dans La République des
Travailleurs, 4 février, voir en annexe le document p. 88-89. 74 Le Mot d'Ordre, 6 février. 75 L'original de cette pièce, publiée dans la presse, se trouve dans le fonds le Descaves de l’I.I.S.G. 76 Séances officielles, p. 56. 77 Séances officielles, p. 37 (Rouveyrolles), p. 55 (Frankel) . 78 Ibid., p. p. 48. 79 Copie dans le dossier Lacord aux A.H.G., IVe conseil, n° 1475. 80 Séances officielles, p. 48. 81 Ibid., p. 68. On a parlé plus haut du retour de Serraillier. 82 Ibid., p. 105-122, le texte des nouveaux statuts. On trouvera commodément, pour comparaison, le texte des anciens statuts dans O. Testut, Association Internationale des Travailleurs, p. 117-120. 83 Ibid., p. 66 et p. 71, procès-verbal du 22 février. 84 La définition de Theisz dans Séances officielles, p. 57, procès-verbal du 15 ?février 1871. Celle d'H. Goullé dans J. Dautry et L. Scheler, Le Comité central, p. 165; elle est prononcée au cours d'une séance commune, le 4 février, de l'Internationale et de la Délégation des vingt arrondissements, au moment de la préparation des élections du 8 février. 85 Séances officielles, p. 57 (Avrial), p. 67 (première citation de Frankel). La seconde citation de Frankel dans J. Dautry et L. Scheler, op. cit., p. 191, séance commune du 22 février. 86 Le Cri du Peuple, 1er mars (édition du matin). 87 Séances officielles, p. 83 et 86. L'intervention de Goullé qui suit, ibid., p. 126. 88 A.P.Po., B/a 439, pièce 4853, rapport déjà cité du n° 13. On a plusieurs autres témoignages, quoique douteux, sur ce fait que ce serait à Vaugirard qu'est née l'idée d'une fédération de la Garde nationale; déposition du maire Corbon, Enquête parlementaire, p. 448: « Je crois même que c'est dans mon arrondissement qu'est née la pensée de faire une fédération de la garde nationale et de prendre les délégués en dehors des hommes ayant un grade » ; P. Lanjalley et P. Corriez, Histoire de la Révolution du 18 mars, Paris 1871, p. 13: « Quelques citoyens habitant le XVè arrondissement [...], émirent l'avis qu'il serait bon d'établir un lien entre les gardes nationaux. Dans ce but, ils rédigèrent un appel adressé aux divers bataillons, leur demandant d'envoyer des délégués afin de se renseigner sur l'association projetée, pour laquelle ils avaient adopté la forme fédérative, d'après le conseil de M. Chalain (de l'Internationale). » Tout cela ne concorde pas avec d'autres renseignements qu'on possède sur les origines de la Fédération de la Garde. Néanmoins, il y aurait peut-être à tenir compte sérieusement de tels documents. 89 J'en donne la liste dans Paris libre 1871, p. 96-98. On peut considérer comme Internationaux Arnaud et Dupont (IIIe), Clémence et Demeule (IVe), Chouteau (VIe), Babick (Xe), Assi, Mortier (XIe), Géresme (de la Chambre syndicale des Chaisiers, XIIe), les trois représentants du XIIIe, Fabre, Paty, Pouillet, Avoine (XIVe), Varlin (XVIIe), Josselin (XVIIIe) et pour le XXe Maljournal et Bouit (chambre syndicale des Brossiers). Paty est cependant douteux. 90 Autre exemple, celui de la section de l'Est : « A.I.T., Section de l'Est. Les membres de l'A.I.T. sont invités à se rendre en armes à l'Etat-major du Comité central. Paris, le 18 mars 1871. » A.P.Po., B/a 441, pièce 6572. 91 Séances officielles, p. 126. Le cas de Malon est particulier et montre bien le désarroi dans lequel se trouvent, devant le mouvement du 18 mars, bien des Internationaux. Il rentre à peine de Bordeaux, où il a courageusement donné sa démission de l'Assemblée. Mais, adjoint au XVIIe, il signe avec ses collègues une protestation contre l'invasion le 21 mars de la mairie des Batignolles par un certain nombre de gardes nationaux, dont Malzieux, qui est de sa section. Malon mettra plusieurs jours à se rendre compte de la portée du mouvement. Le « parti Marx », comme on dira plus tard, lui rappellera aigrement, au moment des grandes querelles au sein de l'A.I.T., cette hésitation et l'apposition de sa signature à?cette protestation. Voir à ce sujet les documents en annexe. 92 J'ai tenté de décrire ce climat de révolution incertaine dans Paris libre 1871, p. 112 et suivantes. Malon, évoqué dans la note précédente, et la plupart des Internationaux, n'apercevaient guère où l'on allait. Encore vers une dangereuse aventure ? 93 Séances officielles, p. 132, procès-verbal du 23 mars, pour l'intervention de Frankel. La proclamation de l'A.I.T., p. 145-152. elle est reproduite dans toutes les histoires de la Commune. 94 Celui-ci continue de se réunir tous les mercredis, mais l'on n'a plus de lui que des textes très brefs ; 12 avril, exclusion du « sieur Tolain », pour avoir « déserté sa cause de la manière la plus lâche et la plus honteuse » — Tolain continue de siéger à Versailles (Séances officielles, p. 165); réunion extraordinaire du 20 mai pour trancher la question de savoir si les Internationaux qui ont rejoint les rangs de la « minorité » de la Commune ont eu raison d'agir ainsi (Séances officielles, p.?193-194). On trouve les mêmes textes, et quelques autres qui ne sont pas toujours de grand intérêt (séance du 12 avril réclamant l'élection des juges de paix) dans le journal La Révolution politique et sociale dont il est question ci-après, hebdomadaire du 2 avril au 15 mai 1871. 95 En avril les
sections Stephenson, Malesherbes, Duval ; en mai La Glacière, section des
Ivryens, section Flourens, section des Acacias (plus probablement une loge
maçonnique). 96 J'ai déjà évoqué son cas pendant la période du Siège. Elle est représentée au Conseil fédéral en janvier notamment par quatre délégués. Les anciens statuts de la Fédération des sections portaient que « Une section comprenant 50 membres au plus est représentée par un délégué; -[...] de 501 à 1.000 par quatre... » Aux termes des nouveaux statuts de mars, 4 délégués représenteraient de 301 à600 membres. Sont dans le même cas l'Ecole-de-Médecine et la section Richard-?Lenoir. Mais il ne s'agit que d'une hypothèse : il est fort possible qu'on ne respecte pas expressément les statuts. Pour sa part Testut,?toujours probablement excessif, propose pour l'ensemble des sections en mars? 1871 le chiffre de 60.000 membres, A.P.Po., B/a 441, pièces 6573-6574. 97 Témoignage de J.-B. Larrigaudière au cours du procès d'Ernest Sévin, membre de la section des Batignolles, A.H.G., IVe conseil, n° 1762. 98 Je complète légèrement ici le chiffre et la liste des 189 membres donnée par J.Maitron, D.B.M.O.F., t. IV, p. 49. Après l'échec de la seconde affiche rouge, le Club du XIIIe a disparu, et probablement aussi, momentanément, la section du Panthéon, comme en témoignent sa longue absence de représentation au Conseil fédéral, et ce communiqué paru dans Le Cri du Peuple, 23 mars 1871 : « Les réunions publiques de l'A.I.T. des Travailleurs [sic] du XIIIè arrondissement ayant été interrompues depuis longtemps par suite de persécutions de la police, auront lieu ce soir et les jours suivants, avenue de Choisy, 190. » En fait le mouvement de rive gauche plus exactement - puisque subsistent toujours les sections des Gobelins et la Sociale des Ecoles - le Panthéon et le XIIIe se reforment, en s'unissant, dès la fin de février. Les membres du club et ceux de la légion garibaldienne se reconstituent fin février et début mars en une section qui porte provisoirement le nom de La Glacière (Le Vengeur, 27 février, Le Cri du Peuple, 6 mars). Presque immédiatement après (Le Vengeur, 11 mars) « Plusieurs membres de la Société Internationale (Section du Panthéon) viennent de faire voter à l'unanimité la fusion des sections du Ve et du XIIIe arrondissement. Ces deux groupes porteront le titre de: sections réunies des Ve et XIIIe arrondissement. » Bientôt - titre significatif - cette petite fédération, avec pour secrétaire Tardif, devient Sections du Panthéon et du Droit au Capital réunies (A.P.Po., B/a 439, pièce 5257), puis on ne dit plus que Section du Panthéon et du XIIIe réunies, dont les assemblées deviennent régulières début avril, et finalement que section du XIIIe. Une autre section de La Glacière, probablement sa filiale, naîtra en mai. Ces remarques pour mettre un peu de clarté dans les comptes inexacts qu'on fait souvent des sections sous la Commune, en se servant, mal, des indications recueillies (mais non chronologiquement) par J. Maitron, D.B.M.O.F., t. IV. 99 Le Cri du Peuple, 22 mai 1871. 100 Séances officielles, p. 20. 101 La République des Travailleurs, 24 janvier. 102 Ainsi, dans le XVIIe, la liste Chalain, E. Clément, Faillet, Ch. Gérardin, Varlin, qui se présentent tous comme « de l'Internationale ». Cela permet de vérifier l'appartenance à l'A.I.T., un peu douteuse, de Victor Clément, membre de la Chambre syndicale des Cordonniers, et de Charles Gérardin. En revanche, dans le IVe, G. Lefrançais se désigne comme « membre de l'Internationale », alors que d'abondants témoignages prouvent qu'il n'en était pas, tandis que ses co-listiers le sont (sauf Arnould) ; on considérera de ce fait que c'est une liste homogène de l'A.I.T. qui passe dans l'arrondissement. 103 La liste qu'il donne, p. 134-135 de son livre est, alphabétiquement, la suivante : Assi, Avrial, Beslay, Chalain, Clémence, V. Clément, Dereure, Duval, Frankel, Gérardin, E. Langevin, Lefrançais, Malon, Pindy, Theisz, Vaillant, Varlin, élus le 26 mars; il y ajoute, parmi les élus des élections complémentaires du 16 avril, Andrieu, Cluseret, Johannard, Longuet, Pottier, Serraillier (p. 158). - Il n'y a pas de preuve de l'appartenance de V. Clément à l'Association, moins encore, on vient de le dire, de celle de Lefrançais. Je ne vois pas de raison de dénier le titre à Amouroux, Babick, Champy, Chardon, E. Clément, Demay, C. Dupont, Descamps, J. Durand, Pruneau (immédiatement démissionnaire pour raisons de santé), Ch. Gérardin, Géresme, Martelet, Melliet, H. Mortier, Oudet, Puget, Verdure, Vésinier. On peut même ajouter Pillot et Régère, membres de la section du Panthéon. Tous sont ou membres de sections, Martelet par exemple, de celle de Montrouge, Verdure, secrétaire-correspondant de la section du Faubourg-du-Temple..., ou (et le plus souvent en même temps) syndiqués à des sociétés ouvrières affiliées à la Chambre fédérale ou à l'Internationale. 104 Ce sont celles indiquées ci-dessus, A.H.G., dossiers individuels; J. Maitron, D.B.M.O.F. ; listes électorales. 105 Sur les activités de celui-ci pendant la Commune (et les réflexions désabusées qu'elle lui inspire), voir ses Notes pour servir à l'Histoire de la Commune de Paris en 1871, édition établie par M. Rubel et L. Janover, Paris 1971. C'est à tort que les éditeurs mettent en doute son appartenance à l'A.I.T. ; on a cependant affaire en l'occurrence, et bien qu'il ait appartenu à la " minorité " de la Commune, à un homme qui paraît avoir été bien plus un radical révolutionnaire, ne voyant la possibilité de la réussite d'une révolution que si elle se place sous la direction intelligente des classes moyennes, des couches nouvelles et intermédiaires, qu'un authentique socialiste. 106 Dans le XVIIe, la mairie reste plus que jamais fief d'Internationaux, qui peuplent à peu près exclusivement la commission municipale mise en place par les élus à la Commune: le secrétaire délégué en est le dessinateur L. E. Bozier ; P. Martine s'occupe du recensement et de la statistique, le tailleur de pierre G. Davoust de l'assistance, l'architecte Dianoux du bureau du travail, le graveur sur métaux J. Sassin du logement, le comptable Bonnefont des subsistances... Voir en annexe le document IV. Dans le XIIIe ont repris place, sous la direction de Lucipia, secrétaire général, la plupart des membres de la commission municipale provisoire du siège. À la tête du XIe, le doreur sur bois Claudius Favre, l'ébéniste Magdonel, le maçon F. David dit « Prolétaire » (il anime le Club des Prolétaires, installé dans l'église Saint-Ambroise, et son journal Le Prolétaire), le professeur H. Guillaume, l'horloger bijoutier Mizeret, le mécanicien J. Baux ... Il serait fastidieux de multiplier les exemples. 107 Avoine, Bouit, Fabre, Chouteau, Gougenot, Hanser, Houzelot, Lacord, Maljournal, Prud'homme, Patris. 108 Enquête parlementaire, déposition Fribourg, p. 429. 109 Vésinier le mal-aimé, dit, parce que bossu, « Racine de buis », International qui a trouvé le moyen d'avoir des démêlés, dès 1865, à la fois avec les Parisiens. des « Gravilliers » et avec Marx et le Conseil général, Vésinier le venimeux, qui a été exclu de l'A.I.T., n'en est pas moins pendant la période qui nous occupe membre de la section du Panthéon, carte n° 27, sa compagne Louise Déringer ayant la carte n° 28. 110 A.H.G., interrogatoire de H. Dubois, Ve conseil, n° 150. 111 Pour les pourcentages des 36.000 arrêtés répertoriés par le Général Appert), voir J. Rougerie, Paris libre 1871, p. 258-259. 112 Voir « Les ennemis du Communard » dans Procès des Communards, p. 198 et suivantes. 113 Pétition de la Chambre syndicale des Mécaniciens in: La Marseillaise, 5 février 1870. 114 La Révolution politique et sociale, 23 avril 1871. 115 Amouroux, A. Arnaud, Champy, Chardon, E. Clément, Demay, Dereure, C.Dupont, J. Durand, Ch. Gérardin, Géresme, Johannard, E. Oudet, Martelet, L. Melliet, E. Pottier, E. Vaillant, Verdure, Vésinier. J'y joins encore Pillot et Régère. Frankel a voté pour le Comité de Salut public, mais avec réserves et rejoindra ensuite les rangs de la minorité, comme fera probablement J. Durand. N'ont pas pris part au vote les Internationaux Assi, Chalain, Descamps, Mortier, Puget. Cluseret, non compris dans les 78, est alors en prison. 116 La Révolution politique et sociale, 8 mai 1871. 117 Ibid., 9 avril 1871. 118 Ibid., Suite d'articles publiés sous le titre « Etudes collectivistes » à partir du n° 2. Dans le n° 4, sous le titre « Ce que nous voulons », Nostag donne également un bref résumé du système qu'il imagine : Proudhon n'avait rien de « rousseauiste » et s'en prend vigoureusement à Jean-Jacques dans La Capacité politique des classes ouvrières. 119 Ibid., 16 avril, « Du rôle de l'Etat au point de vue économique ». L'article est seulement signé des initiales A. S., mais on voit mal de qui d'autre il pourrait s'agir que d'Auguste Serraillier, d'autant que l'auteur - qui a fréquenté Marx - commence à résumer les principales thèses marxistes en matière économique et surtout d'origine du capital. Le texte s'achève par un « à suivre », mais n'aura pas de suite. A-t-il déplu ? Rappelons que Serraillier appartient à la minorité. 120 A.H.G., carton Ly 11. Voir le texte dans Paris libre 1871, p. 175-176. 121 Ibid. 122 On commence seulement à étudier sérieusement ce problème de la nature de l'Etat pendant la Commune. Sur l'attitude populaire à ce sujet, qui n'est pas sans influer sur les positions de la minorité et des Internationaux, voir A. Decouflé, La Commune de Paris (1871), révolution populaire et pouvoir révolutionnaire, Paris 1969. Et c'est seulement en cette année 1971 qu'a paru une étude réellement sérieuse sur le problème du fédéralisme : L.M. Greenberg, Sisters of Liberty, Marseille, Lyon, Paris and the Reaction to a Centralized State, 1868-?1871, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 1971. On regrettera seulement ici que l'auteur n'ait pas prêté davantage attention aux réactions ouvrières face à ce problème, et surtout à celles des Internationaux. 123 Cette commission est composée de Minet, Teulière, E. Roullier, Paget Lupicin, Serraillier, Loret, H. Goullé, E. Moullé, Lazare Lévy. Journal Officiel, 5 avril 1871. 124 La commission d'initiative précédente ayant été liquidée le 24 avril, le Conseil fédéral parisien en délègue le 3 mai une autre auprès de Frankel, composée de Hamet, Martin, Nostag, Goullé, Compas, qu'elle complète le 10 par Armand Lévy et Beauchard. Séances officielles, p. 174 et p. 183. 125 Voir Procès des Communards, p. 217-21.9 ; Paris libre 1871, p. 242-244. Dans l'un et l'autre de ces deux livres, je tente, autour notamment de ces projets ouvriers, de définir ce qu'a été le socialisme de 1871. 126 Travaillent pour la Commune les Coupeurs de chaussure (atelier du Xè), la société des Cuirs et Peaux, Vorbe et Maréchal, fondeurs, la société coopérative des Fondeurs (ateliers des XIè et XVè), la société des Fondeurs en suif, l'Association de Mécanique de précision Boissière (XVIIe), l'Association coopérative de la métallurgie (XIè), Fragerolles, Optique et précision, l'Association générale des ouvriers Tailleurs (pratiquement un atelier par quartier ouvrier), l'Association générale typographique Berthélémy. A.H.G., Ly 11. 127 A.H.G., IVe conseil, dossier de Nathalie Lemel, n° 688, par exemple. N. Lemel, relieuse, elle-même de l'Internationale, est également une animatrice de l'Union des Femmes. Sur cette organisation, voir E. Thomas, Les Pétroleuses, Paris 1963; E. Schulkind, « Le rôle des femmes dans la Commune de 1871 », in: 1848, Revue des Révolutions contemporaines, n° 185 (1949), p. 15-29. - J'ai donné dans Paris libre 1871 des extraits des Statuts généraux des Associations productives fédérées de Travailleuses, associations mises sur pied par l'Union, p. 183. L'article Ier précise que «Tout membre d'une association productive de l'Union des Femmes est par là même membre de l'Association Internationale des Travailleurs ...». Mais à la date - mai - où les statuts sont rédigés il est peu probable que fonctionnent déjà beaucoup d'associations productives fédérées. 128 Il ne peut y avoir guère de doute quant à l'origine internationaliste de ce décret. C'est Avrial qui le propose à la Commune. J'ajoute qu'on retrouve dans le fonds Descaves de l'I.I.S.G. le texte d'une convocation à une réunion extraordinaire du Conseil fédéral parisien, précisément pour le dimanche. 16 avril (les séances habituelles se tiennent le mercredi) ; ne serait-ce pas alors qu'on a discuté du projet. Et l'on a songé à en élargir les dimensions : à la séance du 4 mai de la Commune, Vésinier propose (Procès-verbaux de la Commune de Paris, édition par G. Bourgin et G. Henriot, t. II, p. 149, original du texte aux A.H.G., Ly 11) : « 1° la réquisition, après inventaire et indemnité ultérieure fixés par des experts, de tous les grands ateliers [...], de leurs outils, matières premières, agencements locaux ; 2° Cession provisoire de ces ateliers aux associations ouvrières qui eu feront la demande ; 3° Adjudication des fournitures de la Commune à ces associations ouvrières ; 4° Ouverture d'un crédit nécessaire à ces associations ; 5° La Commission du travail et d'échange est chargée de l'exécution du présent. » On ne sait quelle suite a eue cette proposition qui applique, dans le droit fil, le décret du 16 avril. » 129 La Révolution politique et sociale, 23 avril, n° 4. Ce texte, signé de Jacobi, A.Beauchery, A. Boudet, a été communiqué à la première commission d'initiative, qui en a discuté favorablement dans sa séance du 21 avril (A.H.G., Ly 11). 130 Le Cri du Peuple, 19 avril ; La Sociale, 23 avril. 131 La Sociale, 29 avril. 132 Murailles politiques, t. II, p. 466 : Journal Officiel, 10 mai 1871. 133 Journal Officiel, 25 avril 1871. 134 Sans compter l'Union des Femmes et la Chambre syndicale des Lithographes contactée par Bertin (A.H.G., Ly 11), les sociétés des Bijoutiers, Boulonniers-Cloutiers, Chaudronniers, Cuirs et peaux, Ebénistes, Fondeurs en suif, Mécaniciens, Serruriers en bâtiment, Tailleurs et Coupeurs Tailleurs, Tapissiers. En revanche les Coupeurs et Brocheurs pour chaussures ont décliné l'invitation à? donner suite au décret du 16 avril « s'en remettant, pour son exécution, à un?temps plus opportun », c'est-à-dire attendant la fin de la guerre civile (La Sociale, 2 mai 1871). Pour les fondeurs en suif par exemple le travail qu'ils obtiennent de la Commune aux Abattoirs de La Villette est le point de départ de ce processus contagieux que j'ai décrit ; ils écrivent à la Commission du Travail : « La concurrence que pourrait faire la Société coopérative briserait le monopole des patrons,?les travailleurs trouveraient par ce moyen l'indépendance qui leur fait défaut... » (A.H.G., Ly 11). 135 Sur ce que j'appelle le socialisme de 71, voir Procès des Communards, p. 217-232; Paris libre 1871, p. 173-190 et 234-247. 136 Le Conseil fédéral paraît n'avoir gardé que peu de contacts avec l'étranger, et moins encore avec le Conseil général de Londres, en dépit des quelques lettres que Serraillier parvient à expédier à sa femme, de celles envoyées par E. Dimitrieff à H. Jung, et des deux lettres écrites par Frankel à Marx pour lui demander conseil, le 30 mars et le 25 avril 1871 (publiées dans Lettres de Communards et de militants de la Ière Internationale, op. cit.). Le 1er mars, le Conseil, par la voix de Frankel, se préoccupait de la situation en Autriche, où venait de se rendre Bachruch (Séances officielles, p. 79). Naturellement, le second Siège de Paris est pour beaucoup dans cet isolement. Nostag, encore lui, se préoccupe de ce problème de l'internationalisme dans un éditorial de La Révolution politique et sociale, 16 avril, « Patrie-Humanité »: « La Patrie, un mot, une erreur! l'Humanité, un fait, une vérité! [...] L'utopie d'Anacharsis Cloots devient vérité. La nationalité - erreur - résultat de la naissance, - est un mal, détruisons-le. Naître ici ou là, seul fait du hasard, des circonstances, change notre nationalité, nous fait amis ou ennemis; répudions cette loterie stupide. [...] Que la patrie ne soit plus qu'un vain mot. [...] La France est morte, vive l'humanité!» On se demande si Marx eût tellement apprécié la référence à «l'utopie d'A. Clootz». Et si l'on glose volontiers avec lui sur ce fait admirable que la Commune sut accueillir des étrangers dans son sein et à son service, particulièrement Frankel, que penser dès lors de cette lettre du 24 avril à la Commune du mécanicien et International de vieille souche G. Drouchon (A.H.G., Ly 11) ? « Désigné pour faire partie de la Commission d'initiative du Travail et de l'Echange, j'avais cru de mon devoir d'y venir travailler. Depuis de longues années, j'avais pu étudier les besoins et les aspirations de mes concitoyens et le moment me semblait venu de rédiger les cahiers du Travail. Aujourd'hui, la Commune a délégué au ministère des Travaux publics un de ses membres non naturalisé français et depuis peu habitant Paris. Il m'est impossible de continuer mon concours pour ce service. Pour organiser le travail, il ne s'agit pas d'avoir des idées plus ou moins abstraites, il faut connaître le peuple au nom duquel vous agissez et avoir les mêmes intérêts que lui. [...] Vive la République! Vive la Commune ! » Marx a décidément raison : les Français sont de naturel réellement chauvin. 137 Minutes 1871, p. 152-153. 138 Ibid., p. 158. 139 On trouvera des extraits plus complets de ce manifeste dans Procès des Communards, p. 170-171. 140 Démocratie directe: n'est-ce pas son souci que l'on retrouve dans la Déclaration de la minorité du 15 mai ? « Quant à nous, nous voulons, comme la majorité, l'accomplissement des rénovations politiques et sociales ; mais, contrairement à sa pensée, nous revendiquons, au nom des suffrages que nous représentons, le droit de répondre seuls de nos actes devant nos électeurs, sans nous abriter derrière une suprême dictature que notre mandat [souligné par moi] ne nous permet d'accepter ni de reconnaître. » 141 Séances officielles, p. 36-37, procès-verbal du 19 janvier 1871.
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